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Actualités - REPORTAGES

Abdallah Nabbout , Dudul: après les morts, les chiffres

Installé derrière un grand bureau envahi de dossiers bourrés de chiffres, M. Nabbout travaille. Il est impressionnant dans son costume trois pièces, noyé dans une chaise qui lui confère un air très sérieux. Il semble observer le monde par-dessus ses lunettes pour déceler le «défaut de la cuirasse». Avec au bout des lèvres, un pincement, une hésitation, comme une envie de dire ou simplement de sourire. On pourrait croire qu’il joue à être adulte ou adudulte, excusez le calembour mais la contagion, vous savez... Et l’on a envie de lui demander, comme on demanderait à un ami longtemps parti, Dudul où donc es-tu passé ? Alors Dudul sourit et du coup, d’un regard, cette pièce trop étroite devient une large scène de théâtre où il se laisse aller à parler, user de mots, leur faire du charme et les manipuler. Facile de succomber à son bagout, son franc-parler. Et de comprendre à quel point il incarne toute la verve de ce «Théâtre de 10 Heures» où il fut à la fois plume et secteur. L’image du poète nostalgique vient rapidement se juxtaposer sur celle de l’homme d’affaires qui a su, tout au long de sa vie professionnelle, séparer les deux aspects d’une même personne. Abdallah Nabbout a fait ses études à l’AUB et obtenu un diplôme en géodésie, puis l’USJ où il a décroché une licence en gestion. Dudul s’amusait à écrire des chansons-pastiches pour animer les soirées de bal. Ses subtilités se feront vite remarquer à la télévision, dans un jeu, «Le moins menteur des trois», animé avec l’ami Gaston Chikhani, puis dans une émission de variétés françaises «Pêle-mêle», présentée avec l’autre ami, Pierre Gédéon, et pour laquelle il écrit et interprète tous les sketches. 1962 confirmera sa double – naissance. La première sera professionnelle, Abdallah est nommé chef de service à la direction des Affaires géographiques. Son travail avec l’État l’oblige alors à trouver un pseudonyme, un «nom d’artiste». La même année, très exactement le 13 avril 1962, Dudul et le Théâtre de 10 Heures voient le jour, lors d’une première représentation donnée à Bobino. Le spectacle s’intitulera «À qui le Tour» ?, avec un premier sketch courageux et inoubliable : «La principauté de Paapeltein». La troupe se verra rapidement consacrée, le succès est immédiat. «Dès 1964, avoue-t-il, nous étions devenus un alibi de liberté au Liban !» Le Théâtre de 10 Heures représentera surtout un élément indispensable dans le paysage libanais, une fenêtre qui faisait passer au public une bouffée d’humour, d’audace et de plaisir, jusqu’à cette année fatidique de 1975. 1975, la grosse fracture Étrange coïncidence, triste anniversaire. Ce 13 avril 1975, alors qu’ils fêtaient leur 13e anniversaire, nos acolytes reçoivent des nouvelles alarmantes qu’ils ne veulent pas encore prendre au sérieux. La guerre vient d’éclater au Liban. La situation se dégrade. Les chansonniers n’ont plus envie de rire, ils n’ont plus l’humeur légère et choisissant de se taire, se retirent définitivement. Mais à la demande du public, ils reviennent pour six soirées d’adieu, du 6 au 13 juin 1978. Kan ya Makan (il était une fois) sera, en fait, une triste soirée où les gens pleuraient en riant, un adieu à des amis, à toute une période qui semblait disparaître, partir en fumée, la fumée des canons. Depuis, Dudul est redevenu Adballah Nabbout à plein temps. Officiellement, directeur international de Media Press avant de rejoindre, fin 1976, le monde des banques, «la seul secteur encore en activité, malgré la guerre». Officieusement, un chansonnier sans ses chansons, sans le troupe. «J’étais tellement bien dans cette équipe, que je n’ai jamais voulu monter à nouveau des spectacles avec d’autres personnes. Nos textes étaient écrits par moi, pour être dits par les chansonniers du “Théâtre de 10 heures”. Et puis, la culture a beaucoup baissé, elle a divergé. Nos textes sont souvent plagiés. Il est tellement laborieux de faire rire. L’amour qui “rit avec les choses” est très difficile quand il n’est pas vulgaire. Alors que l’esprit, qui “rit d’elles”, est beaucoup plus facile, on en fait quand on veut. C’est un métier très stressant, un examen de tous les soirs, recommencé à chaque revue». Abdallah Nabbout oublie un moment le monde de la finance pour évoquer un sketch écrit en 1977, en pleine coupure d’électricité, «Le seul morceau que j’ai mémorisé, par la force des choses, je n’avais pas d’autre choix» ! Dudul revient alors, et comme s’il ne les avait jamais quittés, retrouve ses mots, sa verve et récite, mieux encore, interprète mot à mot la fameuse «épopée du pet». L’histoire de la guerre du Liban à travers l’histoire du pet. «Aujourd’hui, le public n’a plus de talent» ! conclut-il. On comprend mieux, alors, pourquoi Dudul a préféré se fondre dans l’univers des chiffes et garder pour lui sa passion des mots. On comprend mieux également pourquoi le public de choix en redemande, après tout ce temps. «Le sourire vient de l’esprit, le rire de l’inattendu». Dudul aura réussi, le temps de courtes retrouvailles, à faire sourire, rire et même émouvoir. Pour certains, la nostalgie est intacte. «Le présent vaut mieux que le futur», aime-t-il à citer. Et le passé ?
Installé derrière un grand bureau envahi de dossiers bourrés de chiffres, M. Nabbout travaille. Il est impressionnant dans son costume trois pièces, noyé dans une chaise qui lui confère un air très sérieux. Il semble observer le monde par-dessus ses lunettes pour déceler le «défaut de la cuirasse». Avec au bout des lèvres, un pincement, une hésitation, comme une envie de dire ou...