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Actualités - OPINION

Tribune Etat de droit et consensus national

L’accord de Taëf est, une nouvelle fois, au centre du débat politique. Les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur ont en effet relancé la polémique concernant le pouvoir exécutif : est-il détenu par le chef de l’État ou bien est-il du ressort du Conseil des ministres ? Les critiques adressées par le chef du gouvernement à M. Murr et la mise au point faite par ce dernier n’ont pas suffi à dissiper le malaise que provoque ce débat dans l’opinion publique. À la «frustration» chrétienne qui a marqué la vie politique depuis dix ans vient s’ajouter aujourd’hui une crispation musulmane de même nature. Qu’en est-il de cet accord dont on fête bientôt le dixième anniversaire ? Le pouvoir au Liban tire sa légitimité de sa capacité à maintenir le «vouloir-vivre en commun» entre les Libanais. Cette convivialité qui constitue la raison d’être de ce pays a été remise en question à partir du moment où une partie des Libanais, s’estimant lésée, n’a pu obtenir la reconnaissance de ses droits par l’autre partie qui considérait que tout changement dans la nature du pouvoir risquait de porter atteinte à sa liberté et de menacer son existence. L’accord de Taëf commence par désamorcer ce double problème. Il reconnaît, en effet, pour la première fois d’une manière explicite, le «caractère définitif» du Liban – qui est une des principales revendications chrétiennes depuis la création du Liban moderne – et affirme la nécessité de restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national en obtenant le retrait de toutes les forces étrangères, autre revendication essentielle des chrétiens. L’accord accorde d’autre part aux musulmans un rééquilibrage des pouvoirs entre les communautés et consacre l’appartenance du Liban au monde arabe que les chrétiens n’avaient jamais, jusque-là, formellement reconnu. Plutôt que de déposséder le président de la République de ses prérogatives au profit du Premier ministre ou de partager le pouvoir exécutif entre les communautés, l’accord de Taëf a prévu de confier la gestion de l’État à un organisme – le Conseil des ministres – au sein duquel chrétiens et musulmans seraient représentés à égalité. Cette direction collégiale est régie par la règle de la démocratie consensuelle, le recours au vote ne devant intervenir que dans le cas où le consensus ne peut être réalisé, cette dernière clause ayant pour unique fonction de prévenir un éventuel blocage au niveau de la prise de décision. Dans la pratique, cet accord a été vidé de son contenu. Loin de mettre fin à la rivalité entre les communautés, la pratique des différents gouvernements depuis Taëf a conduit à l’établissement d’un régime hybride marqué par un pouvoir à trois têtes et des conflits permanents qui ont conduit à une communautarisation accrue de la politique, un blocage des institutions et une dépendance accrue à l’égard de la Syrie chargée d’arbitrer la «guerre froide» que se livrent les différents pouvoirs. La responsabilité de la mauvaise application de l’accord de Taëf ne peut, certes, être imputée au régime actuel. Mais la situation dont il a hérité est porteuse de dangers réels sur l’avenir de la convivialité entre les Libanais. Instaurer un débat sur cette question est donc chose nécessaire, car la frustration ne peut, à terme, qu’engendrer la violence. Les propos malencontreux du ministre de l’Intérieur et les réactions qu’ils ont suscitées ont d’ailleurs révélé l’existence d’un malaise profond qu’il convient de prendre en considération. L’État de droit auquel aspirent les Libanais, toutes communautés confondues, a besoin d’être fondé sur un consensus national. L’accord de Taëf existe, il peut servir de base à ce consensus, car il apporte une solution au problème essentiel auquel est confrontée la démocratie au Liban à savoir comment concilier citoyenneté et pluralisme communautaire. Mais un retour à l’esprit de Taëf nécessite un changement radical dans la manière d’aborder les problèmes. L’objectif ne doit plus être, comme cela a été le cas au cours des dernières années, de continuer la guerre par d’autres moyens en essayant d’imposer aux «vaincus» du moment la loi des «vainqueurs» du moment – les deux parties échangeant régulièrement leurs positions en fonction de changements régionaux dans lesquels ils ne jouent aucun rôle – mais de parvenir à un consensus sur les moyens de gérer l’espace commun entre les Libanais. Car l’État à créer nécessite réflexion. Il ne peut s’agir d’un État ordinaire, régi par des mécanismes ordinaires. Jusque-là, nos dirigeants ont toujours essayé de réduire le complexe au simple, et tenté d’adapter la société à l’État au lieu d’adapter l’État aux besoins de la société. Or la diversité de la société libanaise nécessite la mise sur pied d’un État «hiérarchisé» où les «exceptions» – et elles sont très nombreuses – sont reconnues et disposent d’un champ propre d’expression. L’État est appelé à gérer non seulement des individus, mais également des communautés, des groupements humains, des régions, des cultures, etc. Un État «simple» ne peut être que réducteur et un État réducteur est, par définition, un État totalitaire qui, ne pouvant être en harmonie avec une société complexe, va tenter de la refaçonner à sa guise, de la «simplifier».
L’accord de Taëf est, une nouvelle fois, au centre du débat politique. Les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur ont en effet relancé la polémique concernant le pouvoir exécutif : est-il détenu par le chef de l’État ou bien est-il du ressort du Conseil des ministres ? Les critiques adressées par le chef du gouvernement à M. Murr et la mise au point faite...