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Actualités - OPINION

Tribune Un pays à la dérive ?

Le conflit entre loyalistes et opposants tourne aujourd’hui autour de la question de savoir qui des deux est plus proche de la Syrie et plus soucieux de défendre ses intérêts. Le pouvoir est accusé d’«américanisation» par ses adversaires. Il se préparerait, le moment venu, à tourner casaque et à porter un coup fatal à la coordination libano-syrienne. Pour étayer cette thèse, l’ancien ministre de la Défense Mohsen Dalloul révèle avec fracas que les Américains disposent d’un centre d’écoutes téléphoniques situé dans la banlieue de Beyrouth. Les loyalistes répondent à ces accusations en précisant que M. Dalloul a omis d’indiquer que ce centre existe depuis un long moment et que lui-même, en tant que ministre de la Défense, avait laissé faire les choses. Ils rappellent également que M. Dalloul et l’ancien Premier ministre Rafic Hariri avaient «comploté» ensemble en 1993, pour envoyer l’armée au Sud à l’insu de la Syrie. Ils font aussi état de la promesse faite par Hariri aux Américains de traduire en justice les principaux dirigeants du Hezbollah accusés d’actes terroristes. L’opposition, elle, est également accusée d’être à la solde d’Israël. Directement, comme l’affirme le député Moustapha Saad qui révèle que la Fondation Hariri a collaboré avec l’ennemi au moment de l’occupation de Saïda dans l’espoir de créer un canton sunnite dans la région, ou indirectement, par le biais d’Arafat, lui-même agent stipendié d’Israël, comme l’affirme le député Najah Wakim. La réponse du camp adverse ne s’est pas fait attendre : l’ancien secrétaire général du parti Baas, dans une déclaration vite démentie par ailleurs, accuse «des députés et des ministres d’être des agents d’Israël». L’opposition révèle, de son côté, les liens entretenus avec Arafat par le ministre Issam Naaman qui aurait servi de prête-nom au Fateh, en ce qui concerne ses investissements économiques au Liban. Ces échanges d’accusation, dont nous donnons ici un très bref aperçu, entraînent plusieurs constatations : – La première est que la Syrie, s’il faut en croire ses partisans dans les deux camps, n’a amené au pouvoir au Liban que des «agents» américains ou israéliens – la différence dans ce cas n’est pas importante – qu’elle avait estimé être de véritables nationalistes. La naïveté des Syriens est d’autant plus étonnante qu’ils ont, depuis 1990, la haute main sur le pays et que leur réputation dans le domaine politique n’est plus à faire. – La seconde constatation qui s’impose est que la justice devrait se mobiliser sur la base de ces échanges d’accusation pour prendre les mesures qui s’imposent. Il n’est pas concevable que les Libanais continuent de vivre avec ce surplus d’agents stipendiés qui leur empoisonnent l’existence. Faute de quoi, la décence la plus élémentaire devrait imposer une révision à la baisse des jugements prononcés à l’encontre des miliciens de Jezzine et, peut-être, une remise de peine pour l’ancien chef des Forces libanaises, le rôle de bouc émissaire qui lui était dévolu n’ayant pas, de toute évidence, donné les résultats escomptés. – La troisième constatation est que le Liban pourrait, avec cette représentation pléthorique d’agents de tous bords, faire l’économie d’une participation aux négociations de paix, toutes les parties concernées étant amplement représentées par leurs concessionnaires locaux. Mais trêve de plaisanteries ! Ces échanges d’accusation révèlent un malaise profond. Le système mis au point après 1990 fonctionne de plus en plus mal. La machine est grippée. L’essentiel de la vie politique se réduit désormais à ces échanges de coups. Une attaque entraîne une contre-attaque, qui entraîne à son tour une nouvelle attaque. Les adversaires sont engagés dans un cycle dont la vitesse augmente progressivement et qui ne peut avoir comme débouché ultime que le recours à la violence. Dans ce face-à-face, le champ de vision des protagonistes se restreint de plus en plus. Peu importe ce qui se passe ailleurs, l’essentiel est de voir comment asséner le coup décisif à l’adversaire. Les grands problèmes qui se posent aux Libanais – la négociation, la crise économique, la succession en Syrie, la loi électorale... – n’ont plus, dans cette perspective, d’importance ; ils ne servent plus que de prétexte à la poursuite du combat. Plus grave encore est le fait que le frein syrien ne semble plus fonctionner. Certains accusent la Syrie de dresser les deux camps l’un contre l’autre pour mieux les contrôler. Mais les choses ne sont plus aussi simples. Quel intérêt, en effet, auraient les Syriens à voir l’édifice politique qu’ils ont difficilement mis sur pied après 1990, s’écrouler de la sorte ? Loyalistes et opposants ne se situent-ils pas, tous, sans exception, dans la mouvance syrienne ? Que peut leur apporter de plus qu’ils n’ont déjà la victoire de l’un ou l’autre camp ? En l’absence de tout frein local ou régional, la lutte que se livrent les deux camps en présence peut très vite déborder le champ politique. Face à une opposition qui n’arrive pas à se faire à l’idée qu’elle n’est plus à la tête de l’État, se dresse un pouvoir qui ne s’est pas encore remis de sa victoire et qui ne sait pas que la force en politique ne consiste pas à écraser l’adversaire, mais à le récupérer.
Le conflit entre loyalistes et opposants tourne aujourd’hui autour de la question de savoir qui des deux est plus proche de la Syrie et plus soucieux de défendre ses intérêts. Le pouvoir est accusé d’«américanisation» par ses adversaires. Il se préparerait, le moment venu, à tourner casaque et à porter un coup fatal à la coordination libano-syrienne. Pour étayer cette...