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Actualités - OPINION

Sables mouvants

«Cancer ou pas je saute dans le premier avion, à la minute où le pays a besoin de moi» : c’est ce que promettait l’été dernier à ses sujets Hussein de Jordanie, filmé en direct sur satellite depuis la clinique du Minnesota où il venait d’entamer un long et pénible traitement chimiothérapique. Les Jordaniens n’étaient pas seuls stupéfaits par tant de transparence, dans une région où bien davantage qu’ailleurs, la santé des gouvernants confine au secret d’État. Fin janvier, le petit roi tenait parole et débarquait inopinément à Amman pour remettre de l’ordre dans la maison royale, livrée aux rivalités et aux intrigues. Écartant cavalièrement un frère qui n’en finissait pas d’attendre l’heure de la succession et lui substituant l’aîné de ses fils, il regagnait avec la même urgence les États-Unis, afin d’y livrer un nouveau combat contre la maladie, un combat dont on pressentait qu’il était perdu d’avance. Si, vaincu, l’indomptable monarque a rassemblé ses dernières forces, c’est pour rentrer clôturer sur place, dans son royaume des sables, près d’un demi-siècle d’un règne si aventureux qu’il en devenait improbable. Doyen des dirigeants du Proche et du Moyen-Orient, Hussein n’a jamais fait l’unanimité : ni dans le monde arabe, où il a longtemps été la cible de prédilection des nationalistes et des radicaux; ni dans son propre pays où il a survécu à une bonne douzaine d’attentats, tentatives de coup d’État et autres mouvements séditieux dont le plus grave fut l’insurrection palestinienne armée de septembre 1970, écrasée dans un bain de sang. Malgré de graves erreurs, malgré une série de paris malheureux – et avec le même courage face à l’adversité qu’il aura montré jusqu’au bout – Hussein restera pourtant dans l’histoire comme l’homme qui, démentant tous les pronostics, est parvenu à gérer l’ingérable. À commencer par un pays fabriqué de toutes pièces par le Colonial office britannique au lendemain de la Première Guerre mondiale et donné, en maigre salaire de la révolte arabe contre les Turcs, à l’un des fils du Chérif de La Mecque chassé de son Hedjaz natal par le clan des Séoud. En annexant la portion de Palestine épargnée par l’État d’Israël naissant, en faisant de la Transjordanie une Jordanie à cheval désormais sur les deux rives du fleuve, Abdallah, grand-père de l’actuel souverain, passait du rang d’émir à celui de roi; mais il laissait aussi à sa descendance l’explosif héritage d’une masse démographique palestinienne que sont venus grossir les afflux de réfugiés marquant chacune des guerres arabo-israéliennes. Même amputé depuis 1967 de la riche et verdoyante Cisjordanie, le royaume abrite ainsi, aujourd’hui, une population aux deux tiers palestinienne; et l’exploit de Hussein est d’avoir longtemps réussi à se poser – et à s’imposer – en élément incontournable de tout règlement de paix : la perspective d’une confédération regroupant les deux rives du Jourdain étant de nature, en effet, à calmer les appréhensions israéliennes face à l’émergence d’une entité palestinienne. Mais peut-être, finalement, le roi a-t-il trop bien réussi dans sa tenace identification à son fragile royaume, dans ce défi de tous les instants aux dures lois de la géopolitique. Hussein c’est la Jordanie, et la Jordanie c’est Hussein : de normale et rassurante qu’elle pouvait paraître, l’équation suscite désormais les plus légitimes inquiétudes. Pour la difficile relève, et à défaut d’expérience, le jeune prince héritier et régent Abdallah ne manque pourtant pas d’atouts : se soumettant à la règle absolue de l’union sacrée, l’émir Hassan, son oncle, a accepté sa disgrâce, et la reine Nour devra se faire à l’idée d’un long apprentissage du métier de dauphin pour son fils Hamza; le nouveau maître de la Jordanie semble jouir du soutien massif des tribus bédouines et surtout de l’armée, dont il est lui-même issu; marié à une Palestinienne de Tulkarem, il peut espérer se gagner enfin la faveur d’une majorité démographique insatisfaite et même souvent instable. Mais c’est aux frontières, et dans l’atmosphère feutrée des chancelleries, que se jouera plus vraisemblablement le sort du royaume. Pour la Jordanie en effet, l’alternative est d’une terrible simplicité : ou bien elle continue (et sous Hussein déjà ce n’était pas toujours facile) de faire office de partenaire, de modérateur, de régulateur des aspirations nationales palestiniennes; ou bien elle devient elle-même un morceau, sinon un grossier substitut, de Palestine : une patrie de rechange dont l’idée est ouvertement défendue par un secteur de la droite israélienne aujourd’hui au pouvoir. D’Abdallah à Hussein puis de Hussein à Abdallah, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Jourdain. Démentant tous les pronostics, la maison des Hachémites est toujours là; mais pour ne rien changer, les paris restent ouverts.
«Cancer ou pas je saute dans le premier avion, à la minute où le pays a besoin de moi» : c’est ce que promettait l’été dernier à ses sujets Hussein de Jordanie, filmé en direct sur satellite depuis la clinique du Minnesota où il venait d’entamer un long et pénible traitement chimiothérapique. Les Jordaniens n’étaient pas seuls stupéfaits par tant de transparence,...