Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

"Lire en français et en musique 99" - Interview Dominique Baudis : un roman sur "Sanjil, l'oublié des Croisés" (photos)

Entre Dominique Baudis et le Liban, c’est, pourrait-on dire, une vieille histoire d’amour. Tout juste sorti de l’université, Dominique Baudis effectue son service militaire en tant que coopérant à Beyrouth, à la CLT (Compagnie libanaise de télévision). Puis il retourne au Liban, comme journaliste cette fois-ci, correspondant permanent de la télévision française. Il couvrira les dix-huit premiers mois du conflit libanais. Il quitte la fournaise proche-orientale à la mi-1976 pour d’autres cieux, pas forcément plus cléments. Mais à l’en croire, le Liban au même titre que Toulouse, la ville française dont il est le député-maire, a profondément marqué sa vie. À tel point que les personnages historiques qui peuplent ses deux romans – «Raimond le Cathare» et «Raimond d’Orient» – sont des hommes à la fois liés à Toulouse et au Liban. Il viendra d’ailleurs présenter ses deux ouvrages au Salon Lire en français et en musique, dès la fin octobre. En attendant, c’est dans son bureau de l’Assemblée nationale, à Paris, que Dominique Baudis évoque tous ces sujets. Perché au fond d’un couloir, en haut d’un petit escalier, le bureau du député-maire de Toulouse est lové dans un recoin de l’imposante bâtisse du palais Bourbon. Meubles en bois massif et fauteuils de velours rendent l’espace étroit, mais chaleureux. Pour Dominique Baudis, cette visite au Liban «est émouvante». «J’ai vécu cinq années au Liban», raconte-t-il. «Avant le début de la guerre, j’ai fait ma coopération, puis il y a eu les premières années du conflit. Le Liban compte beaucoup pour moi, parce que c’était la première fois que je vivais aussi longtemps à l’étranger. À Beyrouth, j’ai découvert l’Orient avec toute sa complexité ; les liens forts qui le lient à la France. J’y ai également appris mon métier de journaliste télé», remarque-t-il. Puis, changement d’orientation professionnelle, Dominique Baudis est élu, à 36 ans, député-maire. «Me retrouvant maire de Toulouse, allant chercher loin dans notre histoire, j’ai retrouvé le Liban et Tripoli», souligne-t-il. «Pendant presque un siècle, c’est une famille de Toulousains, Raimond de Saint-Gilles et ses descendants, partie en Orient pendant la première Croisade, qui a gouverné le comté de Tripoli. Ce comté, qui avait pour capitale la ville de Tripoli, s’étendait de Nahr el-Kalb jusqu’à Lattaquié dans le nord, soit la partie littorale de la Syrie et le nord du Liban actuel». Raimond de Saint-Gilles Alors quand, au bout du troisième mandat parlementaire, Baudis a de nouveau, le temps de se consacrer à l’écriture, il dirige tout naturellement ses recherches vers la période des croisades, et va à la rencontre de Raimond de Saint-Gilles, «Sanjil, comme l’appellent les Arabes», précise-t-il. «Son nom a fait écho à des noms d’endroits vus au Liban. J’ai eu envie d’écrire sur cet homme qui est dans les chroniques mais auquel on n’a jamais consacré un livre». Pourquoi Sanjil, cet «oublié des Croisés» ? Les raisons sont multiples. Elles tiennent d’abord au personnage lui-même. «J’ai voulu faire revivre un homme qui, à 55 ans, quitte son pays, sa ville, ses terres très vastes, pour aller voir ailleurs. Contrairement à beaucoup de chefs francs qui ont participé aux croisades dans un but de conquête et d’enrichissement, Raimond de Saint-Gilles est un homme riche qui n’est pas appâté par le gain», indique Dominique Baudis. «Il est le seigneur le plus puissant du royaume, il a des terres plus importantes que celles du roi de France. Mais c’est quelqu’un qui a le goût de l’aventure. Une chose ne l’intéressait que dans la mesure où elle était à conquérir». Raimond de Saint-Gilles est également animé d’une grande foi. Et le fait que sa troisième épouse soit enceinte ne lui fait nullement changer ses projets. «Après la conquête sanglante de Jérusalem, les chefs francs proposent à Raimond de Saint-Gilles la couronne de la ville. Mais il la refuse, sur un mouvement d’humeur et parce qu’il est de caractère instable, aventurier». Mais ayant juré de mourir en Terre sainte, il jette son dévolu sur le comté de Tripoli. «La région est fertile, et c’est une porte sur la mer. Et à l’époque, les deux grandes richesses étaient l’agriculture et le commerce en Méditerranée. La dynastie toulousaine tenait à la fois des ports en Méditerranée occidentale comme Narbonne et des ports en Méditerranée orientale. Ce qui représentait une richesse considérable», relève Dominique Baudis. «Raimond de Saint-Gilles choisit Tripoli pour une troisième raison, souligne le romancier-historien, c’est une terre qui a une forte population chrétienne, maronite et orthodoxe, une population qui ne lui est pas hostile, a priori». Ce qui intéresse Dominique Baudis, qui ne semble pas avoir perdu ses réflexes de journaliste, c’est toujours la double lecture du fait historique : «Les Croisés qui arrivent devant Antioche attaquent la ville ou la libèrent, cela dépend de quel point de vue on se place». Cette ambivalence des faits historiques, on la retrouve dans les relations entre Francs et chrétiens d’Orient. «Les tensions étaient importantes», souligne l’auteur. «Il est vrai que les Francs nouaient des relations plus étroites avec les chrétiens qu’avec les musulmans. Il n’en demeure pas moins que les libérateurs considéraient les autochtones comme des citoyens de seconde zone». Un Orient si compliqué Quelque mille ans avant le général De Gaulle qui disait : «Aller vers l’Orient compliqué avec des idées simples», Raimond de Saint-Gilles découvre un Orient complexe. Quant au plus grand péril qu’il risque d’y rencontrer, «c’est l’ignorance», le met en garde Charbel, l’interprète mis à sa disposition par l’empereur byzantin. Ignorance d’un monde qu’il croit connaître. Mais dont il ne possède que les données géographiques, non pas humaines ou culturelles. Cinq générations de Saint-Gilles se succèderont à Tripoli. Après avoir abordé le parcours de Raimond 1er, Dominique Baudis travaille sur la vie du cinquième et dernier gouverneur franc du comté de Tripoli. «Lui est dans une situation complètement différente», souligne le romancier. «C’est un occitan par ses aïeux, mais il est né en Orient, ainsi que son père et son grand-père. Il ne connaît pas Toulouse. Il a vécu entre Tripoli, Beyrouth et Jérusalem. Il parle le turc et l’arabe et il a lu le Coran. Il a épousé une femme d’une grande famille noble arménienne, née elle aussi en Orient». Son problème ? «Rechercher une solution, un terrain de dialogue entre les deux cultures qui sont les siennes». Un travail qui semble bien avancé, puisque la parution est prévue pour l’année prochaine. * Il signera son ouvrage au stand de la librairie Antoine samedi 30 octobre, à 19h30. Les mêmes forces à l’œuvre «On retrouve, huit cents ans plus tard, les mêmes forces à l’œuvre autour de la Méditerranée», affirme Dominique Baudis. «Une lutte terrible entre Turcs et Arabes ; Byzantins et Francs. Les Byzantins avaient le même mépris pour les Turcs, qu’ils traitaient de barbares de l’est, que pour les Francs, barbares de l’ouest». Et il remarque qu’on «retrouve aujourd’hui ces quatre forces en présence : les sunnites, les chiites, les orthodoxes et les latins. Par exemple, dans le conflit du Kosovo, les Occidentaux ont redécouvert l’existence du monde orthodoxe». Et de rappeler que la Méditerranée a été, «plus que d’autres lieux, marquée par le fait religieux. Elle a été le berceau des monothéismes qui se sont inspirés les uns des autres et se sont combattus. C’est une réalité qu’on ne peut ignorer, au risque de la voir nous sauter à la figure». Active collaboration entre Toulouse et le Liban Entre Toulouse et Tripoli s’est établie, depuis des années, une coopération active. «Notamment entre les hôpitaux français et l’hôpital Saint-Georges de Beyrouth», précise Dominique Baudis. Par ailleurs, une fois la guerre terminée, la Société toulousaine des transports en commun a conseillé Beyrouth dans la remise sur pied de son réseau de transports en commun. Enfin, la restauration des vieux souks de Tripoli se fait en collaboration avec la région toulousaine. Trois métiers, un même but Successivement journaliste puis député, et romancier à ses heures de loisir, Dominique Baudis dit avoir exercé des activités qui présentent des similitudes : «Ce sont des métiers qui reposent sur la relation avec le public, sur le dialogue». Journaliste : «J’ai fait mon métier avec passion. J’ai vécu au Liban, les plus beaux et les plus forts moments de mon existence. Mais c’est un temps révolu, je ne me vois pas refaire les mêmes choses, courir sous les bombes, vivre dans le danger permanent…». La mairie : «J’ai eu la chance d’être élu alors que je n’avais que 36 ans. Mon père était maire de Toulouse et cela m’a toujours intéressé de m’occuper d’une ville». Quant à l’écriture : «J’y consacre tous mes loisirs». Outre la recherche et la compulsion d’une documentation sérieuse et complète – «J’utilise le travail des historiens pour raconter des histoires» –, Dominique Baudis semble se délecter «des grandes zones d’ombre. Là on peut inventer, laisser vagabonder son imagination».
Entre Dominique Baudis et le Liban, c’est, pourrait-on dire, une vieille histoire d’amour. Tout juste sorti de l’université, Dominique Baudis effectue son service militaire en tant que coopérant à Beyrouth, à la CLT (Compagnie libanaise de télévision). Puis il retourne au Liban, comme journaliste cette fois-ci, correspondant permanent de la télévision française. Il couvrira les...