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Actualités - REPORTAGES

Galeries, mode d'emploi (photos)

Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu, d’autres ont survécu ou ont vu le jour. Comment ont-elles évolué, quels sont leurs préférences, leurs espoirs, leurs déceptions ? Leurs luttes aussi. Un dossier actif qui mérite qu’on s’y arrête (*) : Joumana Rizk, la jeune galeriste de «Maraya-Reflets d’art», est une personne particulièrement dynamique. «Surtout par les temps qui courent, il faut se battre et rester constamment sur la brèche», affirme-t-elle. Entre deux coups de téléphone et trois signaux de fax, cette femme active et souriante parle de son intérêt pour la génération montante d’artistes libanais. Elle s’en occupe avec constance et régularité depuis mai 1994, date de l’ouverture de ce grand espace, dans le quartier de Badaro, à Beyrouth. «Nous accordons beaucoup d’importance aux activités parallèles» : elles entourent en quelque sorte les expostions faites à «Maraya», ou constituent un événement à part entière. Conférences, débats, signatures ou encore récitals permettent à la galerie de «sortir du cadre», comme le souligne Joumana Rizk. «Toutes ces manifestations parallèles nous amènent un public différent à chaque fois, et c’est ce que nous recherchons : établir une véritable communication avec l’artiste et son public, et faire de tout pour instaurer une certaine proximité». La jeune galeriste considère son métier non pas comme un risque, mais comme un défi permanent : «Il faut une bonne dose de passion pour trouver un nouveau souffle à chaque exposition, une nouvelle façon de la proposer». Douze artistes en six ans Les expositions sont assez peu nombreuses: pas plus de six ou sept par an, à l’image des autres galeries qui tiennent avant tout à suivre leurs artistes. «En six ans d’existence, “Maraya” n’a pas présenté plus d’une douzaine d’artistes en expositions individuelles. Ceux-là participent même parfois à des accrochages collectifs : non seulement ils mettent en valeur, par leur présence, les peintres exposant pour la première fois, mais ils peuvent également montrer une facette inédite de leurs talents». Et Joumana Rizk de donner comme exemple la récente exposition collective, intitulée “Impressions” : impressions sur papier (qui changent un peu des sempiternelles «huiles» et autres «aquarelles»), mais aussi impressions et sentiments nouveaux des peintres en évolution... Ces peintres, plutôt jeunes mais pas trop (ceux qui ont trouvé la maturité picturale), c’est-à-dire la génération des 35-45 ans, sont en général ceux qui intéressent le plus la «politique» de la galerie. D’abord, pour une raison toute simple : «l’identification du jeune galeriste au jeune artiste : je suis de la même génération qu’eux, j’ai à cœur de faire découvrir leur vision de la réalité», explique Mlle Rizk. Cette vision de la réalité, c’est avant tout celle des stigmates de la guerre, vivaces tant chez ceux qui l’ont subie au jour le jour que chez ceux qui l’ont vécue de loin. Mais il semble qu’elle ait pu avoir, d’un point de vue purement artistique, quelques bons côtés : «La guerre et son souvenir sont transcrits sur la toile avec une agressivité que je trouve très positive. Elle réveille la créativité», affirme-t-elle. D’autre part, ces artistes de l’âge mûr permettent aussi aux Libanais eux-mêmes de s’identifier à ces moments douloureux d’une vie : ils retrouvent, dans les œuvres, ce que Joumana Rizk appelle une «mémoire partagée d’après-guerre». Cette amatrice d’art moderne défend avec enthousiasme la «jeune peinture libanaise» et prend les moyens nécessaires pour la rendre accessible à tous : «Ces artistes, nos contemporains, sont à leur façon des témoins d’une époque. Leurs oeuvres, lorsqu’elles sont constituées en collections, représentent une part non négligeable de la mémoire collective, au même titre que le folklore ou les ruines de Anjar». C’est donc avec beaucoup de chaleur qu’elle accueille un visiteur enchanté par un tableau, mais qui ne peut le payer qu’à crédit : «Celui-là est le véritable amateur de cette période difficile économiquement : il “craque” pour une toile et prendra le temps qu’il faudra pour l’acquérir. Le phénomène du “coup de foudre” me touche beaucoup», confie la galeriste. Mais le public des galeries n’est pas formé en majorité de ce type de clients. Loin de là. Les inhibitions sont profondes : «Il y a beaucoup de gens qui me demandent s’ils peuvent entrer dans la galerie. Ils m’imaginent comme une vendeuse qui ne va pas les lâcher avant qu’ils aient acheté quelque chose», raconte-t-elle en souriant. Souci esthétique C’est pour cela que l’interactivité reste le maître-mot de «Maraya» : non seulement entre les individus (galeriste, artistes et public), mais entre les différents domaines du quotidien, avec pour dénominateur commun la qualité : les universités (la galerie a organisé, en 1996, le concours inter-universitaire «Empreintes», qui récompensait les futurs talents), la ville (en juillet dernier, l’opération «L’art en mouvement» faisait sortir les œuvres d’art du cadre habituel pour les disposer sur 80 bus sillonnant Beyrouth et ses alentours), ou encore la gastronomie (une très prochaine exposition intitulée “Plaisirs de l’œil, plaisirs du palais”, en collaboration avec le domaine de Tanayel). Interactivité, certes, mais très canalisée, qui ne laisse que très peu de place aux compromis, même s’ils existent comme partout ailleurs : «La situation économique est grave, reconnaît Joumana Rizk. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour que la qualité en pâtisse. D’une certaine manière, une galerie est responsable des yeux des autres : il n’est pas question de les «polluer»...». Ce grand souci esthétique se double d’une attention accrue portée à l’aspect financier, pendant nécessaire de la galerie d’art : «Ni le public, ni les artistes ne doivent être bluffés. C’est pour cela que je ne joue jamais avec la cote des artistes, qui est calculée par mètre carré». Joumana Rizk ajoute malicieusement : «La cote des prix est la seule intervention scientifique et rationnelle dans ma conception des choses...». (Avec l’aimable autorisation de la galerie Maraya). (*) Voir L’Orient-Le Jour des 29/06, 7/07, 14/07 et 28/07/99.
Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu,...