Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

L'attaque du 24 juin - Le pont Awali sous un mètre d'eau A Saïda, stoïcisme et résignation face à l'isolement(photos)

À Saïda, les habitants sont stoïques; résignés, ils acceptent, avec une pointe de fatalisme, les mauvais tours que leur joue l’Histoire. Ces vingt-cinq dernières années, la ville s’est forgé une triste réputation. Oiseaux de mauvais augure, les Sidoniens sont habitués aux railleries et se moquent de leur infortune. Mais ils se demandent quand même pourquoi le sort a choisi de les prendre en otages. On dit que c’est à Saïda que la première étincelle de la guerre a jailli après l’assassinat, le 27 février 1975, de Maarouf Saad. C’est là aussi que son fils, Moustapha, a perdu sa petite fille et ses yeux lors d’un attentat à la bombe en 1985 annonçant un nouveau round de la guerre civile. C’est sous la place des Martyrs que reposent les corps de plusieurs dizaines d’écoliers tués en 1982 lors de raids israéliens. Plus récemment encore, le 8 de ce mois, c’est dans le Palais de justice de la ville que quatre magistrats ont été assassinés, réveillant chez les Libanais des cauchemars qu’ils croyaient à tout jamais oubliés. Et comme si cela ne suffisait pas, le sort s’est à nouveau acharné sur Saïda. Depuis jeudi, elle est coupée du reste du pays. Le pont Awali, le cordon ombilical qui reliait la ville à son environnement, repose sous un mètre d’eau. En trois vagues successives, les chasseurs-bombardiers israéliens ont détruit, sur toute sa largeur, un tronçon d’une trentaine de mètres. Et c’est en essayant d’accéder à la ville privée de son pont qu’on réalise que Saïda est plus qu’une simple agglomération. C’est une porte, ou plutôt une clé, celle de ce Liban-Sud qui n’a pas connu le calme depuis plus de trente ans. Sur l’autoroute flambant neuve, la circulation, très fluide, est déviée au niveau de Saadiyate. Un échangeur, qui vient à peine d’être inauguré, s’est affaissé sous la pression de plusieurs missiles israéliens. Un automobiliste malchanceux l’empruntait quand les bombes ont explosé. Sa voiture, une Honda blanche, a l’air en bon état. Mais lui a perdu l’usage de ses deux jambes. Quatre autres véhicules dont les conducteurs n’ont pas eu le temps de freiner sont venus s’encastrer dans la masse de béton. Il n’en reste que de la ferraille tordue. Crochet par Joun Pour poursuivre le trajet vers Saïda, il faut emprunter l’ancienne route côtière. À Awali, les voitures ne peuvent plus avancer. Le pont, ou ce qu’il en reste, est impraticable. On peut entrer dans la ville en traversant à pied le fleuve ou en escaladant les décombres. Sinon, il faut faire un long crochet par Joun, au nord-est de Saïda, pour arriver à un pont métallique installé à Almane par l’armée libanaise après l’agression d’avril 1996. La route étroite serpente pendant des kilomètres entre des collines arides. Le trafic est dense. Désormais, c’est le seul chemin qui mène au Liban-Sud à partir du littoral. Les agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) et les soldats de l’armée ont du mal à organiser la circulation. Leur tâche est rendue encore plus difficile par l’indiscipline impardonnable de certains automobilistes qui doublent les files d’attente en pensant gagner quelques mètres, alors qu’en réalité, ils provoquent un embouteillage inextricable. Un corbillard fonçant à toute allure risque d’emboutir une ambulance. C’est fou ce que les morts peuvent parfois être plus pressés que les vivants. Il faudra environ trois heures pour arriver à Saïda. La ville est déserte. Les rares habitants rencontrés sont comme choqués. Ils n’arrivent pas encore à réaliser combien l’autre rive de l’Awali est désormais difficile à atteindre, alors qu’elle est située à moins d’une encablure. «Moi, je travaille à Rmeilé, déclare Ghassan, En dix minutes, j’étais à mon bureau. Maintenant, il me faut deux heures pour y arriver». Le jeune homme explique d’un ton désolé qu’il avait refusé une proposition de travail mieux payée parce qu’il fallait tous les jours gagner Khaldé. «Si j’avais su que le pont serait détruit, j’aurais accepté cet emploi», dit-il avec regret. Il n y a pas de panique dans la ville ni de mouvement d’exode. «Où peut-on aller ? Aucun endroit n’est sûr. Les avions israéliens frappent du Sud au Nord, en passant par Beyrouth, fait observer Sahar. Et puis il vaut mieux attendre quelques jours pour voir l’évolution de la situation». La déprime des Sidoniens Les soldats de l’armée en faction sur l’Awali ont du mal à contenir la foule des badauds qui veulent voir ce qu’est devenu «leur» pont. Des véhicules tout-terrain essayent de traverser le fleuve à son embouchure, où l’eau est peu profonde. Beaucoup calent, d’autres arrivent à passer. Certains préfèrent franchir à pied en escaladant les décombres en s’appuyant sur l’épaule des soldats qui font la navette entre les deux rives. Au milieu du béton noirci et du fer tordu par le souffle des explosions, un tas de ferraille émet un éclat terne. C’est tout ce qui reste de deux voitures surprises sur le pont par les avions israéliens. Deux des occupants ont été déchiquetés. Quatre autres ont été blessés. À 200 mètres en amont du pont, une unité du bataillon de génie de l’armée inspecte un endroit où le lit du fleuve se rétrécit. Les militaires prennent des mesures et font des calculs. Ils envisagent d’installer provisoirement un pont métallique pour faciliter l’accès à Saïda. La destruction du pont de l’Awali a fini d’enfoncer les Sidoniens dans leur déprime, réapparue à la suite de l’assassinat des quatre magistrats. Les mines sont tristes et résignées. Mais comme toujours, certains savent tourner à leur avantage les situations les plus difficiles. Ceux qui traversent à pied d’un côté du pont vers l’autre sont immédiatement cueillis par des automobilistes soudain reconvertis en chauffeurs de taxi. «Saïda-Beyrouth, 5 000 livres. Tyr, Nabatiyé pour 2 000 livres». En un clin d’œil, la voiture se remplit et démarre. Une autre prend sa place. On ne le dira jamais assez : le malheur des uns fait le bonheur des autres…
À Saïda, les habitants sont stoïques; résignés, ils acceptent, avec une pointe de fatalisme, les mauvais tours que leur joue l’Histoire. Ces vingt-cinq dernières années, la ville s’est forgé une triste réputation. Oiseaux de mauvais augure, les Sidoniens sont habitués aux railleries et se moquent de leur infortune. Mais ils se demandent quand même pourquoi le sort a...