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Actualités - REPORTAGES

Photographies - Portraits du Caire, éditions Actes sud Van Léo, Armand et Alban : voyage au coeur d'une société cosmopolite(photos)

«Portraits du Caire» vient de paraître. Ce deuxième tome, de la collection Fondation arabe pour l’image (FAI) éditée par Actes Sud, est consacré aux œuvres de trois photographes, rois du portrait en studio dans l’Égypte des années quarante et cinquante. À travers les quelque soixante-dix clichés signés Levon Boyadjian (Van Léo), Armenak Arzrouni (Armand) et Aram Arnavoudian (Alban), la FAI invite le lecteur à un voyage au cœur d’une société cosmopolite. Trilingue, français, arménien et arabe, Portraits du Caire, à l’instar d’Histoires Intimes. 1900-1960, premier tome de la collection, est une très belle compilation photographique. Akram Zaatari, responsable de la conception du livre et membre de la FAI, a rencontré Van Léo, aujourd’hui à la retraite, ainsi que l’épouse d’Alban, Mme Chaké qui travailla également aux retouches de ses clichés. Dans son introduction, Akram Zaatari note que les clichés de ces trois photographes «se distinguent par la mise en scène et le montage dont ils font l’objet. Ils s’apparentent au cinéma plus qu’à tout autre art. Contrairement à la photographie instantanée, ce travail vise à maîtriser la pose et à contrôler l’ensemble des éléments composant la scène». Ces trois photographes ont en commun d’être nés en Turquie et d’avoir émigré très jeunes, en compagnie de leurs parents, en Égypte. Van Léo est né en 1921 à Jihane. Il a trois ans quand sa famille s’installe à Zagazig, en Égypte. En 1940, il suit une formation en tant qu’assistant au studio Vénus, auprès du photographe Artinian. Il ouvre son premier studio en 1941. Il travaillera jusqu’en avril 1998, date à laquelle il ne peut plus soulever l’agrandisseur. Photographe artisan, il a toujours fait tout le travail lui-même, du contact avec les clients jusqu’aux retouches, en passant par l’éclairage, la prise de vue, l’agrandissement… Spécialiste des portraits d’artistes, il a également une intéressante série d’autoportraits. Ce sont d’ailleurs ces clichés qui occupent les premières pages de l’ouvrage. D’abord un Van Léo, barbe en collier, cheveux gominés, revolver au poing. Ce cliché, daté de 1942, joue à fond les contrastes lumineux : bordant les sourcils d’ombre et donnant au regard une expression satanique. Dans l’autoportrait de 1944, c’est un Van Léo ténébreux. Boule à zéro, matricule de malfrat et regard en biais sortant du cadre. L’artiste «fait son cinéma». Beaucoup de fantaisie autour de ces autoportraits et un sens certain de la mise en scène. Le septième art était l’autre passion de ce puriste de l’image. Ces portraits d’artistes sont également très travaillés : Farid el-Atrache (1959) assis dans son appartement, devant une peinture murale où muses de la musique et de la danse s’entrelacent ; Shérihane, 1976, déguisée en cow-boy, avec la couleur en prime ; Mirvat Amine, Dalida, Taha Hussein, «la fierté de ma carrière», dit l’artiste… Pour Van Léo, «le plus important reste l’étude du visage et des expressions qui seule permet de réussir à cent pour cent le portrait d’un client». Chronique d’une époque Armenak Arzrouni, dit Armand, (1901-1963) arrive en compagnie de son père à Alexandrie vers 1907. Il se passionne pour le dessin. Après un apprentissage chez Nader à Alexandrie, il entre chez Zola, portraitiste juif-autrichien réputé au Caire. Ce mentor l’envoie en Autriche pour effectuer un stage de formation aux techniques de coloriage des clichés noir et blanc. Armand revient en Égypte où il ouvre son propre studio en 1930, à la mort de Zola. Il photographie les hommes politiques, les stars de cinéma, ainsi que la famille royale. Après la révolution de 1952, il continue à prendre des clichés des personnalités, notamment Gamal Abdel Nasser et les chefs d’États qui défilent en visites officielles. C’est la chronique d’une époque qui se dessine à travers les photos d’Armand. Un premier nu, où le flou du mouvement laisse deviner un sein. Beaucoup de photos de mariages, «elles représentent le summum de la composition», note Akram Zaatari. «Elles sont porteuses d’un message clair et net : le bonheur conjugal». Brassées de roses, robes à longues traînes immaculées, nombreux enfants entourant les futurs époux… tous les éléments évoquant l’avenir – radieux de préférence – sont rassemblés, au risque d’alourdir parfois les clichés. Si les photos de Nasser ou du roi Fayçal II sont des classiques du genre, celles de Jean Marais ou du baiser d’Anwar Magdi et Leila Mourad feraient concurrence aux plus célèbres photos tirées du cinéma européen des années cinquante. Une complicité entre le photographe et son sujet Aram Arnavoudian, alias Alban, est né à Istanbul en 1883. Il a une dizaine d’années quand sa famille s’installe à Alexandrie. Sa passion, c’est la musique et plus particulièrement le violon. Mais c’est vers la photographie qu’il se tourne. Dès 1906, il a plusieurs commandes qui lui permettent d’ouvrir un premier studio. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il s’installe à Bruxelles où sa clientèle comprend, entre autres, la reine Elisabeth de Belgique. La guerre qui déchire l’Europe le pousse à quitter le vieux continent en 1940. Il se réinstalle en Égypte. Et rencontre Chaké qui devient son assistante-retoucheuse, en 1944. Il ne l’épousera qu’en 1954. Sa clientèle : les membres des communautés européennes, l’aristocratie égyptienne ainsi que le roi Farouk et sa famille. Après son décès en 1961, Chaké continue à gérer son studio jusqu’au début des années soixante-dix. Souvent recadrés, les clichés d’Alban sont le reflet d’une complicité entre le photographe et le sujet. «C’était, d’après Chaké, le mot d’ordre du photographe». Elle relate également «l’importance d’ajuster les lumières afin d’éclairer le sujet sous son meilleur jour, de mettre à l’aise le client pour qu’il s’oublie». Résultat, des clichés où transparaît la douceur de toute une époque. Une jeune femme lit tranquillement un livre, la tête soutenue au creux de la main ; une mariée est assise sur un fauteuil, en fin de cérémonie, le corps légèrement appuyé sur l’accoudoir, le visage irradiant une expression de tendresse et de lassitude ; la reine Narimane, en robe de bal, a une expression de générosité empreinte de dignité ; un enfant se tient derrière son père : le premier, un fez sur la tête, le regard curieux, un rien malicieux, scrute l’objectif alors que le deuxième, turban traditionnel, laisse errer son regard en dehors du champ de la caméra. Les clichés de ces trois portraitistes sont aussi éphémères que le temps d’une pose et aussi éternels qu’une photographie. Ils transmettent une image à la fois fidèle et truquée d’un temps à jamais révolu. La reproduction magnifiée d’une douceur de vivre trépassée.
«Portraits du Caire» vient de paraître. Ce deuxième tome, de la collection Fondation arabe pour l’image (FAI) éditée par Actes Sud, est consacré aux œuvres de trois photographes, rois du portrait en studio dans l’Égypte des années quarante et cinquante. À travers les quelque soixante-dix clichés signés Levon Boyadjian (Van Léo), Armenak Arzrouni (Armand) et Aram Arnavoudian...