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Actualités - REPORTAGES

Art - Galeries, mode d'emploi

Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu, d’autres ont survécu ou ont vu le jour. Comment ont-elles évolué, quels sont leurs préférences, leurs espoirs, leurs déceptions ? Leurs luttes aussi ? Un dossier actif qui mérite qu’on s’y arrête (*): Rentrer à la galerie Alwane, à Kaslik, c’est un peu comme pénétrer dans la caverne d’Ali Baba : «Je n’ai pas envie de compter le nombre de tableaux accrochés, cela me fatigue d’avance !», s’exclame Odile Mazloum, propriétaire de quelque 400m2 aux murs entièrement couverts de toiles, de dessins, d’aquarelles... Les œuvres attendent d’être accrochées, d’autres couvrent les piliers de ce local en sous-sol. L’œil est constamment sollicité, et de la belle manière : rares sont les signatures inconnues, car la plupart des grands artistes libanais ont leur place dans cet espace dédié à l’art pictural. Quant aux autres, les plus jeunes, ils ne sont pas là par hasard : un jour, ils seront reconnus. Car Odile Mazloum n’a pas seulement l’œil du vrai connaisseur, elle a aussi, devant chaque toile, une appréhension d’artiste. Formée aux Beaux-Arts, elle côtoyait des étudiants devenus depuis les peintres les plus en vue du pays : «J’ai eu, entre autres, Jean Khalifé comme professeur. Hrair, qui avait une classe de plus que moi, a corrigé ma première toile. Dans un des ateliers célèbres de cette époque (c’est-à-dire la première moitié des années 60), l’atelier Guveder, je croisais souvent Assadour. Dans mon propre atelier de la rue Sursock, venaient peindre Paul Guiragossian, Saïd Akl ou Jean Khalifé». Odile Mazloum reste modeste, mais elle a été la première de toute cette génération montante à avoir exposé. En 1962, mon premier «accrochage» a fait l’objet d’une introduction rédigée par Georges Cyr, et d’un article signé André Bercoff (critique artistique incontournable des années glorieuses du Liban). Mais la jeune peintre n’en reste pas là. L’important pour elle est de s’instruire, encore et encore. Elle s’installe quelques mois à Paris où elle compte parmi les élèves des Beaux-Arts et de l’École du Louvre. Mais la capitale parisienne comble surtout sa véritable passion : «Je suis une chineuse née. Je passe, depuis très longtemps, un temps fou dans les galeries, les ateliers, les ventes aux enchères. J’aime particulièrement dénicher toutes sortes d’objets qui me semblent beaux». Et c’est vrai : entre les centaines de tableaux de la galerie se cachent des larmes de lustres, des boiseries anciennes, des buffets, des caves à liqueurs, des portes en bois massif peint, de l’argenterie et de la verrerie anciennes... Une telle liberté de mouvement pour une jeune fille de l’époque peut paraître étrange, mais Odile Mazloum s’explique : «Mon père était importateur d’objets antiques chinois. Chaque fois que je voyageais, je lui rapportais des pièces...». Une passion héréditaire qui a pu donner naissance à la première galerie, en 1964. «À côté du Horse Shoe (café-restaurant de Hamra qui était le lieu de rencontre de toute l’intelligentsia libanaise), j’ai vu un local à vendre. J’en ai immédiatement parlé à mon père et, dans la même journée, nous l’avons acheté». Ce local, c’est L’Amateur, où Odile Mazloum s’occupait principalement du troisième étage, celui de la peinture contemporaine. Les deux autres niveaux, réservés à la bijouterie ancienne et aux antiquités, étaient tenus par son père et ses frères. La peinture contemporaine, c’était celle de ses amis : Assadour («Il a commencé à exposer chez moi») et Hrair, entre autres. L’aventure a duré 14 ans, jusqu’au moment où la galeriste s’est retirée de l’affaire, en 1978. Forte de ses formations littéraires et linguistiques, elle enseigne à l’Alba et à l’Athénée, et continue d’exposer quelques objets et toiles à son domicile. La guerre faisant rage, Odile Mazloum suit le flot d’émigrants vers Kaslik. 1988, l’année d’un nouveau départ avec l’ouverture, au sous-sol de l’immeuble où elle s’installe, d’Alwane. Une surface immense à la mesure des œuvres en tout genre qu’elle collectionne depuis... l’âge de 13 ans : «J’ai alors acheté mon premier tableau, un Boulier», se souvient-elle. Si la collection permanente, avec ses pièces innombrables, laisse songeur, les collections temporaires, quant à elles, sont rares : «Pas plus de six expositions par an, explique Odile Mazloum. Ce qui passe avant tout, c’est un certain suivi des peintres, qui est impensable si on n’expose plus». C’est ainsi que Abboud, Bacha, Halloum, Merheb, Daisy Abi-Jaber ou encore Fatima al-Hajj sont quelques-uns de ces artistes suivis de longue date et avec beaucoup d’attention par une galeriste qui se méfie des premiers jets géniaux, mais qui ne donnent pas de suite : «J’en ai refusé un ou deux de ce genre : heureusement, je me trompe rarement», sourie-t-elle. Les peintres amis, les peintres découverts et suivis, mais aussi les peintres auxquels on rend hommage : «L’inauguration d’Alwane était un hommage rendu à Farid Aouad, un immense peintre disparu en 1982, se souvient-elle. J’avais réussi à réunir 280 œuvres provenant de collections libanaises. La dernière fois qu’il avait exposé au Liban, c’était en 1971, à L’Amateur. Je suis heureuse de l’avoir remis en vedette dans son propre pays, alors qu’il était connu et apprécié à Paris et en Allemagne, et qu’il est depuis longtemps coté à Drouot». La vente de ses dernières œuvres, exposées en 1996, a été un immense succès. Odile Mazloum court toujours par monts et par vaux, à la recherche du talent qui l’enthousiasmera. Sa dernière trouvaille? «Un magnifique artiste franco-tunisien...». Les ingrédients qui composent un bon galeriste? Sans hésiter, la réponse tombe : «Un “nez” et une très solide formation»... (*) Voir L’Orient-Le Jour des 29/06, 7/07 et 14/07/99.
Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu,...