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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Lorsque le ministre des Finances parle politique Georges Corm : s'il y avait un risque de dictature, je demissionnerais(photo)

Si, chez certains, l’enthousiasme du début du mandat Lahoud est quelque peu retombé, il semble intact chez le ministre des Finances. Avec sa cravate toujours un peu de travers et ses yeux perpétuellement étonnés, Georges Corm, que ses ennemis avaient jugé fragile, ne voyant en lui qu’un théoricien, apparaît aujourd’hui plus énergique que lors de sa nomination. Il ne cache pas sa satisfaction d’être au cœur de l’action et d’avoir réussi, en dépit de toutes les embûches, à mettre, comme il le dit, «l’économie sur les rails». Certes, il reconnaît que ni la loi du budget ni le plan quinquennal ne reflètent totalement ses ambitions, mais il affirme que «le processus est désormais enclenché». À l’heure où une nouvelle édition de son ouvrage Le Proche-Orient éclaté est mise en vente, l’économiste politologue, qui a jeté un regard d’une rare lucidité sur la réalité libanaise et régionale, explique à L’Orient-Le Jour les raisons de son optimisme actuel. L’homme qui écrivait, en 1985, «Nous sommes, aujourd’hui, dans l’épanouissement complet de la culture de la discorde qui ne peut voir les affaires de ce monde et celles du pays que dans le prisme confessionnel», a retroussé ses manches en novembre dernier pour s’atteler à une tâche que bien peu lui enviaient : assainir des finances en piteux état et tenter de redresser une économie gravement déficitaire. Sa nomination avait d’ailleurs surpris, tant Corm semble étranger au milieu dans lequel on puise généralement les ministres. Économiste de renom, conseiller auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, sa présence au gouvernement ne pouvait que rassurer les milieux financiers internationaux. Mais c’est au Liban que la guerre lui a été déclarée. D’abord avant le vote de confiance du Cabinet ensuite avant l’adoption par le gouvernement du projet de budget. Ce ministre qui connaît toutes les ficelles de la politique mais refuse de devenir politicien a préféré se taire et s’est même rendu à Paris, afin de laisser à ceux qui l’ont nommé l’entière liberté de le révoquer. Ses ennemis en ont aussitôt conclu qu’il était fragile, voire faible, alors que Corm affirme qu’il essayait de trouver dans la plus grande discrétion des fonds ou des moyens pour mettre un terme à l’endettement. Renoncer à l’idée de paradis fiscal Il l’a dit et redit, il n’y a pas de solution miracle et le Liban devra traverser une période difficile de deux ans, mais «au moins la situation est plus saine». Il ajoute qu’il faut cinq ans au minimum pour réussir un rééquilibrage financier et social. Pourtant nombreux sont ceux qui affirment que c’est la politique financière sous le mandat Hraoui qui se poursuit. «Comment peut-on dire cela ? s’insurge M. Corm. Nous avons augmenté les impôts, réduit les dépenses, introduit un nouveau système fiscal modéré, bref, renoncé à une conception du Liban, paradis fiscal». On dit pourtant que ce n’est pas lui l’auteur de la loi sur le budget et que la politique financière est établie par le président du Conseil, le ministre de l’Économie et le gouverneur de la Banque centrale. «Ce n’est pas vrai, répond-il. Mais je suis quelqu’un qui croit au dialogue et pour être lancée, la réforme fiscale a besoin d’un minimum de consensus». Corm reconnaît toutefois que les mesures proposées ne reflètent pas entièrement ses opinions. Mais, dit-il, «les marchés financiers sont prudents. En même temps, ils apprécient les efforts fiscaux. La continuité est importante dans ce domaine». Corm rejette toutes les rumeurs sur un froid entre lui et son collègue Nasser Saïdi. «Les ministres ont mis un peu de temps pour apprendre à se connaître et tout se passe dans la plus grande harmonie». Accusé d’être communiste, Corm sourit : «Je suis un libéral ayant une sensibilité sociale et j’essaie de tenir compte des problèmes sociaux dans toutes les mesures prises». Un sacrifice d’ordre personnel Longtemps observateur critique, devenu acteur, comment s’est passée la transition ? «Alors qu’avant, je faisais partie des experts consultés en période de crise, c’est aujourd’hui moi qui reçoit ces derniers. C’est vrai que c’est différent, mais je ne peux pas dire qu’assumer ce nouveau rôle me pose de gros problèmes. Dans l’ensemble, je connais la musique et nous travaillons relativement vite. Mon souci aujourd’hui n’est pas de concevoir la réforme, mais de faire bouger la bureaucratie. Pour une économie qui se veut libérale, la complexité des réglementations est terrible». Le ministre des Finances raconte combien il souffrait de voir la situation financière du pays se dégrader depuis la fin de la guerre. «Je sentais que la politique de reconstruction allait mener à une impasse. Mais quand j’ai entendu le discours d’investiture du président Lahoud, j’ai été très ému et je me suis dit qu’ une ère de réforme s’ouvrait. Je ne pouvais donc pas refuser ma nomination, même si cela représentait un sacrifice pour moi». Pourquoi ? «Il s’agit de sacrifice sur le plan personnel et parfois d’ordre éthique. Car quand on met la main à la pâte, elle se salit un peu». Est-il donc amené à faire des compromis ? «Jamais sur le fond. Mais il faut savoir négocier. De toute façon, je suis un pragmatique». Comment explique-t-il que lui, le laïc, se soit rendu chez le patriarche maronite pour sa première visite en tant que ministre ? «Être laïc ne signifie pas être anticlérical. Je n’ai jamais eu d’ambition politique et en me rendant chez le cardinal Sfeir, je ne voulais pas faire plaisir au système, mais utiliser un certain symbolisme pour prouver qu’un laïc peut traiter avec les hommes de religion». Mais n’est-ce pas une reconnaissance du système confessionnel ? «Je suis toujours opposé à ce système, mais je considère qu’aujourd’hui les choses vont dans le bon sens. Toutes les discussions s’engagent hors du contexte confessionnel. Les problèmes économiques et sociaux sont posés sans arrière-pensée confessionnelle et aucun ministre ne se considère le représentant de sa confession. Le social prime et relègue au second plan toutes les autres considérations. Seule l’opposition parle aujourd’hui en termes confessionnels. De plus, ce qui s’est passé récemment à Arnoun est très important : cet élan des jeunes de toutes les confessions est assez significatif. Certes, il y a encore des catégories sclérosées qui vivent du communautarisme, mais je ne crois pas qu’elles sont plus fortes que la volonté de changement». Comment, en tant que démocrate qui prône «le pluralisme assumé par opposition au multiculturalisme cacophonique», peut-il accepter des procédés comme ceux «des sources ministérielles» et pourquoi ne l’a-t-on pas entendu à ce moment-là ? «En finir avec l’endettement m’occupe à 90 %. De plus, quand on voit la puissance des médias privés et la vigueur des attaques contre le gouvernement, je ne vois pas pourquoi on empêcherait celui-ci de publier un communiqué. Enfin, à mon avis, l’affaire ne mérite pas un tel tapage». Ces procédés ne sont-ils pas le début d’une militarisation du système ? «Je ne le crois pas. Je pense qu’ il y a une grande vitalité dans les échanges et cela est à mettre au crédit des institutions libanaises». Un risque de dictature? «S’il y en avait, je démissionnerais». Quelle est, selon lui, l’assise sociale du présent régime ? «Le président Fouad Chéhab avait eu ce problème. Mais la situation est différente aujourd’hui. Le régime bénéficie d’un appui populaire considérable. Les gens sentent qu’il y a une volonté réelle de changement. Une véritable lutte contre la corruption a été déclenchée ; les ministres ont un style différent de celui de leurs prédécesseurs et il n’y a pas de vérité infuse. Nous sommes à l’écoute de tout le monde». Ce régime bénéficie de l’appui de la Syrie. Que deviendrait-il si cet appui venait à faiblir ? «L’attitude de la Syrie envers le Liban repose aujourd’hui sur deux fondements : sur le plan de la politique étrangère, la Syrie estime que le Liban seul n’est pas assez fort pour résister aux pressions israéliennes. Sur le plan interne, elle considère que la politique du régime précédent a vécu et risque désormais d’avoir des retombées négatives. C’est pourquoi je ne pense pas que cet appui puisse faiblir…».
Si, chez certains, l’enthousiasme du début du mandat Lahoud est quelque peu retombé, il semble intact chez le ministre des Finances. Avec sa cravate toujours un peu de travers et ses yeux perpétuellement étonnés, Georges Corm, que ses ennemis avaient jugé fragile, ne voyant en lui qu’un théoricien, apparaît aujourd’hui plus énergique que lors de sa nomination. Il ne...