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Actualités - DISCOURS

La Saint Joseph à l'USJ Le recteur Abou : pour une approche différenciée de la citoyenneté libanaise(photo)

Comme chaque année, à l’occasion de la fête patronale de l’Université Saint-Joseph (USJ), le P. Sélim Abou a prononcé un message, fruit d’une profonde réflexion sur la réalité sociale et politique libanaise. Analysant et critiquant la nostalgie d’une citoyenneté uniforme qui trouve ses fondements dans le concept d’État-nation développé en Europe, depuis le XIXe siècle, le P. Abou s’est étendu, en particulier, sur le concept de «citoyenneté différenciée» qui, a-t-il souligné, doit correspondre au pluralisme communautaire qui fonde le régime démocratique libanais. En conclusion, le P. Abou a parlé de la vocation de l’USJ et lui a donné pour mission, dans le contexte actuel «marqué par de profondes mutations», de promouvoir des études dont les trois principes régulateurs seraient : 1- la participation des communautés à la décision démocratique, quel que soit son volume démographique ; 2- la séparation du communautarisme politique et de la foi religieuse ; 3- la promotion de la liberté de l’individu à l’égard aussi bien de l’État que de sa communauté. Au passage, le P. Abou s’est prononcé en faveur de l’institution du mariage civil facultatif. Il a dénoncé l’opportunisme qui s’est mué en «une culture de la servilité» . Il a affirmé enfin que, «pour gérer la pluralité communautaire et la diversité culturelle caractéristiques», le Liban, «seul État démocratique du Proche-Orient, n’a rien à apprendre de ses voisins». Nous reproduisons ci-dessous de très larges passages du discours du recteur de l’USJ, qui a été vivement applaudi par les quelque 700 personnes présentes : «Le 19 mars 1997, dans l’allocution intitulée “Les défis de l’Université”, j’ai tenté de démystifier le discours idéologique du nationalisme arabe, dans la mesure où il vise à occulter la spécificité culturelle et politique du Liban et, par voie de conséquence, à nier l’identité distinctive du peuple libanais. C’était répondre à l’inquiétude d’enseignants et d’étudiants profondément choqués par l’expansion du slogan selon lequel Libanais et Syriens constituent un seul et même peuple et par les sous-entendus que ce slogan recouvre. L’année dernière à pareille date, dans “Les tâches de l’Université”, j’ai voulu rappeler les facteurs de la spécificité libanaise mise en question par la phraséologie panarabe, en définissant le pluralisme communautaire qui fonde le régime démocratique libanais et en explicitant le sens de la culture plurielle qui découle de l’histoire et du patrimoine, hautement différenciés, de ce pays. C’était répondre à la préoccupation de nombreux étudiants qui se demandent dans quelle mesure ils sont arabes et ce que veut dire en définitive être arabe. Mais le principe du pluralisme appelle nécessairement son contraire : celui de l’unité. Concrètement il s’agit, pour les jeunes, de savoir comment concevoir l’unité de la nation libanaise, au-delà de la mosaïque des populations qui la composent. Pour répondre à cette question, il convient d’abord de dissiper la nostalgie d’une citoyenneté uniforme et d’une culture homogène qui dénature la gestion du pluralisme libanais, ensuite de prendre connaissance des théories actuelles qui tentent de définir une nouvelle citoyenneté en rapport avec le pluralisme ethnique et le multiculturalisme, enfin d’en retenir le concept moderne de citoyenneté différenciée, pour examiner les conditions de son application au Liban. Il restera à évoquer, en conclusion, les apports que l’université peut verser au dossier d’une nation à la fois une et plurielle». La nostalgie d’une citoyenneté uniforme «Le 18 novembre 1982, dans le quotidien as-Safir, l’éditorialiste bien connu, Jihad al-Zein, s’élevait contre cette figure matricielle de l’unité nationale qu’il appelle “l’unité fusionnelle” et dont l’échec a créé, chez tous les Libanais, un «complexe de culpabilité», lui-même générateur d’un divorce total entre le langage et la pratique. Ce que l’éditorialiste appelle “unité fusionnelle” se réfère à l’idée d’unité nationale telle qu’elle est réalisée depuis près de deux siècles dans les États-nations d’Europe occidentale, fondés sur le principe de la citoyenneté, qui garantit la liberté et l’égalité de tous les ressortissants de l’État moyennant l’exercice des mêmes droits et des mêmes devoirs et animés par l’idéal déclaré d’une culture homogène qui assure la cohésion de la nation. C’est en distinguant le domaine publique du domaine privé que l’État-nation républicain concilie l’égalité civile et politique des citoyens avec le respect de leur appartenance à une communauté historique particulière. Depuis le XIXe siècle, le modèle de l’État-nation européen n’a cessé de hanter les esprits des gouvernants dans la plupart des pays du monde (…) Le Liban ne fait pas exception à la règle. La nostalgie d’une citoyenneté uniforme s’exprime, depuis les années soixante, dans deux revendications parallèles qui, faute d’une analyse circonstanciée et d’une définition précise de leur contenu, fonctionnent le plus souvent comme des slogans. À la revendication chrétienne de la laïcité répond la revendication musulmane de la déconfessionnalisation politique. Pour les tenants de la laïcité, celle-ci implique deux démarches. Il s’agit d’abord de la laïcisation et de l’unification du statut personnel pour mettre fin aux inégalités que les diverses législations religieuses établissent entre les citoyens suivant leur appartenance confessionnelle. Il s’agit ensuite de l’abolition du communautarisme dans la vie politique en vue de la reconnaissance de l’individu comme seul sujet du droit. Or aucune des deux démarches n’est vouée au succès. La première se heurte à une opposition de fait, la seconde à une opposition de droit. Opposition de fait, car la laïcisation et l’unification du statut de la famille sont rejetées par les hiérarchies musulmanes et chrétiennes au nom d’une conception abusive de la liberté religieuse et peut-être aussi par peur de perdre leur pouvoir sur l’État. Opposition de droit, car il n’est pas dit que l’instauration d’un statut personnel unifié et la déconfessionnalisation des mentalités qui pourrait en découler doivent aboutir à l’abolition du communautarisme politique. Ici il convient de distinguer le confessionnalisme proprement dit, qui consiste dans l’utilisation de la religion à des fins politiques et l’ingérence des instances religieuses dans les affaires de l’État, du communautarisme, c’est-à-dire de la réalité d’une nation composée de communautés historiques et culturelles diverses, où la religion ne joue que comme critère distinctif d’ethnicité à l’instar de la langue dans d’autres pays et qui entendent légitimement être reconnues comme telles et, comme telles, participer à la vie politique (…). Conscients des graves inconvénients que susciterait l’abolition du communautarisme politique mais forcés d’y souscrire, les législateurs de Taëf avaient prévu, pour en étudier les conditions de possibilité, la constitution d’un comité national présidé par le président de la République et regroupant, outre les présidents du Conseil et de la Chambre, “des personnalités du monde politique, intellectuel et social”. Or cette mesure de prudence a été balayée allègrement, car toute concertation publique entre Libanais des diverses communautés et des diverses catégories sociales qui déborderait le cadre purement protocolaire est, comme on le sait, interdite : elle dérange. Il en résulte que le projet de l’abolition du communautarisme s’est exprimé dans des mesures arbitraires et contre-productives qui ont révélé une confessionnalisation accrue des mentalités et ont abouti en pratique à un marchandage confessionnel exacerbé qui, compte tenu du rapport des forces, ne pouvait profiter qu’aux communautés les plus nombreuses. La nostalgie d’une citoyenneté uniforme s’est donc traduite par son contraire, c’est-à-dire par une inégalité politique croissante entre les citoyens, en fonction de leurs appartenances communautaires respectives. Ces inégalités se sont manifestées dans divers domaines de la vie politique. Qu’il s’agisse de la Fonction publique, où le critère de compétence, censé remplacer les quotas communautaires pour la nomination des fonctionnaires, était largement manipulé par les responsables politiques au profit de leurs clientèles respectives; qu’il s’agisse des élections législatives, où l’adoption des circonscriptions élargies, censée promouvoir le consensus intercommunautaire, favorisait le candidat soutenu par une communauté majoritaire qui n’est pas la sienne et lui ôtait, de ce fait, toute représentativité; qu’il s’agisse enfin des élections municipales (…)». Courants idéologiques variés «Quant à l’idéal d’une culture nationale homogène inhérent au modèle de l’État-nation classique, il alimente chez nous des courants idéologiques variés qui n’ont en commun que leur hostilité à la diversité ethno-culturelle et linguistique du Liban et à l’identité culturelle nationale complexe, différenciée, plurielle qui en résulte. Croire que l’on peut avoir raison de cette diversité par une déclaration officielle – à savoir que le Liban est d’identité et d’appartenance arabes – c’est croire que les mots ont le pouvoir de changer la réalité. La réalité ici – nous l’avons vu l’an dernier – est celle d’une arabité singulière, profondément affectée par l’entrecroisement permanent de modèles de comportement, de pensée et de sensibilité issus des diverses traditions communautaires en présence et par la pratique, largement répandue, d’une langue et d’une culture occidentales conjointement avec la langue et la culture arabes. Si bien que la formule de 1943, qui définissait le Liban comme un pays «à visage arabe» ouvert à l’Occident, rend beaucoup mieux compte de la réalité que la formule de Taëf, dont elle reste, en tout cas, la seule interprétation acceptable. Et l’on se prend à sourire aux propos de ce haut responsable syrien qui, il y a quelques mois, prétendait rappeler à l’ordre les Libanais – hommes politiques ou intellectuels – qui, dans les conférences internationales, osent se prévaloir de la riche diversité culturelle de leur pays et leur apprendre, au nom de la science, qu’ils se trompent sur leur propre culture qui ne peut être que purement et simplement arabe. La culture libanaise est ce qu’elle est. Elle s’élabore, au confluent des interactions entre les différentes traditions culturelles en présence, par la création incessante de modèles communs de comportement, de pensée et de sensibilité. Mais c’est une illusion de croire que l’on peut contribuer à l’édification d’une culture nationale homogène qui transcende les différences, en imposant dans les écoles un manuel d’histoire unique. L’unification du manuel d’éducation civique était sans doute une initiative louable, voire nécessaire. Tous les jeunes Libanais doivent en effet apprendre dans les mêmes termes leurs droits et leurs devoirs et cultiver une égale allégeance à la patrie commune. Par contre on ne voit pas, du moins pour le moment, une unification du livre d’histoire qui puisse échapper à la manipulation idéologique, soit que l’on s’applique, dans un souci de concorde, à occulter les conflits intercommunautaires qui ont jalonné l’histoire du Liban et qui, pourtant, ont paradoxalement forgé la conscience nationale, soit que l’on infléchisse l’histoire dans un sens conforme aux contraintes politiques du moment. Égalité, liberté, reconnaissance D’autre part, l’histoire du Liban reste à faire : les sources à chercher, les documents à analyser, les faits à interpréter. Il est pour le moins prudent d’éviter toute précipitation et de promouvoir entre-temps la recherche historique dans le pays, aussi bien au niveau des spécialistes qu’à celui des élèves et des étudiants. L’enseignement de l’histoire en général et de l’histoire du Liban en particulier ne peut être que critique : il suppose une confrontation permanente des documents et des interprétations (…) Il est paradoxal que les Libanais continuent à se référer au modèle d’une citoyenneté uniforme et d’une culture homogène au moment où, en Europe même, ce modèle perd beaucoup de sa pertinence, du fait que l’État-nation qui lui a donné naissance accuse un déclin certain, dû à l’effet de facteurs convergents qui le minent de l’extérieur et de l’intérieur. En effet, la formation de cette entité supranationale qu’est l’Europe remet en question la conception classique de la citoyenneté qui était définie par rapport à la nation; la globalisation des échanges, des marchés et des capitaux débilite considérablement la société politique qui dominait et régulait la société économique et culturelle; enfin l’immigration massive perturbe profondément l’homogénéité culturelle dont se prévalait l’État-nation classique (…)». «Dans le débat occidental autour de la “nouvelle citoyenneté”, on peut reconnaître schématiquement trois tendances. La première maintient le principe d’une citoyenneté uniforme, mais en la dissociant radicalement de la nationalité; la deuxième envisage une citoyenneté à la fois articulée sur la nationalité et modulée en fonction du pluralisme culturel; la troisième préconise clairement une citoyenneté différenciée susceptible de gérer harmonieusement la pluralité des communautés et la diversité des cultures. (…) Ce parcours rapide des thèses sur la nouvelle citoyenneté suffit à montrer la non-pertinence, pour une société pluraliste comme la nôtre, de l’idéal d’une citoyenneté uniforme et d’une culture homogène, c’est-à-dire du modèle de l’État-nation classique, lui-même en déclin dans le monde qui l’a produit, quels qu’aient été, durant deux siècles, sa puissance d’intégration et son prestige. C’est dans le cadre de la citoyenneté différenciée, qui a toujours été le nôtre, qu’il nous faut envisager les réformes qui s’imposent. Il est vrai que les sociétés où les diverses communautés se regroupent autour de deux pôles antagoniques sont plus difficiles à organiser que celles où n’existe pas une telle polarisation, mais, à cet égard, le Liban n’est pas plus mal loti que des États structurellement similaires, tels que l’Irlande, partagée entre catholiques et protestants, qui sort à peine de vingt-cinq ans de luttes fratricides; le Canada, composé de deux peuples fondateurs, l’un anglophone et l’autre francophone, où, de référendum en référendum, celui-ci menace de se séparer de celui-là; la Belgique enfin, où Wallons et Flamands ont poussé leurs conflits jusqu’aux confins de la scission. Le Liban, lui, a survécu aux massacres, à l’exode, à la guerre, à des crises diverses et le principe de la coexistence islamo-chrétienne n’y a jamais été mis en question. Il n’est que de le réorganiser sur des bases rénovées, à la fois solides et évolutives. Le concept moderne de la citoyenneté différenciée repose sur trois principes : l’égalité des citoyens, la liberté des individus, la reconnaissance institutionnelle de leurs appartenances communautaires et culturelles. Les deux premiers, répétons-le, sont inhérents à toute démocratie quelle qu’en soit la forme, le troisième est caractéristique des sociétés multiculturelles. Au Liban, l’égalité des citoyens n’est que partiellement assurée : les droits et les obligations sont communs à tous dans le domaine de la vie économique et professionnelle; ils ne le sont pas dans celui de la vie familiale. La multiplicité des statuts personnels, dont le nombre approche de la vingtaine, établit entre les citoyens des inégalités profondes (…) Mais l’absolutisation des allégeances confessionnelles, telle qu’elle s’exprime dans les statuts personnels, ne constitue pas seulement une entorse grave au principe de l’égalité des citoyens, elle contredit radicalement le deuxième principe, celui de la liberté inaliénable des individus. L’individu est certes conditionné par sa communauté, mais, en tant qu’être raisonnable et libre, il la transcende. À ce titre, il a le droit de ne dépendre d’aucune communauté, mais directement de l’État. Cela signifie en clair que l’État a le devoir d’instituer, à l’usage de ceux qui le souhaitent, une législation civile du statut personnel et, au premier chef, du mariage qui en est le fondement. On peut sans doute regretter que l’idée en ait été lancée récemment comme un brûlot sur la place politique, mais cette incartade n’enlève rien à sa nécessité. Pour peu que l’État libanais se soucie du droit naturel et des droits de l’homme qui l’explicitent, il doit admettre que l’institution du mariage civil facultatif n’est pas elle-même facultative, mais contraignante. À l’argument de droit s’ajoutent des arguments de fait. D’abord, le mariage civil ne porte pas préjudice au mariage religieux, car celui-ci demeure une obligation que le croyant est appelé à assumer, mais il évite à l’incroyant de se livrer à une simagrée dont la religion fait en définitive les frais; ensuite, le mariage civil favorise les unions mixtes entre chrétiens et musulmans et contribue ainsi au décloisonnement des communautés; enfin, l’institution du mariage civil facultatif sortirait le Liban d’une situation extravagante qui porte à la dérision : celle d’un État qui interdit à l’intérieur de ses frontières ce qu’il autorise dans n’importe quel autre pays et qui, ne disposant pas d’un statut civil propre, permet à ses ressortissants de recourir à toutes les lois du monde. Le troisième principe, qui stipule la reconnaissance institutionnelle de la pluralité ethno-culturelle, est au fondement même du concept moderne de la citoyenneté différenciée. Or au Liban, l’idée de la déconfessionnalisation politique, c’est-à-dire de l’abolition du communautarisme dans la vie publique, vise au contraire une citoyenneté indifférenciée qui, dans un monde de plus en plus marqué par la diversité et soucieux de l’institutionnaliser, ne signale pas, comme on pourrait le croire, un progrès, mais une régression (…). Or, depuis la fin de la guerre, la reconnaissance institutionnelle des communautés est frappée d’inégalités flagrantes. Le découpage des circonscriptions électorales, la manipulation des élections législatives, le train sauvage des naturalisations, le choix des ministres et j’ajoute : le renforcement récent du système policier de surveillance, d’intimidation et de répression de certaines catégories d’étudiants, tout a contribué et contribue encore à marginaliser la société chrétienne. Tout se passe comme si les chrétiens étaient punis de n’être pas soumis, de dénoncer la satellisation de leur pays, en somme de dire à haute voix ce que pense l’immense majorité de la population. En juin 1998, l’ancien ministre Fouad Boutros exprimait ce malaise avec une clarté sans équivoque : “Depuis Taëf, écrivait-il, il y a un phénomène psychologique au sein de la communauté chrétienne : qu’on l’appelle désenchantement, refus ou tout ce que vous voulez, il repose sur le fait qu’il y a une partie des chrétiens qui, à la base, a rejeté Taëf et un autre groupe, plus nombreux qui, ayant accepté Taëf, a constaté par la suite que la méthode suivie pour l’appliquer n’était que tromperie. En résumé, il y a dans la société chrétienne le sentiment que tout ce qui est appliqué au nom de Taëf se fait dans une seule direction, comme si les chrétiens étaient condamnés à payer toujours le prix et à perdre. Cela, nous devons tous nous employer à le régler, à commencer par le pouvoir. C’est pourquoi, depuis l’adoption de Taëf, je répète que la coexistence pacifique est une chose et que l’entente nationale en est une autre. Or c’est l’entente qui est le principe de base sur lequel se fonde tout le reste”. Le passage de la coexistence pacifique à l’entente nationale exige un train de réformes couvrant tout un éventail de matières et d’institutions (…) Hormis un train de nominations et de mises à pied dont on comprend mal la logique, la seule réforme dont on parle à grand bruit est celle de l’abolition du communautarisme politique, qui est la négation même des structures profondes de la société libanaise. Pour gérer la pluralité communautaire et la diversité culturelle caractéristiques de la nation, le Liban, seul État démocratique du Proche-Orient arabe, n’a rien à apprendre de ses voisins. Il est plutôt appelé à conformer toujours davantage sa politique aux principes qui fondent le concept moderne de la citoyenneté différenciée, tel qu’il se développe dans les sociétés pluriethniques d’Occident : à savoir l’égalité des citoyens, la liberté des individus, la reconnaissance institutionnelle de leurs appartenances ethno-culturelles, dans la justice et l’égalité». Des idées pour l’an 2000 «Ce n’est pas ou pas seulement dans un souci littéraire, pour faire suite aux titres des précédentes allocutions, que j’ai intitulé celle-ci “Les apports de l’Université”. L’Université ne peut être indifférente à la vie de la cité. Elle a, à cet égard, une double responsabilité de formation et d’information. (…) Durant plus d’un siècle, l’Université Saint-Joseph a fourni à la société libanaise des cadres politiques et administratifs, chrétiens et musulmans, attentifs à la spécificité de cette nation pluricommunautaire et pluriculturelle qui est la nôtre et convaincus de son originalité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle n’a cessé d’essuyer les critiques des nostalgiques d’une citoyenneté libanaise uniforme et d’une identité arabe indifférenciée, c’est-à-dire en somme de ces gens qui se plaisent à affirmer, de manière péremptoire, qu’il n’existe ni nation libanaise ni culture libanaise. Aujourd’hui, l’Université Saint-Joseph est appelée à se signaler par un apport nouveau, moins descriptif, plus normatif et résolument critique. Elle a l’obligation morale d’éclairer les législateurs et l’opinion publique sur les options les plus pertinentes en matière de réformes, qu’il s’agisse de la loi électorale, de la décentralisation administrative, du développement régional, du rapport entre le communautarisme politique et la citoyenneté différenciée, de la législation civile du statut personnel, de la politique de la santé ou de la protection de l’environnement. (…) J’appelle donc solennellement les responsables des facultés et des instituts à constituer des commissions spécialisées, au besoin pluridisciplinaires, habilitées à produire et à publier, à l’occasion du 125e anniversaire de l’université, des avant-projets portant sur les matières à réformes et susceptibles de mobiliser l’opinion publique. Un comité de coordination devra ultérieurement être nommé par le conseil de l’université et pourra, en étant périodiquement renouvelé, devenir, après l’an 2000, un observatoire permanent de la vie politique et sociale au Liban. Certains diront que c’est là un effort inutile, car l’État est de moins en moins maître de ses décisions et l’opinion publique de plus en plus désabusée. En guise de réponse, je fais mienne cette phrase par laquelle la sociologue Dominique Schnapper termine son volumineux ouvrage sur La relation à l’Autre : “Le monde démocratique est toujours menacé par le règne des affirmations péremptoires, de la pensée courte et des formules assassines, mais il n’est pas interdit de lutter (...) pour que la voix de la recherche patiente, honnête et souvent efficace soit, elle aussi, entendue des citoyens”.».
Comme chaque année, à l’occasion de la fête patronale de l’Université Saint-Joseph (USJ), le P. Sélim Abou a prononcé un message, fruit d’une profonde réflexion sur la réalité sociale et politique libanaise. Analysant et critiquant la nostalgie d’une citoyenneté uniforme qui trouve ses fondements dans le concept d’État-nation développé en Europe, depuis le XIXe...