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Actualités - OPINION

Tribune Eloge de l'ignorance

Il ne faut pas croire que les universités fleurissent toujours durant les périodes de rabais et de soldes. C’est là simplement une heureuse coïncidence qui laisse augurer un accès plus facile de nos adolescents aux diplômes et aux parchemins qui font les civilisations. Le proverbe arabe ne dit - il pas qu’ajouter du bien au bien est encore un bien ? Peu de pays en réalité ont autant d’institutions scolaires et universitaires par tête d’habitant et ce n’est pas par hasard que nous nous complaisons à glorifier les surpassements planétaires de nos chercheurs, savants et autres docteurs, qui, tout au moins à nos yeux, culminent au sommet de toutes les échelles, dans tous les domaines et en tous lieux. Cependant, malgré la profusion des établissements et la variété des matières enseignées, il en est une qui n’a pas encore reçu sa chaire : c’est l’ignorance. Bien qu’on la rencontre chez certains sujets sous une forme spontanée et quelque peu fruste, on ne peut pas dire qu’elle soit déjà reconnue comme une discipline digne de figurer au cursus ce nos grandes écoles. Pourtant beaucoup de nos compatriotes – jeunes et moins jeunes – la pratiquent un peu à la manière de M. Jourdain la prose, sans toujours en faire bon usage ; mais le nombre n’est quand même pas négligeable de ceux qui ont pu s’en élancer comme d’un tremplin pour percer tous les plafonds et atteindre des succès fulgurants. Ces exemples attirent une quantité croissante de suiveurs. C’est dire combien il serait utile, même nécessaire, de donner à l’ignorance sa place dans les programmes destinés à conduire nos jeunes vers la réussite dans la vie et dans les affaires. Les parents, laissés à eux-même, ne peuvent suffire pour communiquer aux enfants un art qui ne se transmet pas toujours par osmose ou par voie génétique. Il y faut un savoir-faire, un sens de la pédagogie, que seuls des maîtres qualifiés et entraînés à cette tâche difficile peuvent posséder. La mise en place d’un tel monitorat aura toutefois le mérite de l’exclusivité. Il ne sera évidemment pas question d’exporter nos méthodes avant de laisser au pays le temps de bénéficier pleinement de ses éducateurs. Une fois les règles établies et démontrées, les capacités nouvelles développées par une méthodologie adéquate permettront à l’amateurisme d’aujourd’hui d’abandonner ses improvisations pour apprendre enfin à investir avec compétence ce qu’on ne sait pas, au profit d’ambitions inversement proportionnelles à ce que l’on sait. Un tel professionnalisme peut nous mener loin. Et la prospérité du pays avec nous. Mais d’ores et déjà, il est important de signaler que les candidats devront être dotés au départ d’assez de talent et de robustesse pour affronter de pareilles études. Car, si elle est timorée ou camouflée derrière un vernis de savoir facilement décelable, l’ignorance risque d’être méconnue et traitée avec négligence. C’est sous sa forme provocante qu’elle est efficace et c’est généralement à cette seule condition qu’elle intimide l’interlocuteur et le désarme. Lorsqu’elle est totalement maîtrisée, elle autorise toutes les audaces, elle ouvre toutes les portes, elle fait de vrais miracles. Les professeurs ne doivent donc pas se contenter d’inculquer à leurs élèves l’amour de cette matière subtile, mais il est essentiel qu’ils en soulignent le caractère révolutionnaire. Dans une société en voie de perdre ses valeurs, l’apport de valeurs nouvelles devient une aspiration populaire. L’ignorance représente à cet égard une force mobilisatrice peu commune. Mais, pour être crédible, elle ne peut souffrir la médiocrité. La mission de ces maîtres innovateurs n’en est que plus délicate, car elle exige un mélange paradoxal de nuance et de rigueur. Aussi, pour accomplir le but ultime de leur enseignement, devront-ils faire en sorte de laisser indéfiniment les adeptes de l’ignorance ignorer qu’ils ignorent
Il ne faut pas croire que les universités fleurissent toujours durant les périodes de rabais et de soldes. C’est là simplement une heureuse coïncidence qui laisse augurer un accès plus facile de nos adolescents aux diplômes et aux parchemins qui font les civilisations. Le proverbe arabe ne dit - il pas qu’ajouter du bien au bien est encore un bien ? Peu de pays en réalité ont autant...