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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Société - Comment gérer le religieux dans un Etat de droit ? Comprendre le pluralisme communautaire libanais (photos)

Le réseau de recherche de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a organisé, sur le thème «Fondement et limite de la liberté de religion», sa 4e rencontre internationale à l’Université de Cergy Pontoise (France) les 2-3 décembre. Le réseau groupe des universitaires de quatre pays (Canada, Cameroun, France, Liban). Nous publions un résumé, rédigé pour L’Orient-Le Jour, de la communication de M. Antoine Messarra, professeur à l’Université libanaise et membre du réseau. Le cas du liban est à la fois complexe et stimulant, parce qu’il couvre tout le champ d’action du droit dans le domaine de la religion au point qu’il peut être considéré comme un condensé en miniature de tous les rapports possibles entre droit et religion. Gérer le religieux dans un État de droit constitue un problème complexe. Gérer un religieux pluriel dans une société multicommunautaire et en conformité avec les normes fondamentales des droits de l’homme constitue un problème encore plus complexe. Tel est le cas, probablement unique au monde, du Liban, nation formée de dix-huit communautés légalement reconnues et où l’aménagement des libertés religieuses et des droits qui en dérivent peut être considéré comme un modèle normatif à maints égards ou, au contraire, comme anachronique, non viable, une mosaïque sans cesse à recomposer. Deux réponses toutes prêtes Face à une telle situation, il y aurait deux réponses faciles et toutes prêtes. La première consiste à dire que la solution réside dans la laïcité, sans préciser ce qu’on comprend par ce vocable dans une société comme le Liban où le religieux implique, outre la foi, des composantes culturelles et des enjeux de pouvoir. La seconde réponse, devenue un slogan dans le débat politique libanais, consiste à préconiser «la suppression du confessionnalisme politique». Notion d’autant plus ambiguë qu’elle se reproduit comme un leitmotiv. Le président Charles Hélou écrivait dans Le Jour, le 18 août 1945, avec profondeur et ironie : «Je supprime le confessionnalisme, tu supprimes le confessionnalisme, il supprime le confessionnalisme… nous supprimerons le confessionnalisme…». La preuve de l’ambiguïté de la notion est que le nouvel article 95 de la Constitution libanaise amendée en 1990 prévoit la création d’un comité national pour la mise au point d’un programme et des étapes pour «l’abolition du confessionnalisme». Dans l’alinéa précédent du même article, il s’agit de l’abolition du «confessionnalisme politique». Neuf ans déjà et le comité n’a pas été formé, sans doute par crainte de résurgence de conflits où les perplexités conceptuelles des intellectuels se mêlent à des enjeux de pouvoir des politiques. Quand les réalités religieuses et politico-religieuses libanaises sont appréhendées avec les schèmes de l’intellectuel, elles sont souvent incomprises. L’intellectuel importateur de l’idéologie de l’État-nation en sort avec un complexe de honte, la honte de l’intellectuel libanais qui se veut moderne, progressiste, laïc… Quand ces mêmes réalités sont appréhendées par le pragmatique, on y retrouve une rationalité interne, mais on manque de vision à long terme et de perspectives de changement. Le pluralisme communautaire libanais exige une approche plurielle, composée, intégrée, à la lumière des recherches internationales et comparatives sur les systèmes consensuels de gouvernement, au risque soit de refuser et donc de ne rien comprendre ni résoudre ou, à l’opposé, d’être trop habile dans les expédients, mais de manquer de perspectives quant à la dynamique de changement dans le respect des droits fondamentaux. Situation à trois volets L’intérêt de la recherche sur le Liban est qu’il faut partir de l’esprit des lois et non de catégories juridiques souvent polluées par l’usage, par des traditions dominantes ou des théories ethnocentristes. Le champ libanais, miniaturisé et global, comprend trois volets : 1. Le droit de participation : Aucune philosophie n’a réduit la démocratie à une équation simpliste : Moitié + 1 = démocratie! La démocratie se situe sur une chaîne de participation. Or il s’avère que l’alternance au pouvoir n’est pas un processus mécanique dans tous les types de société politique. Pour éviter l’exclusion permanente, plusieurs moyens sont envisagés : les systèmes électoraux proportionnels, les coalitions gouvernementales, ou la règle de proporz (quota) qui peut être rigide ou ouverte, écrite ou coutumière, limitée ou extensive… La proporz n’est pas sans risque, mais un système exclusivement concurrentiel comporte aussi ses risques. 2. Les libertés de croyance et de culte : Les articles 9 et 10 de la Constitution libanaise instituent un fédéralisme sur une base personnelle et limitée, en ce qui concerne le statut personnel et le droit des communautés d’avoir leurs écoles. La logique fondatrice du système implique la reconnaissance aux individus du droit de n’appartenir à aucune communauté. L’arrêté 60 LR du 13 mars 1936 prévoit en effet la création d’une communauté de droit commun, mais les instances religieuses, si elles se transforment en «autorités», barrent la voie à l’instauration d’un statut personnel facultatif. Il appartient à la société civile de poursuivre le combat, en faveur d’une religion plus épurée et d’une appartenance socio-religieuse non contraignante. 3. Les interférences conflictuelles du religieux et du politique : Dans un monde où, presque partout, le religieux perd ses frontières dans la mobilisation et la compétition politique et politicienne, il faudra gérer la multiplication des interférences, au Liban comme ailleurs. Bien que la Constitution libanaise délimite clairement les frontières communautaires, les débordements sont nombreux. Ces débordements perturbent la bonne gestion de la chose publique et même la paix civile. Là aussi les perspectives d’analyse et de traitement sont composées et touchent aux modalités d’application du principe du collège électoral unique, à la nature de l’élite politique au pouvoir, au progrès de l’État de droit et de la citoyenneté… Cependant tout l’édifice laborieusement construit s’écroule à défaut d’une culture politique de participation ou de partage du pouvoir (power sharing). Le phénomène religieux devient conflictuel dans la vie publique quand il y a exploitation et manipulation de la peur et quand il est connecté à un enjeu de pouvoir. Tant que le Pacte national libanais n’est pas perçu et vécu, dans la mémoire collective des Libanais et leur expérience intégrée, comme un acte fondateur, sans autre alternative, les efforts des juristes, le dialogue islamo-chrétien et le patrimoine séculaire de convivialité demeurent menacés.
Le réseau de recherche de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a organisé, sur le thème «Fondement et limite de la liberté de religion», sa 4e rencontre internationale à l’Université de Cergy Pontoise (France) les 2-3 décembre. Le réseau groupe des universitaires de quatre pays (Canada, Cameroun, France, Liban). Nous publions un résumé, rédigé pour L’Orient-Le...