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Actualités - REPORTAGES

Loisirs - Sur les hauteurs de Bickfaya, un homme a fait de sa maison l'écrin de ses passions Quand collectionner devient une drogue ... (photo)

Nous avons tous, enfants, entendu l’histoire de la caverne d’Ali Baba. Tous, nous avons rêvé de cet antre merveilleux qui dévoilait ses trésors sur un Sésame, ouvre-toi ! Mais aujourd’hui, nous sommes grands. Fini le temps des rêves ? Pas tout à fait… Les trésors existent encore, mais il faut savoir les dénicher. Il en existe un, pas si loin, sur les hauteurs du Mont-Liban, à Bickfaya. Cette caverne est devenue une belle bâtisse, et son propriétaire, Michel Kamal, est l’Ali Baba des temps modernes. Trouver la maison de Michel Kamal à Mhaydssé sur les collines de Bickfaya n’est pas très compliqué. Il suffit de demander où se trouve l’ancienne Régie des tabacs, que tout le monde, dans la région, connaît. Après quelques virages, la façade de la maison en pierre de taille apparaît, sur le bord d’une route qui sert souvent de circuit de vitesse à quelques fous du volant. Mais il suffit de pousser la lourde porte en bois pour quitter l’agitation de notre société et pénétrer un monde où le temps semble s’être arrêté. Bâtie en 1928 par l’architecte Antoine Tabet, également concepteur de l’hôtel Saint-Georges à Beyrouth, la maison devient un entrepôt de la Régie des tabacs vers la fin des années cinquante. Elle ne perd cette fonction qu’en 1974. Quand Michel Kamal en prend possession, en 1980, il ne peut l’habiter immédiatement, les murs n’étant que du béton brut. Trois ans de réfection sont nécessaires pour révéler la beauté architecturale de la demeure. Les pierres sont mises à nu, les détails des sculptures dévoilés. Aujourd’hui, c’est par un magistral escalier de larges pierres, baigné de la lumière dorée du soleil, que l’on accède au second étage où résident Michel Kamal, sa femme et leurs quatre enfants. Après avoir poussé la porte dent la maison, le visiteur hésite à entrer. Se serait-il trompé ? La maison a plus l’apparence d’un musée que celle d’un endroit de vie au quotidien. Meubles, vitrines, tables, bibelots en tout genre envahissent les pièces. Cette maison représente une vie, celle de Michel Kamal, né en 1938, collectionneur probablement pathologique mais assurément passionné. Michel Kamal parle avec un plaisir non dissimulé de ses pièces et de sa maison. Sa passion pour les antiquités est née avec son amour pour sa femme. Daad Noujeim a vécu ses jeunes années au milieu des antiquités, ses parents étant collectionneurs et deux de ses frères possédant des boutiques d’antiquités dans le centre-ville. Quand Michel la rencontre, son goût pour les antiquités éclate. Quelques années plus tôt, il avait déjà commencé à collectionner de petits objets, essentiellement en opaline. La bonne qui travaillait chez ses parents habitait dans un quartier connu précisément pour ses opalines. Elle l’emmenait donc avec elle pour l’aider à réaliser ses premiers achats. «Avec 25 livres, tu peux acheter toutes les opalines du marché !» lui lançait-elle. Lui, à cette époque, n’avait pas dix-huit ans. Son argent de poche était très limité, et ses parents, qui ne soutenaient pas cette passion naissante, le prenant au contraire pour un fou, n’allaient certainement pas lui allouer un supplément d’argent. Mais Michel Kamal avait et a encore deux qualités majeures : la patience et l’entêtement. La stratégie de cet amateur d’antiquités est simple. En se promenant, il voit une pièce qui lui plaît. Si le montant qu’il a en poche est suffisant pour acheter l’objet de ses désirs, il l’acquiert immédiatement. Si le montant est inférieur, il attend. Il patiente et il économise et «si (il a) de la chance, l’objet sera encore là». Cette méthode, il la suivait à 15 ans, il la suit encore aujourd’hui. Quand il rencontre sa femme, son attrait pour les antiquités passe à un niveau supérieur. Cependant, il fait un blocage. Certes, il admire et apprécie les objets antiques, mais il ne veut pas les avoir chez lui. L’idée de s’asseoir sur un sofa où d’autres personnes se sont assises avant lui le révulse. Sa femme, fine psychologue, c’est d’ailleurs sa profession, l’emmène alors dans les meilleures galeries beyrouthines. Quand Michel Kamal réalise que les objets y sont exposés et que les meilleures familles se les procurent pour leur intérieur, ses appréhensions s’atténuent. Lors de la première année de fiançailles, le couple achète un salon entier, dont un second exemplaire, identique, se trouve à Beiteddine dans le salon présidentiel. Michel Kamal accepte que le salon soit installé chez lui, mais il exige de prendre personnellement en charge le nettoyage, pour ne pas dire la désinfection de tous les éléments dans leur moindre détail. Avec le temps, cette phobie des «microbes du passé» a disparu. Frénésie insatiable Outre cet aspect, Michel Kamal, au début, surveillait toute la réfection des pièces antiques. Quelques années plus tard, il s’en charge lui-même. En observant durant de longues heures les professionnels, il a appris à tout faire lui-même. Il y a quelques années, il s’est lancé dans la réparation d’un dessus de coffre. Il y a incrusté des morceaux de nacre qui manquaient après les avoir lui-même découpés. En fin de compte, il a transformé ce dessus de coffre en une table basse. Pendant des années, chaque semaine, Michel Kamal se rendait à Damas pour en ramener quelque chose. Les autres jours, il faisait un tour dans le quartier de Basta à Beyrouth. Sa frénésie n’a toujours trouvé pour seule limite que son budget financier. Résultat, sa maison est aujourd’hui un enchevêtrement d’objets. Des coffres et des consoles fatimides côtoient des pendules et des lampes à huile en opaline, des tapisseries chinoises de l’époque mandchoue trônent au-dessus de chaises ottomanes réalisées par Naasan, un fameux artiste damascène. Plus loin, une série d’icônes russes semblent surveiller une collection d’anciens cadenas avec leurs clés. Quel que soit l’endroit où le regard se pose, il découvre un nouvel objet. Une semaine entière passée dans les lieux ne suffirait pas à découvrir toutes les petites merveilles que recèlent les moindres recoins de la maison. Mais tous les trésors ne se limitent pas à la surface du second étage. Au premier étage, la promenade continue et là le visiteur, un peu circonspect, découvre une nouvelle collection : des centaines de petites voitures matchbox sont accumulées dans trois placards différents. Elles sont toutes là «exactement comme sur les catalogues», précise M. Kamal. Mais la plus grande surprise reste enfouie au sous-sol. Après la descente de quelques marches, tête baissée pour éviter le plafond très bas, le visiteur arrive dans un vaste garage où six Mercedes des années 50 semblent attendre patiemment leur maître. Sa première Mercedes, Michel Kamal l’a achetée alors qu’il rénovait sa maison. L’ami d’un ouvrier est venu un jour avec une vieille Mercedes. M. Kamal en est immédiatement tombé amoureux. Il l’a achetée et a commencé les travaux de réfection. Là aussi, il tient à tout faire seul. C’est pourquoi, il s’est procuré tous les catalogues de Mercedes qui donnent dans le détail les indications sur les moindres éléments de la voiture. Armé de ses outils, de son chalumeau et entouré des multiples pièces de rechange, Michel Kamal entreprend les travaux. Il fut une époque où, selon les dires de sa femme, Michel Kamal passait son temps à la cave. «Il ne remontait que pour manger, prendre son bain et dormir», explique-t-elle. Ses voitures, il les aime pour elles-mêmes. -Il ne les a sorties qu’une seule fois, le jour du mariage de sa fille. Le reste du temps, il préfère les garder dans son garage. Il les regarde, il s’en occupe, il rêve... Il s’évade dans son monde enchanté. Aujourd’hui, les voyages à Damas se font plus rares. Avec la crise et les aléas de la guerre, les sources de revenus de M. Kamal ont diminué. Dans le passé, il dirigeait une imprimerie à Achrafieh. Pendant la guerre entre les Forces libanaises et l’armée, il lui est devenu impossible de faire chaque jour le trajet entre Bickfaya et Beyrouth. Il a dû fermer l’imprimerie. À la fin de la guerre, il avait perdu tous ses clients et l’imprimerie est restée fermée. Mais Michel est patient. Il attend, et dès qu’il aura un peu d’argent il reprendra la quête. Un objet ou peut-être un jour cette Mercedes qui manque encore à sa collection, la Mercedes sport 190 S. De toute manière, Michel Kamal, quand il commence quelque chose, il le termine. Il a le temps, un jour viendra… À l’issue de ce voyage dans le temps, les portes de la caverne se referment. Le visiteur encore un peu saoul de toutes ses découvertes descend lentement le grand escalier de pierres. Il arrive à la grande porte, pousse les lourds battants. Une fois dans la rue, il se retourne sur la belle façade. N’aurait-il pas rêvé… ?
Nous avons tous, enfants, entendu l’histoire de la caverne d’Ali Baba. Tous, nous avons rêvé de cet antre merveilleux qui dévoilait ses trésors sur un Sésame, ouvre-toi ! Mais aujourd’hui, nous sommes grands. Fini le temps des rêves ? Pas tout à fait… Les trésors existent encore, mais il faut savoir les dénicher. Il en existe un, pas si loin, sur les hauteurs du Mont-Liban, à...