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Actualités - OPINION

Lecture Arcanes des mémoires et métissage des cultures "Récit d'un certain Orient" de Milton Hatoum(photos)

« Pour t’annoncer (dans une lettre qui allait être l’abrègement d’une vie) qu’Émilie nous avait quittés pour toujours. Je revis avec les yeux de la mémoire les épisodes de l’enfance, les chants, le langage des autres, notre vie parmi eux et nos rires, quand nous entendions la langue hybride qu’Emilie réinventait jour après jour. C’étais comme si je tentais de susurrer à ton oreille la mélodie d’une chanson prisonnière et que, petit à petit, les notes éparses et les phrases syncopées aient fini par modeler et moduler la mélodie perdue». D’origine libanaise, Milton Hatoum est le descendant de l’une des immigrations qu’a connues le Brésil dans les premières décennies de ce siècle. Né à Manaus en 1952, il vit et enseigne dans l’université de cette ville, au cœur de l’Amazonie, les lettres françaises et la littérature comparée. En 1991, il retrace dans son saisissant Récit d’un certain Orient l’itinéraire d’une famille libanaise au cœur de la capitale amazonienne, dans un style que l’on dirait directement inspiré de celui des Mille et une Nuits. Des récits croisés et des voix qui se mêlent. Récit d’un certain Orient est son premier roman. Il a été traduit en français, en anglais et en plusieurs autres langues européennes. Il a reçu au Brésil le prix Jabuti qui récompense le meilleur roman. L’écrivain porte en lui une double origine. Celle de sa famille venue du Liban s’établir au cœur de l’Amazonie, et celle d’une mère brésilienne, source d’un enracinement dans l’exubérance même du sous-continent latino-américain. Récit d’un certain Orient est une sorte de petite recherche du temps perdu. C’est l’histoire d’une jeune femme qui rentre au Brésil, le pays de son enfance, après une longue absence. Elle raconte à son frère, resté à l’étranger, l’histoire de ce retour et cette remontée dans les méandres des souvenirs. Ce roman a pour personnage central Émilie, morte, mais vivante encore dans le souvenir de ses proches. Elle est la dépositaire et l’ordonnatrice principale de ce commencement de la mémoire. Elle n’est présente qu’à travers les divers témoignages de ses familiers qui entrent dans un « échange silencieux avec le passé »: la narratrice d’abord, revenue dans la ville de son enfance ; Hakim, son oncle, le fils d’Émilie ; la fille de celle-ci, Samara Délia ; Dorner, le photographe allemand. Le roman est imprégné de cette inguérissable nostalgie qui vient avec l’exil: « Tout rivage, tout littoral les attire, et en quelque endroit du monde où ils se trouvent, les eaux qu’ils voient ou qu’ils fendent sont toujours celles de la Méditerranée». Et à la clef du roman, la tragique déception du «jamais plus comme avant»: « La marée basse avait détaché le port du débarcadère et tandis que je franchissais à pied la distance qui les séparait, je découvris avec horreur une ville inconnue, une plage d’immondices, de déchets de misère humaine, avec en outre l’odeur fétide de la décomposition montant du sol, de la boue, des entrailles des pierres rouges et de l’intérieur des embarcations». Un bien triste « vingt ans après »qui justifie l’évocation d’une autre vie, d’autres vies, liées au souvenir d’Émilie. Récit d’un certain Orient (Relato de Um Certo Oriente) de Milton Hatoum. Traduit du portugais (Brésil) par Claude Fages et Gabriel Laculli. Ed. Seuil, 204p.
« Pour t’annoncer (dans une lettre qui allait être l’abrègement d’une vie) qu’Émilie nous avait quittés pour toujours. Je revis avec les yeux de la mémoire les épisodes de l’enfance, les chants, le langage des autres, notre vie parmi eux et nos rires, quand nous entendions la langue hybride qu’Emilie réinventait jour après jour. C’étais comme si je tentais de susurrer à...