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Actualités - REPORTAGES

Régions - Un village de l'Anti-Liban coupé du pays Toufayl, par le chemin de Damas(photos)

Le plan directeur des carrières de pierre a révélé l’existence d’une région quasi inconnue : Toufayl. C’est là, entre autres, que les carrières – actuellement en certains points du Mont-Liban – vont se transposer. Situé sur le versant Est de l’Anti-Liban, le hameau est haut perché à 1 750 mètres d’altitude. Il regroupe une centaine d’habitations totalement coupées du pays. En effet, enclavé dans le territoire syrien, ce village libanais n’est accessible en voiture que par le chemin de Damas. Sur le versant libanais, c’est à dos d’âne qu’on peut s’y rendre, en suivant un sentier muletier tracé par les contrebandiers à partir de Ham. En route donc pour Toufayl, par Beyrouth – Damas – Maaloula – Rankous – Aassâl al- Ward, ! par monts et par vaux pour atteindre au bout de la matinée le petit poste frontalier qui annonce Toufayl. Jusque-là on roule bien. Mais après le check-point, la voiture cahote sur les ornières et de secousse en secousse, nous voici devant la première maison. C’est celle du moukhtar, Faouzi Assaad Hussein. Un calicot accueillant souhaite la «bienvenue aux visiteurs». Le drapeau libanais flotte doucement au souffle de la brise qui vient de se lever. Une population exclue Peut-on parler de rues ? Le village tout entier n’est que montagnes russes. Pour le traverser, il faut une autochenille ou un robuste tout-terrain. Et, bien entendu, la pauvreté rurale est au diapason. Les chemins pierreux nous mènent à un fouillis de masures et de bicoques branlantes. Des taudis, des baraques noirâtres dont les fenêtres étroites s’ouvrent à l’Est, au Nord et au Sud sur un vaste plateau planté d’arbres fruitiers. Côté Ouest, la chaîne de l’Anti-Liban ponctue l’horizon. Comme un barrage devant toute perspective… Rousseau, le chantre du bonheur agreste, y perdrait son bucolisme. La campagne à Toufayl, c’est plutôt un sentiment étouffant d’exclusion qu’un bol d’air pur. Le vocabulaire, les réflexes, les manières d’être de la population s’en ressentent. Toufayl ne connaît pas l’eau courante. «La société Zakhem creuse actuellement un puits artésien de 510 mètres. Mais les travaux d’installation du réseau de conduites d’eau ne sont pas encore terminés», explique le moukhtar». En attendant le branchement, on continue à faire venir notre eau de Syrie». Toufayl n’a pas l’électricité non plus : suite à un accord conclu entre le gouvernement syrien et l’État libanais en 1995, les poteaux portant les câbles se dressent sur le site depuis déjà huit mois. Et jusqu’à présent, ahurissant exemple de laxisme, le courant ne passe pas parce que les tarifs ne sont pas encore fixés ! Aussi, c’est la lampe à pétrole viciant l’air des pièces qui règne sur les soirées des Toufayli. Il n’y a évidemment ni climatisations, ni ventilateurs ni réfrigérateurs. Pas le moindre rafraîchissement l’été sous le soleil de Satan. Aucune onde radio venant du vert Liban. Pas de nouvelles fraîches du pays, si proche et si lointain. Il n’y a pas de dispensaire. Il faut aller à Aassâl el Ward pour traiter les petits bobos. À Damas, quand c’est plus grave. Pas de négoce : ni épicerie ni boulangerie ni pharmacie… «Il faut gagner la Syrie pour acheter le pain, les légumes, le charbon. Enfin tout ce dont nous avons besoin», souligne le moukhtar. Il ajoute qu’en hiver il n’y a pas de chasse-neige qui dégage la route, encombrée par les congères. Et son œil se voile à la perspective de ces jours plus lourds, plus sombres, plus durs. Étranger chez soi La vie n’est pas drôle à Toufayl. «On travaille comme des damnés, rien que pour ne pas mourir de faim», dit un cultivateur. «L’embêtant, voyez-vous, c’est lorsqu’on se dit que ça ne peut pas changer. En fait, lorsqu’on est jeune, on s’imagine que le bonheur viendra ; on espère des choses. Et puis la pauvreté recommence toujours, on reste enfermé là-dedans… Moi je ne veux du mal à personne mais il y a des fois où cette injustice me révolte», ajoute-t-il. «C’est qu’on se sent étranger des deux côtés de la barrière, fait remarquer pour sa part le moukhtar. On peut avoir 10 000 amis, mais lorsqu’on n’a pas une mère, on est des orphelins. C’est exactement ce qu’on ressent ici. Lorsque je rencontre les députés de Baalbeck, ils me reçoivent comme un des leurs ; certains d’entre eux se disent originaires de Toufayl. Mais personne à l’exception de Talaat Rifaï n’a jamais pris la peine de venir voir où nous vivons, et de quoi nous vivons. Toutes leurs paroles ne sont que promesses électorales !» Mais les jours ne leur laissent guère le temps de s’apesantir sur leur cas. Car il faut avant tout s’organiser. Et survivre, mot clef des Toufayli. Propriété de la Banque centrale Selon les habitants, Toufayl a été longtemps la propriété de particuliers syriens : Toufic Chamiyé, ministre des Finances dans les années 40, puis Assem Agha Suidan. Un contrat de métayage engageait les cultivateurs à reverser les 25% de leur production au propriétaire. Dans les années 70, Suidan vend Toufayl à un émigré libanais de la famille Fela (originaire du Hermel) et à la banque Mebco. Au début des années 80, la Banque du Liban hypothèque Toufayl pour une somme de 22 millions de dollars. Et en devient propriétaire par la suite. Géographie Dans les manuels scolairs, l’Anti-Liban est présenté comme une terre aride, quasi désertique et non productive. Pas ou très peu de cours d’eau. La chaîne montagneuse retombe de façon vertigineuse à l’ouest vers la plaine de la Békaa. Elle descend en pente douce à l’est vers la Syrie. L’Anti-Liban, presque inhabité, se prolonge au Sud par le massif de l’Hermon, qui culmine à 2 814 mètres. Village sunnite Toufayl était à l’origine un village panaché, qui regroupait des chrétiens, des chiites et des sunnites. La tradition orale veut qu’une dispute intercommunautaire ait entraîné l’exode des chiites (comme les Haïdar et les Yaghi) vers Baalbeck. Quant aux familles chrétiennes, elles ont également quitté Toufayl pour la Békaa ou Beyrouth lors de la Grande Guerre pour fuir la famine. Plus tard en 1948, le clan chrétien qui subsistait encore dans la région, celui des Saliba, est allé s’installer à Saydnaya, en Syrie. Il ne reste actuellement que des sunnites dans le village : les familles Doukko, Hussein, Sadaka, Chahini, Osman, Hassan et Choum. Les gens qui ont visité Toufayl dans les années 60 se souviennent d’«un immense cimetière». C’est aujourd’hui un terrain planté d’arbres fruitiers.
Le plan directeur des carrières de pierre a révélé l’existence d’une région quasi inconnue : Toufayl. C’est là, entre autres, que les carrières – actuellement en certains points du Mont-Liban – vont se transposer. Situé sur le versant Est de l’Anti-Liban, le hameau est haut perché à 1 750 mètres d’altitude. Il regroupe une centaine d’habitations totalement coupées du...