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Actualités - ANALYSE

Un territoire, deux identités(photo)

Une nouvelle fois, alors que les neiges ont commencé à fondre sur les contreforts de l’Himalaya, l’Inde et le Pakistan ont repris les armes pour poursuivre un conflit inextricable autour d’une province-clé : le Cachemire. Depuis plus de cinquante ans, New Delhi et Islamabad s’affrontent pour cette région à majorité musulmane, dont l’Inde tient les deux tiers sud et le Pakistan le tiers nord. De part et d’autre d’une «ligne de contrôle», frontière de facto de 720 kilomètres, les armées des deux pays, nouvelles puissances nucléaires, se font face à plus de 4 000 mètres d’altitude sans qu’une solution ne se dessine réellement. Deux pays aux fondements différents Le conflit du Cachemire renvoie avant toute chose aux fondements identitaires divergents de l’Inde et du Pakistan. Si le premier repose sur le principe de la laïcité et du multiculturalisme, le second ne conçoit pas l’État sans une dimension confessionnelle. L’islam est une donnée essentielle de sa Constitution. De cette différence découle une double revendication pour un même territoire : le Cachemire. L’Inde s’appuie sur un critère législatif, la signature en 1947 du traité conditionnel d’adhésion à l’Union, pour justifier l’incorporation du Cachemire à son territoire. Si la légalité de ce critère est à l’avantage de New Delhi, la portée de l’argument indien est amoindrie dans la mesure où le traité prévoyait à la fois le rétablissement de la paix et la consultation par référendum de la population cachemirie. Or ce second volet n’a jamais été appliqué. Le non-respect de cet engagement est officiellement justifié par le fait que l’armée pakistanaise n’a jamais quitté la partie du Cachemire qu’elle a envahie en 1947. L’occupant n’ayant pas plié bagage, l’Inde ne se considère pas contrainte d’organiser le référendum. Outre cette explication formelle, la phobie de l’éclatement de son territoire joue un grand rôle dans l’attachement de New Delhi au Cachemire. La république, du fait même de sa composition multiculturelle et pluriconfessionnelle, redoute par-dessus tout la division de son territoire. Or, accorder l’autonomie au Jammu-et-Cachemire revient à ouvrir grande la porte aux aspirations séparatistes qui traversent l’Union. Précisément, l’Inde avait déjà connu le spectre de la sécession à la fin des années 80. En 1982, le cheikh Abdullah, dirigeant de la Conférence nationale, un parti cachemiri modéré, meurt, et avec lui les forces unificatrices de l’État Jammu-et-Cachemire. Doté d’un fort charisme, le cheikh était parvenu à faire naître au sein de la population une conscience cachemirie et le sentiment d’une identité commune, endiguant de ce fait les courants indépendantistes. En 1983 et 1987, ont eu lieu des élections frauduleuses et qui ont aboutit à la formation de gouvernements corrompus soutenus par le Parti du Congrès. Ses formations perdant toute crédibilité, les mouvements séparatistes se sont trouvés renforcés. Les milices ont réapparu et différents groupes armés, divisés en deux familles, se sont constitués. Les premiers se sont ralliés aux thèses du Front de libération du Jammu-et-Cachemire dont les fondements étaient la laïcité et l’indépendance. Les seconds ont adhéré aux thèses du Hezb-ul-Mujahiddin d’inspiration religieuse et partisan du rattachement au Pakistan. Face à ces forces centrifuges, l’Inde opta alors pour la manière forte en lançant une répression très dure. La brutalité des affrontements obligea les populations locales à fuir la vallée. Selon New Delhi, ces confrontations auraient fait 12 000 morts. Les rebelles sécessionnistes, de leur côté, gonflaient ce chiffre à 50 000 morts. De son côté, le Pakistan étaie sa revendication territoriale par l’argument confessionnel. Le Cachemire étant à majorité musulmane, il est légitime pour Islamabad que la province lui revienne. Le Pakistan ne décrit pas le conflit comme la bataille d’un État à majorité musulmane contre la domination hindoue, mais plutôt comme une guerre sainte, se rapprochant ainsi du schéma tchétchène. Cette présentation permet au Pakistan d’obtenir le soutien des pays musulmans. Conséquence de cette approche du conflit, beaucoup de combattants au Cachemire ne sont pas cachemiris mais des intégristes afghans, pakistanais ou originaires d’autres pays arabes. Ces combattants luttent pour la cause islamique et se considèrent comme des martyrs de l’islam. Des camps d’entraînement afghans ont d’ailleurs été repérés non loin de la frontière pakistanaise. Deux approches pour un règlement du conflit Du fait de leurs différences fondamentales, de l’inégalité de leurs puissances économiques et politiques, des appuis internationaux dont ils peuvent espérer bénéficier, Islamabad et New Delhi développent des approches géopolitiques antinomiques du conflit cachemiri. L’Inde tient absolument à privilégier une solution bilatérale du conflit. L’inscription de ce principe dans l’accord de Simla signé en 1972 au terme du troisième conflit perdu par le Pakistan était donc essentielle pour New Delhi. Islamabad cherche de son côté à mobiliser l’opinion internationale en soulignant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, afin d’obtenir des soutiens extérieurs. Systématiquement, Nawaz Sharif cherche à assurer l’implication de la communauté internationale dans le conflit cachemiri alors que l’Inde refuse toujours toute médiation internationale. L’épisode kosovar n’a fait que renforcer le projet du Premier ministre pakistanais. L’intervention massive internationale en faveur de cette province réclamant son indépendance a assurément incité Sharif à attiser le feu des revendications indépendantistes dans l’espoir d’obtenir le même appui occidental et, en fin de compte, l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination. Le gouvernement pakistanais a d’ailleurs demandé dès le 26 mai une médiation de Kofi Annan. L’Inde a rejeté catégoriquement cet appel. Le raisonnement pakistanais trouve néanmoins ses limites. S’il y a effectivement eu une intervention internationale dans le conflit des Balkans, celle-ci a justement été marquée par le maintien à l’écart de l’Onu. Tout le débat sur l’intervention occidentale a porté sur sa légitimité même, du fait de l’absence des Nations unies. Pourquoi dès lors l’Inde devrait-elle accepter une médiation onusienne qui n’a pas eu lieu pour le Kosovo ? A contrario, le conflit du Kosovo a apporté la preuve qu’une action unilatérale sans consentement préalable des Nations unies est possible. Le camouflet subi par l’Onu n’est pas pour appuyer la stratégie pakistanaise. Le précédent kosovar a également marqué les esprits côté indien. Certains analystes expliquent que l’ampleur de la réaction indienne, l’envoi massif de l’aviation et la mobilisation de la marine sont directement liés à l’expérience des Balkans. L’Inde tient absolument à régler le conflit avant un embrasement régional qui pourrait inciter les puissances étrangères à intervenir pour rétablir la paix. Des politiques intérieures fragiles Au-delà de la rivalité historique qui oppose l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire, le contexte de politique intérieure actuel explique le regain de tension entre les deux pays. Précisément, les données internes semblent favoriser la thèse de l’agression pakistanaise. Pour Nawaz Sharif, un conflit avec l’Inde est bienvenu. D’une part, la situation économique au Pakistan est désastreuse, bien que le Premier ministre tienne son pays d’une main de fer. La mobilisation autour du contentieux cachemiri est la solution toute trouvée pour détourner l’attention de la population des difficultés économiques. La guerre est donc un instrument idéal de remobilisation populaire alors que les mécontentements commençaient à se faire de plus en plus entendre. D’autre part, la situation intérieure indienne n’est pas plus reluisante mais cette fois au niveau politique. Le marasme politique a débuté le 17 avril dernier avec la chute du gouvernement dirigé par Atal Behari Vajpaye, Premier ministre pendant treize mois et président du Parti nationaliste hindou (BJP). Le Parti de Congrès, artisan de cette éviction du BJP, n’est pas parvenu à rétablir la stabilité. Indépendamment de l’opposition nationaliste, le Congrès doit gérer les dissidences internes qui le gangrènent. Le leader du principal mouvement séditieux interne, Sharad Pawar, à la tête du grand État du Maharashtra, s’est lui même lancé dans une violente diatribe contre la présidente du Congrès Sonia Gandhi. La source de la fronde au sein du Congrès est précisément l’origine italienne de la veuve de l’ancien Premier ministre Rajiv Ghandi. Poussée à la démission, Sonia Gandhi est tout de même revenue à la tête du Congrès. Mais, les errances du parti au sujet de son investiture n’ont fait que renforcer l’impression de vacance du pouvoir avant les élections législatives prévues en automne. Par ailleurs, l’Inde est en butte aux tensions confessionnelles entre musulmans et hindous. Société multicuturelle et laïque, l’Inde est souvent un terrain d’affrontements entre les différentes communautés religieuses sikhs, catholiques, musulmanes ou hindoues. Chaque communauté a vu naître en son sein des organisations fondamentalistes. Et précisément ces dernières années, l’antagonisme a été le plus fort entre hindous et musulmans menant fréquemment à des explosions de violences, des destructions de mosquées ou de lieux saints hindous. Si les violences communautaires ne sont pas un phénomène récent en Inde, elles se sont multipliées durant le dernier quart du XXe siècle du fait de leur instrumentalisation par les forces politiques. Les conséquences en sont un affaiblissement du pouvoir que le Pakistan entretient en attisant de nouveau le conflit au Cachemire. Relancer les hostilités est donc un excellent moyen pour déstabiliser un peu plus le régime et attiser les passions entre intégristes afin de diviser la fragile Union. L’Inde se retrouve ainsi face à sa plus grande peur : l’éclatement. Tous ces facteurs viennent confirmer l’hypothèse de certains hauts responsables américains sur la responsabilité du Pakistan dans l’éruption du conflit du Cachemire. Si Islamabad continue de nier toute implication, son discours constitue un aveu puisqu’il qualifie les assaillants de «combattants de la liberté». Michael Crippan, expert de l’Asie du sud-est, confirme cette idée puisque, selon lui, les militants islamistes n’avaient en aucune manière les moyens matériels d’entrer seuls au Cachemire indien. Traverser une telle frontière nécessite un support logistique, des moyens de communication et un équipement considérables. Certains diplomates ont la certitude qu’Islamabad a fourni clandestinement l’assistance de ses services de renseignements militaires (Inter Services Intelligence) aux rebelles. Une implication pakistanaise est dès lors plus que probable.
Une nouvelle fois, alors que les neiges ont commencé à fondre sur les contreforts de l’Himalaya, l’Inde et le Pakistan ont repris les armes pour poursuivre un conflit inextricable autour d’une province-clé : le Cachemire. Depuis plus de cinquante ans, New Delhi et Islamabad s’affrontent pour cette région à majorité musulmane, dont l’Inde tient les deux tiers sud et le Pakistan le...