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Actualités - REPORTAGES

Célébration - Cérémonie à l'Unesco pour les dix ans de Taëf Les principes sont consacrés, l'entente reste à réaliser

Des députés tendus à l’extrême dans une caserne oubliée retapée à la hâte, des journalistes sceptiques et peu empressés, des forces de l’ordre plus ou moins dépassées… La scène qui semblait sortie d’un film surréaliste s’est pourtant bien déroulée le 5 novembre 1989 à la base militaire aérienne de Kleyate. Le document d’entente nationale adopté à Taëf devenait ainsi la nouvelle Constitution du pays, sous les quolibets de ceux qui tenaient encore les divers quartiers de la capitale. Dix ans plus tard, la Constitution est toujours au cœur des débats, parfois juridiques et souvent politiques, alors que les quolibets ont été remplacés par une sorte de résignation. En un mot, la paix de Taëf n’a pas été à la hauteur de l’attente des Libanais. À qui la faute ? Certainement pas au document lui-même, répondent les responsables actuels qui, dans une cérémonie spéciale à l’Unesco, ont tenu à rendre ses titres de noblesse à un accord qui a eu au moins le mérite de faire taire les canons. Le décor est sobre, à l’image du régime actuel. Seul un petit portrait du chef de l’État orne les rideaux rouges de la grande salle du bâtiment de l’Unesco. La célébration des dix ans de l’accord de Taëf fait salle comble. Parmi l’assistance, des ministres, des députés, des conseillers, des juristes, des diplomates (dont l’ambassadeur des États-Unis qui avait activement participé à l’élaboration de l’accord de Taëf) et diverses personnalités. Mais le président de la République n’a pas fait le déplacement. Qui aurait pourtant dit, il y a dix ans, que le général Lahoud qui héritait d’une armée exsangue, déchirée et dont les prérogatives avaient été sévèrement réduites par les députés échaudés par l’expérience Michel Aoun, serait un jour à la tête de l’État ? L’histoire est parfois drôlement imprévisible. Mais le plus étonnant dans la cérémonie d’hier, c’est que le chef de l’État ait chargé le président de la Chambre Nabih Berry de lire le discours qu’il avait préparé pour l’occasion. Et M. Berry dont on connaît le franc-parler ne s’est pas privé de rappeler aux personnes présentes qu’il aurait préféré prononcer son propre discours. «J’aurais dit que pour moi, Taëf est l’accord de la nécessité, a déclaré le président de la Chambre. Il est aussi le fruit des sacrifices de tous les Libanais qui ont lutté contre le projet de partition et qui ont remplacé le fameux adage “la force du Liban réside dans sa faiblesse” par la résistance contre l’ennemi israélien». Berry a ensuite lu la courte allocution du président Lahoud qui a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une célébration de pure forme, mais qu’il fallait se rappeler le contexte de l’époque pour dessiner les contours de l’avenir. Selon le chef de l’État, la graine de la discorde s’est introduite au Liban par deux brèches : l’absence d’une vision stratégique claire et la fragilité du système politique. Aujourd’hui, la vision stratégique est claire : nous savons qui est l’ennemi et qui est l’ami et l’allié. Mais la consolidation du système politique ne peut se faire qu’à travers l’édification d’un État basé sur le droit et ayant pour piliers les institutions officielles. Hoss : « La voie vers la solution » Présentés par M. Camille Menassa, les différents orateurs se sont succédé à la tribune. Le président du Conseil Sélim Hoss a surtout insisté sur le fait que ce qui compte dans le document d’entente nationale est qu’il est d’abord un accord, qui a posé les bases d’une évolution démocratique des institutions. «Ce n’est pas la solution, mais la voie pour atteindre celle-ci». Après avoir dressé un rapide tableau de la situation qui prévalait avant Taëf et qui avait transformé le Liban en un mélange de paradoxes, fragilisant à l’extrême la nation, M.Hoss a montré que Taëf a dessiné les grandes lignes de la réforme. Il s’est ensuite demandé pourquoi dix ans après l’adoption de l’accord, ses objectifs n’ont pas encore été atteints. «Nous n’avons pas encore dépassé le confessionnalisme, a-t-il répondu, alors que la troïka a constitué une flagrante atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la démocratie. D’ailleurs, au Liban, il y a beaucoup de libertés et bien peu de démocratie, puisque le confessionnalisme, le communautarisme et le tribalisme continuent à régir la société». Le président du Conseil a rappelé que Taëf constitue le chemin menant vers un avenir meilleur et qu’il porte en lui les germes de l’évolution, précisant que son gouvernement s’est engagé irrévocablement dans la voie de la démocratie. L’ancien président de la Chambre Hussein Husseini, considéré comme le parrain de l’accord, a ensuite pris la parole pour préciser qu’avec Taëf, les députés, désarmés et plus ou moins marginalisés face aux milices qui tenaient le terrain, ont su saisir une occasion historique de prouver que les Libanais aspiraient à l’entente et étaient capables d’y parvenir. Husseini a évoqué «la lettre et l’esprit de l’accord», ajoutant que pour la lettre, il suffit de lire les articles de la Constitution (ce que peu de gens font), quant à l’esprit, il se résume en peu de mots : la survie du Liban et des Libanais, le Liban à tous les Libanais et l’engagement à respecter les droits de l’homme qui constituent en quelque sorte l’âme de ce pays. Le discours le plus virulent et le plus incisif a été incontestablement celui du député Boutros Harb, qui avait participé à la rédaction de l’accord. M. Harb a commencé par rappeler dans quelles circonstances les députés se sont rendus à la base de Kleyate alors que dans le reste du pays, le sang continuait à couler. «Nous sommes fiers de ce que nous avons fait, a-t-il dit. Fiers d’avoir essuyé les pires accusations dans le but de faire taire les canons et de mettre fin au chantage exercé sur la vie des Libanais». Selon lui, le document ne peut être jugé indépendamment des circonstances dans lesquelles il a été élaboré. «Où en sommes-nous aujourd’hui ?» Harb répond à cette question en précisant que si l’angoisse de l’avenir se lit encore sur les visages des Libanais, c’est essentiellement en raison des agissements du précédent régime, qui a traité les affaires de l’État avec un esprit milicien, violant constamment la Constitution, sans réaliser de véritable entente, dilapidant les fonds publics et remplaçant le régime d’économie libre par un système de monopoles économiques, alors que les gouvernements formés à cette époque avaient tous une coloration unique. «Si les Libanais sont aujourd’hui inquiets, terrassés par une grave crise économique, ce n’est pas la faute du document d’entente nationale, mais celle de sa mauvaise application», a-t-il conclu en émettant le souhait que ces célébrations se transforment en rencontres entre tous les Libanais. Taëf, une victoire donc pour les Libanais, qui ont réussi ainsi à mettre un terme à la guerre qui déchirait leur pays ? C’est ce qu’ont déclaré hier les orateurs célébrant les dix ans de l’accord. Ils ont peut-être raison, même si pour la plupart des Libanais, cette victoire a un goût amer puisqu’elle a multiplié les exclus et surtout puisqu’elle n’a pu être réalisée sans l’aide des puissances régionales et internationales, auxquelles d’ailleurs les participants à la cérémonie d’hier ont rendu de vibrants hommages.
Des députés tendus à l’extrême dans une caserne oubliée retapée à la hâte, des journalistes sceptiques et peu empressés, des forces de l’ordre plus ou moins dépassées… La scène qui semblait sortie d’un film surréaliste s’est pourtant bien déroulée le 5 novembre 1989 à la base militaire aérienne de Kleyate. Le document d’entente nationale adopté à Taëf...