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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Lire en français et en musique 99 Hector Bianciotti : la réalité, un vivier inépuisable (photos)

Académicien, amoureux des mots, Hector Bianciotti écrit comme d’autres respirent. L’empreinte des mots est, pour lui, «Comme la trace de l’oiseau dans l’air» (le titre de son dernier ouvrage), éphémère et mystérieuse. Écrivain curieux de ce que font les autres, il est également critique littéraire au quotidien «Le Monde» et appartient au comité de lecture de Grasset. En attendant de le rencontrer au Salon «Lire en français et en musique 99» où il présentera son dernier ouvrage, discussion à bâtons rompus autour d’un thé parisien. Avec Comme la trace de l’oiseau dans l’air, Hector Bianciotti clôt la trilogie autobiographique qu’il a commencée en 1992 avec Ce que la nuit raconte au jour, et qu’il a poursuivie avec Le pas si lent de l’amour (1995). Dans un style toujours aussi flamboyant, il décrit dans ce troisième volet le retour de l’enfant prodige au pays de sa naissance. Cette pause dans le présent est le prétexte pour un retour en arrière, dans les méandres sinueux et sélectifs de la mémoire. Pour Hector Bianciotti, la réalité est un vivier inépuisable. «Je n’ai pas beaucoup d’imagination», lance-t-il. Avant de préciser cependant, en avoir «pour les détails. J’ai vécu de nombreuses expériences de vie et je pense que les gens veulent de plus en plus sentir que derrière un livre, il y a une personne», avec son vécu, sa sensibilité, sa vision des choses. Ce ne sont pas tant les faits qui intéressent ce magicien des mots. La réalité n’est pour lui qu’un prétexte, une raison aussi valable qu’une autre, pour s’emparer des mots. Dans les assemblages qu’il fait, il laisse exploser son imagination, tissant une toile aux couleurs vives. «En fait, relève-t-il, je n’écris pas ma vie. Tous les personnages et les faits sont vrais, mais un écrivain ne peut écrire sa biographie, car sa plume est aimantée par les mots». Et d’expliquer : «Alors que je suis en train d’écrire telle ou telle chose, un mot tombe dans la phrase. Un mot que la phrase n’attendait pas et tout bascule dans un autre sens. Et cela peut être la vérité d’un autre. Je vais tout le temps, ainsi, de glissade en glissade». Outre ce mystère de l’écriture, il y a pour Hector Bianciotti un facteur déterminant qui entre en jeu : la mémoire. «Elle s’apparente au rêve», souligne-t-il. «On fait un rêve. Mais dès l’instant où on cherche à le raconter à quelqu’un, il disparaît. En fait, nous n’avons pas le souvenir réel de ce que nous avons vécu», affirme-t-il. «Nous gardons en mémoire le souvenir modifié de la dernière fois que ce souvenir s’est présenté à nous. Il y a à chaque fois rajout ou suppression». Et d’ailleurs, estime-t-il, c’est tant mieux, car «la vie est très mauvais écrivain. Souvent les situations se répètent», elles sont, en tout cas, bien plus fades que ce que peut façonner l’imagination. Hector Bianciotti puise sans complexe dans la vie de sa famille, changeant ce que bon lui semble, comme le dit Orlando, son frère aîné, dans les premières pages de Comme la trace de l’oiseau dans l’air : «Je ne serais pas étonné que ce moment, cette réunion de famille, donne quelques pages… quelques pages où bien entendu, je ne dirais pas exactement ce que j’aurai dit, ni personne». Mais l’écrivain n’en a cure, «l’essentiel, c’est le résultat du livre, non pas la pauvre vérité personnelle», dit-il. D’ailleurs, pour Hector Bianciotti, écrire c’est laisser une trace. «Non pas une trace personnelle, précise-t-il, mais une phrase, une réflexion que le lecteur puisse s’approprier». L’idée d’originalité est selon Bianciotti «un mythe moderne. Cela permet de faire des procès», lance-t-il. «La grande littérature a toujours pris ce qui venait avant ; Aristote a pris ce qu’avait écrit Homère, et personne ne s’est soucié de ces choses-là». Le séminaire, porte du paradis Né en Argentine le 18 mars 1930 dans la plaine de la province de Cordoba, d’une famille d’origine piémontaise, Hector Bianciotti saisit la chance d’aller faire son séminaire à Buenos Aires, pour fuir les inévitables travaux des champs auxquels il est promis. Là, il découvre les livres, la musique et la langue française. «J’ai lu les œuvres de Paul Valéry en m’aidant d’un dictionnaire», raconte-t-il. Il quitte son pays natal en 1955. Après un passage à Rome et quatre années en Espagne, il s’installe définitivement en France en 1961. Il publie quatre romans et un recueil de nouvelles, traduits en français. Il commence à écrire en français en 1972, pour le Nouvel Observateur. «Ils voulaient un article sur un important écrivain chilien», se souvient-il. Petit à petit, c’est la langue française qui prend le dessus. Et vingt ans plus tard, il publie, dans la langue de Molière, Sans la miséricorde du Christ (1985), qui décroche le prix Femina du premier roman. «Je ne sais pas comment s’est effectué le passage d’une langue à une autre», souligne l’auteur. «Je sais que l’orthographe du français est terrifiante, ce qui n’est pas le cas de l’espagnol». Et il constate avoir «une conscience de la langue française plus forte que celle que j’avais de l’espagnol». Une conscience d’autant plus aiguë qu’Hector Bianciotti fait partie, au sein de l’Académie, de la Commission du dictionnaire, chargée de décider de l’adoption de tout nouveau terme dans la langue française. «C’est un réel plaisir de travailler sur la langue», affirme-t-il. Un plaisir doublé d’une lourde responsabilité que Bianciotti assume avec beaucoup de sérieux. Un académicien heureux Hector Bianciotti est membre de l’Académie française depuis 1996. Heureux de cette appartenance, il dit avoir eu l’impression, en y étant admis, «d’être arrivé à ma maison». Et il précise : «Pour un vagabond comme moi, c’était rentrer à la maison, non celle de la famille, mais bien mon chez moi». Il se souvient encore des moindres détails de cette «aventure» : de la rencontre avec Mme Jacqueline de Romilly ; d’avoir raté de peu le prix de l’Académie pour Le pas si lent de l’amour ; de s’être présenté à l’Académie, sur l’insistance de quelques amis, dont Mme de Romilly ; d’y avoir été élu un 18 janvier. C’est d’autant plus important pour lui, qu’étranger, il n’a commencé à écrire des romans, dont la trilogie de «l’autofiction» et à publier en langue française, qu’à l’âge de 55 ans. Un siège à l’Académie, c’est par ailleurs «important pour ma famille», indique-t-il. «Contrairement à l’écriture qui leur a toujours semblé être quelque chose d’abstrait, l’Académie c’est du concret». Une méthode de travail Hector Bianciotti écrit à la main. «Cela permet de prendre le temps de réfléchir», dit-il. «La lenteur de la main est indispensable pour la littérature». Outre le mercredi où il a Comité de lecture et le jeudi qu’il consacre à l’Académie, Hector Bianciotti s’installe quotidiennement à sa table de travail. Entre 13h30 et 18h30, il est scotché à sa chaise, un crayon à la main. Le rituel semble immuable. «J’écris comme cela vient, d’un jet, sans relire», précise-t-il. «Une fois tout le manuscrit terminé, je le reprends et le tape à la machine. C’est là que je corrige, que je modifie». Puis l’ouvrage est prêt pour entrer dans le circuit normal de l’impression. Un regard curieux mais critique En plus d’être académicien, Hector Bianciotti appartient au Comité de lecture d’une des grandes maisons d’édition parisiennes. Il est également critique littéraire au quotidien Le Monde. «L’article est un véritable cauchemar», dit-il. Cela pour deux raisons : «À peine terminé, le texte est envoyé à la publication. Je n’ai ni le temps d’y repenser, ni celui de le corriger. C’est trop rapide pour moi», souligne-t-il. «Autre difficulté, faire la synthèse de toute une œuvre. Un article c’est beaucoup de recherches et de travail. Puis il faut trouver l’angle sous lequel traiter le sujet. Tenter, autant que faire se peut, de découvrir un aspect non stéréotypé de l’écrivain et de son œuvre».
Académicien, amoureux des mots, Hector Bianciotti écrit comme d’autres respirent. L’empreinte des mots est, pour lui, «Comme la trace de l’oiseau dans l’air» (le titre de son dernier ouvrage), éphémère et mystérieuse. Écrivain curieux de ce que font les autres, il est également critique littéraire au quotidien «Le Monde» et appartient au comité de lecture de Grasset. En...