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Actualités - REPORTAGES

Dans les coulisses... Vente aux enchères Une, deux, trois .. (photo)

Les objets sont là, plus de 300, silencieux, orgueilleux, venus au rendez-vous fixé, une vente aux enchères qui donnera au plus offrant une part d’âme anonyme, d’histoire reconstituée, imaginée, retrouvée. Ils comblent la salle, déjà archipleine, de leur mystère, ils imposent le respect. La veille, ces objets se préparaient à recevoir leurs hôtes impatients, mais qui des deux était-il le plus impatient ?, venus regarder, voir de plus près, toucher peut-être, être touchés, sûrement. Leur toilette refaite, poussière et traces du temps balayées, ils se sont mis en place, faisant taire l’écho de leurs émotions, celles des départs, faisant taire leur âme, pour redevenir, un court instant, de simples objets inanimés, numérotés, estimés. Le commissaire – priseur, M. Armand Arcache, guide du jour, emporte les visiteurs dans une visite accompagnée où il se charge d’offrir les informations demandées, observer les aller et venues des habitués et des étrangers, nostalgiques, esthètes ou simples collectionneurs et puis veiller sur ces petits trésors qui occupent les lieux pour quelques jours. La vente a lieu en deux jours, les pièces sont nombreuses, deux après-midi qui feront défiler des objets, meubles, tapis, couverts en argent, tableaux, cadeaux d’un moment, souvenirs d’une vie. L’assistance est grande, exécutant de ses mains qui se lèvent un étrange ballet, augmentant l’offre, abandonnant le rêve, au rythme du marteau blanc qui tombe, ou encore de la voix en solo du commissaire – priseur, chorégraphe de cette passation d’objet. Ils sont donc tous là, chaises qui ont gardé l’empreinte de leurs propriétaires, venus souvent s’y réfugier, en fin de journée, miroirs qui n’ ont cessé de rassurer leur maîtresse, leur disant qu’elle était la plus belle, horloges qui ont trop vu le temps passer, sans jamais s’arrêter, ni réussir à l’arrêter. Les personnes intéressées, venues à l’heure, se placent au milieu de la salle, les «lots» déposés autour d’elles, dans toute la pièce. Les murmures se taisent enfin, le commissaire – priseur a rejoint son «trône», une table centrale, dévoilant ses instruments de prédilection, sa voix et son fameux marteau, détails qui lui confèrent un air de juge ou d’arbitre. Une ambiance qui va crescendo 16 heures 05, la vente – criée peut démarrer. Sur les sièges rouges, des catalogues attendent les éventuels acheteurs, contenant la liste, la description et l’évaluation des objets mis en vente. La séance est ouverte, avec ses incontournables conditions, paiement, retrait des achats, clamées tout haut… 16 heures 10, les objets s’impatientent, mécontents de rentrer dans des considérations si matérielles. Enfin, la formule magique est prononcée, «Mesdames et Messieurs, nous commençons donc par le numéro un…». Beaucoup de ces dames composent en effet l’assistance, charmantes virgules dans un paragraphe en rouge et blanc, et de nombreux fumeurs étouffant de leur brouillard les parfums délicats et gracieux déposés dans l’air. Les habitués occupent les premiers rangs, ou les derniers, pour avoir «vue générale sur tout !», objets et individus. Le «numéro un», première «victime», joue discrètement de son charme, petit vase en opaline intimidé par tant de regards curieux et par une description élogieuse faite de lui, malgré ses cent ans passés. «Nous commençons à combien ?» L’enchère est ouverte. Un premier chiffre est lancé par le maître du jeu. Un premier bras se lève, augmentant la mise de 100 dollars. Une tête à droite manifeste sa participation, le regard du commissaire – priseur cherche, saisit «au vol» l’imperceptible sourire de la très élégante dame du troisième rang; la surenchère continue, son regard repart, de droite à gauche, «vous avez dit trois cent cinquante ?», poursuit très rapidement M. Arcache. Un dernier sourire discret mais sûr conclut la première vente. «Adjugé !», le marteau parle. «Mabrouk Monsieur. On passe au numéro deux», puis trois, et ainsi de suite… Les mannequins immobiles sont le plus souvent posés sur un piédestal, afin d’être mieux vus. La «chaise volante» fière, sereine, semble légèrement dépaysée par ce siècle auquel elle n’appartient pas; elle attend preneur… Les murmures indisciplinés reprennent dans la salle, discussions privées, commentaires, cellulaires indiscrets qui continuent à sonner. Le numéro suivant, une toile de femme nue d’un célèbre peintre libanais s’expose avec beauté. «On commence à 1 500 dollars», lance M. Arcache, de cette même voix entraînante et entraînée. «1 600, à droite», pourtant, le geste fut discret, «1 700, le monsieur au troisième rang, 1 800, 1 900» ; le langage presque secret, que seul ce «juge de la vente» sait lire, se poursuit. Dialogue rapide à deux voix, regards qui frémissent, bras qui se lèvent, se devancent, veulent saisir. «2 000 dollars au fond ?, d’accord», 2 100… «À ce prix là, je préfère en avoir une vivante !» murmure un jeune homme qui ne semble pas se trouver au bon endroit. Course contre la montre, contre l’autre, ennemi inconnu, caché. La valeur du tableau continue de grimper. «3 000 dollars ? Qui dit mieux ?» Personne ne «disant mieux», M. Arcache de conclure, «3 000 dollars une fois, pas de regret madame ?», 3 000 dollars deux fois, et trois fois, Adjugé ! Suivront des meubles, des miroirs, des toiles et des tapis. Objets placés à l’arrière de la salle, et qui font se retourner les têtes, tapis posés par terre, qui font se déplacer les intéressés, et enchères importantes qui font battre les cœurs. «Numéro 51, un exceptionnel service de couverts de table en argent», est baladé dans sa boîte transparente parmi les rangs de l’assistance. «Nous commençons», formule consacrée, «à 12 000 dollars, 409 pièces, soit 25 kilos d’argent massif, ce n’est pas cher payé, Mesdames et Messieurs», et la course effrénée démarre. Très vite, le montant atteint 17 000, 18 000, puis 20 000 dollars «20 500, monsieur au fond ?», Non, ce n’était qu’une mouche que ce monsieur essayait de chasser, «attention, votre geste pourrait vous coûter cher !». Les 20 500 seront proposés par un gentleman à la belle moustache blanche, mais ils ne semblent pas assez. Le dialogue continue de ressembler à un langage muet, un code, un signe lancé, rattrapé par le commissaire – priseur. 22 000 dollars, et le silence se fait. «Alla uno, alla due, alla tre, adjugé !» la salle applaudit ce beau moment d’émotion contagieuse qui prendra fin, quelques heures plus tard. La nuit et son silence presque sacré sont retombés sur la salle, vidée de ces invités, enveloppant les objets d’une magie retrouvée. Enfin seuls, enfin heureux de pouvoir se raconter de nouvelles histoires, souvenirs partagés d’une vie passée.
Les objets sont là, plus de 300, silencieux, orgueilleux, venus au rendez-vous fixé, une vente aux enchères qui donnera au plus offrant une part d’âme anonyme, d’histoire reconstituée, imaginée, retrouvée. Ils comblent la salle, déjà archipleine, de leur mystère, ils imposent le respect. La veille, ces objets se préparaient à recevoir leurs hôtes impatients, mais qui des deux...