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Actualités - DISCOURS

UNIVERSITÉ - Le P.Abou craint pour la démocratie au Liban Remise des diplômes à la faculté des sciences humaines de l'USJ

L’Université Saint-Joseph (USJ) a organisé samedi sa dernière cérémonie de remise des diplômes au campus des sciences humaines rue Huvelin. Durant la cérémonie, placée sous le patronage du ministre de la Justice M. Joseph Chaoul, 646 étudiants des différentes facultés du campus des sciences humaines ont reçu leur diplôme des mains du recteur, le père Sélim Abou, en présence des parents, des doyens et de l’ensemble du corps professoral et administratif. Le recteur de l’université s’est adressé aux diplômés, pour leur demander de défendre la liberté d’expression à travers l’exercice de leur profession, notant que «l’exercice d’une profession quelle qu’elle soit ne prend son véritable sens que s’il est en même temps exercice de la liberté d’expression». Il a exprimé la crainte que «sous l’effet des pressions extérieures, la démocratie au Liban ne soit en train de se défaire». Le ministre de la Justice a, quant à lui, rappelé «que l’homme demeure au cœur de tous les changements» et que «l’avenir est porteur de promesses». «Je suis imprégné de foi et d’espoir», a-t-il ajouté. Plusieurs personnalités officielles ont assisté à la cérémonie, dont notamment: le député Samir Azar, le directeur général de la Sûreté générale le général Jamil el-Sayed et l’ambassadeur du Liban en Tunisie M. Raymond Raphaël. Après l’hymne national, le père Abou a été le premier à prendre la parole. Dans son allocution, il a tenu à remercier le ministre de la Justice pour avoir patronné cette cérémonie, rappelant qu’il était diplômé de la faculté de droit de l’USJ. La fin et les moyens S’adressant aux diplômés, le père Abou a déclaré : «Toutes les professions, dans l’étendue de leur diversité, ont la même fin : contribuer au bien-être de l’homme – individu et collectivité. Ce sont les moyens qui diffèrent. L’exercice des professions médicales ou paramédicales et celui des professions de l’ingénieur, qui visent, dans des domaines diffèrents, à promouvoir le mieux-être de l’homme sont étroitement liées à l’efficacité d’équipements techniques appropriés et en constante évolution. Ils supposent sans doute l’usage du langage – de la parole, de l’entretien, de la discussion –, mais cet usage est second : il est là pour assurer le succès du traitement ou celui de l’entreprise. Tout différent est l’exercice des professions qui relèvent des sciences sociales et des sciences humaines, quelle que soit la discipline envisagée. Celles-ci ont pour moyen essentiel le langage et les équipements techniques dont elles disposent sont au service du langage». «Cela définit pour vous tous une responsabilité spécifique : la défense du langage, c’est-à-dire de la liberté d’expression, matrice de toutes les libertés démocratiques. Cette responsabilité est inhérente à l’exercice de vos professions. Autrement, quel sens, quelle valeur aurait l’exercice du droit, de la science politique, de l’économie, de la gestion et des sciences humaines dans leur diversité, si vous ne disposez pas de la liberté d’exprimer vos idées, de les diffuser, de les confronter avec celles des autres ?», «La liberté d’expression qu’il vous appartient de défendre et d’illustrer, a poursuivi le recteur, est liberté de création, liberté de diffusion, liberté de discussion. Ces trois aspects de la liberté ont nécessairement une portée critique. La création artistique, littéraire ou conceptuelle est en effet issue de la pensée négative ou contestataire. Elle est régie par la logique dialectique qui appréhende la tension critique entre ce qu’une chose est dans le réel et ce qu’elle est dans l’idée, entre ce qu’elle est ici et maintenant et ce qu’elle pourrait et devrait être, et qui indique cet écart comme le lieu des possibilités de l’histoire et des choix du sujet, individu ou groupe. C’est pourquoi, la création, qu’elle soit de l’ordre de l’imaginaire ou de l’ordre du concept, est l’ennemie du totalitarisme : ce n’est pas sans raison que les régimes totalitaires obligent, sous peine de châtiment, les écrivains, les artistes, les scientifiques à se limiter strictement à la description et à l’exaltation des réalisations de l’État dans leurs domaines respectifs. «Tout n’est sans doute pas négociable et, “tant qu’il reste des valeurs à la fois irrécon ciliables et en opposition active, la démocratie parfaite reste hors d’atteinte”. (1) Il arrive alors un moment où il faut trancher, a encore dit le père Abou. Il revient à l’État démocratique de le faire en fonction de ce qu’il estime être le bien commun, tout en restant à l’écoute de la libre expression de ses sujets. C’est pourquoi il n’existe pas de démocratie parfaite, ce qui existe, c’est un processus démocratique évolutif. «On a dit, à juste titre, que la démocratie est toujours en train de se faire. Je crains que, sous l’effet des pressions extérieures, la nôtre ne soit en train de se défaire. Cette menace, bien réelle, définit votre responsabilité. L’exercice de votre profession, quelle qu’elle soit, ne prend son véritable sens que s’il est en même temps exercice de la liberté d’expression : liberté de créer, de transmettre, de discuter. Et ne doutez jamais du pouvoir de changer l’ordre établi que détient un petit groupe de gens engagés, capable de concilier en eux “l’éthique de conviction, l’éthique de responsabilité et l’éthique de la discussion ou de la négociation” (2). C’est à vous de constituer de tels groupes et d’être les piliers d’un processus démocratique évolutif. La formation que vous avez reçue vous y prédispose». Chaoul : Rien n’est acquis à l’homme Dans son allocution, le ministre de la Justice a incité les nouveaux diplômés à assumer leurs responsabilités, non seulement au niveau professionnel mais au niveau de l’État. Il a tenu à signaler que le monde d’aujourd’hui offre moins de possibilités et de chances, la pauvreté et le chômage se propagent et menacent l’avenir des jeunes, à l’aube du troisième millénaire. «Vous savez combien pour la multitude, ici et dans le monde, l’espoir s’amenuise et se trouve compromis : la pauvreté se propage, le chômage, l’insécurité matérielle, morale et politique sont cause d’angoisse quotidienne et menacent l’avenir à l’aube de ce troisième millénaire, a déclaré M. Chaoul, particulièrement l’avenir des jeunes, de nos jeunes, lequel plus que jamais demeure la force et l’espérance de la condition humaine» (...). «Le changement, les mutations nous obligent à la fois à des adaptations incessantes et à des révisions courageuses. Car rien n’est définitivement acquis à l’homme» (...). «Les signes inquiétants de notre temps sont en fait les symptômes d’un malaise, d’un mal-être, d’un mal qui gangrène tout le tissu social, aggravant les inégalités à un degré jamais atteint peut-être, et cela malgré les considérables possibilités d’y remédier. «C’est en effet la conclusion du récent rapport du Pnud. Et M. Chaoul de poursuivre : «Les technologies, la croissance devaient libérer l’homme. «C’est une formulation nouvelle de la nostalgie permanente de l’humanité rêvant du retour d’un âge d’or. «Or, le mésusage de ces technologies rejette l’homme dans la précarité, la frustration et la disqualification. «C’est au nom de la rationalisation pour la production que ce dogme, cet axiome se présente et se justifie, pour prôner les fusions, la déréglementation, l’élimination et instaurer la concentration des moyens, de tous les moyens. Concentration, sinistre rappel de ce qu’elle fut. «En fait la rationalisation trahit la raison, et sa fille légitime la rationalité. «La rationalité n’est pas appréhendée seulement dans la cohérence de l’édifice théorique cherché, recherché et trouvé. Elle est dans la volonté ouverte du dialogue avec l’expérience, et plus largement du monde extérieur. «Car la vraie rationalité suppose toujours que notre savoir n’est pas achevé et que du nouveau viendra le modifier. «Or, la rationalisation dénaturant la raison se caractérise par un excès de logique réductrice pour rétablir au plus vite la cohérence univoque de sa vision du monde. «Elle asservit le réel à son idée du rationnel. Elle s’intègre dans un système d’idées pour aboutir à une doctrine, à une idélogie laquelle devient le centre de référence absolu (Totalitarisme qui n’ose pas dire son nom)». «Or le politique est infiltré, envahi, dominé par la pensée technocratique et éconocratique. La vie elle-même, sa nature sacrée, est également menacée, soumise à des manipulations qui la transforment et peut-être la dénaturent». «Sans réserve j’adhère au témoignage d’Éric From, que voici : “L’espoir va de pair avec la foi, et ne peut pas avoir d’autre fondement que dans la foi. “L’espoir et la foi dépendent de la résurrection des valeurs, de la tradition et de l’émergence d’une société où l’amour et l’intégrité seraient possibles”. 1 - Eric Weil, Cahier Eric Weil, Essais sur la philosophie, la démocratie et l’éducation, Presses Universitaires de Lille 1993, p. 119. 2 - René Lenoir, Repères pour les hommes d’aujourd’hui, Paris, Fayard, 1998, p. 197.
L’Université Saint-Joseph (USJ) a organisé samedi sa dernière cérémonie de remise des diplômes au campus des sciences humaines rue Huvelin. Durant la cérémonie, placée sous le patronage du ministre de la Justice M. Joseph Chaoul, 646 étudiants des différentes facultés du campus des sciences humaines ont reçu leur diplôme des mains du recteur, le père Sélim Abou, en...