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Actualités - OPINION

Regard Assumpcio Mateu : techniques mixtes et lithos Le Seing et le sceau

A l’instar de beaucoup de jeunes artistes des années soixante-dix, Asumpcio Mateu (née en Catalogne en 1952) a entamé son itinéraire pictural dans l’informel matiériste, à la catalane, avec des pâtes épaisses étalées à la main et labourées avec les doigts. Malgré l’impression de gestuelle impulsive qu’elles dégagent, ces œuvres étaient précédées d’études et d’esquisses précises, de réflexions sur l’espace et ses transformations. A. Mateu n’hésitait pas, du reste, à exposer côte à côte les unes et les autres. Après une éclipse de plusieurs années consacrées à des voyages dans les pays riverains de la Méditerranée et en Inde, elle revient en 1985 avec une peinture qui retient et intègre la leçon de l’informel mais la dépasse par l’évocation de vastes paysages — déserts, mers, ciels. Puis, dans une deuxième phase, par l’inclusion de formes géométriques et architecturales allusives plutôt que représentatives, donc purement plastiques. Comme si elle élargissait et focalisait en même temps sa démarche, voici qu’en une troisième étape synthétique elle combine ces approches en une belle série de «techniques mixtes» sur toile, bois ou papier où elle se met en résonance avec les cultures périméditerranéennes, puisant dans leur répertoire de pétroglyphes préhistoriques, pictogrammes, signes, symboles, alphabets, écritures de quoi suggérer une certaine appropriation du monde par l’esprit. Le signe résume les êtres, les choses, les sons, les idées auxquels il correspond et autorise leur manipulation à distance, leur communication à d’autres, à travers le temps et l’espace. Non qu’Assumpcio Mateu veuille délivrer un message, communiquer autre chose que la peinture même. Dans leur dissémination proliférante, leur ordre savamment désordonné, ses signes ne veulent rien dire d’autre que le non-dire (où le tout-dire, ce qui revient au même), ou plutôt le faire-voir énigmatique et indéchiffrable de traces, empreintes, vestiges archaïques, à la fois survivances et signatures du temps qui ruine, érode, oblitère toute entreprise humaine, y compris les civilisations, éphémère comme des dunes de sable, sur lesquelles, bien avant Valéry, méditait déjà Omar Khayyam en levant sa coupe à l’infini du firmament. Reprendre la spirale, le cercle pointé, les chevrons, la palme, l’arbre de vie, la main, la croix, le poisson, le croissant, les étoiles, les chiffres, le bélier, le taureau, les silhouettes humaines, les figures concentriques, la flèche, l’échelle, les semis de points et de traits, les lettres phéniciennes, est-ce une manière de rédimer ces «pré-écritures» en les réactualisant, leur assurer un écho et une audience renouvelés, ou est-ce une façon de réassumer une antique mémoire, d’assimiler en la faisant sienne et familière une histoire orientale étrange et étrangère? Assumpcio Mateu — dont le prénom laisse résonner cet «assumer» qu’elle proclame en disant: «J’observe, j’assume et je me manifeste» — entend apparemment que rien de ce qui est humain ne soit désormais étranger à sa peinture. Stratigraphies Elle l’atteste en utilisant des lambeaux de manuscrits arabes et espagnols — où l’on peut lire, si l’on veut, des bribes de contes ou de correspondances —, d’imprimés russes, de partitions musicales, de timbres-poste. En réalité, ces manuscrits ne sont pas là pour eux-mêmes, mais pour leurs qualités plastiques dans les compositions verticales complexes structurées en couches horizontales superposées, telles des stratigraphies géologiques ou archéologiques, ce qui explique la prédominance des formats oblongs, bien qu’il y ait également des carrés traités par registres et cartouches. Cette composition cumulative ou sédimentaire correspond à une sorte de succession chronologique, sur l’axe des ordonnées, de «cultures» qui se déploient, sur l’axe des abcisses, par bandes d’abord larges et relativement désertes mais texturées et/ou incisées de signes aux étages inférieurs pour finir, à travers plusieurs paliers, par se fragmenter et s’interpénétrer aux étages supérieurs, les morceaux de manuscrits avançant les uns vers les autres à partir des bords opposés du tableau comme autant de péninsules scripturaires. Un processus d’intensification, de resserrement et d’accélération plastiques opère de bas en haut, du passé vers le présent. Malgré la multiplicité des niveaux, la différence et la richesse de leurs traitements matiéristes, chromatiques et plastiques, avec des collages-décollages, des décapages mettant à nu la toile crue, des effaçages, des incisions, des inscriptions, des plages de couleur pure, l’unité de la composition est assurée par un souffle unique qui la traverse de bout en bout, bien qu’elle ait dû être longuement et lentement élaborée, avec des arrêts et des reprises; par la même pâte (poudre de marbre, terre réfractaire, pigments naturels, liant acrylique) et la même façon de la napper et de la travailler à la main, dans un contact physique intime avec le support, par la double gamme des terres et des bleus qui produit des tons allant de l’éclat de l’outremer et de l’intensité du marron brûlé aux plus sourdes et subtiles nuances de sable et de gris, assurant par là l’harmonie générale malgré les ruptures parfois abruptes mais parfaitement contrôlées. A aucun moment l’œuvre ne se délite visuellement. Au-delà de son aspect fractionné, sa cohésion tient à la cohérence d’une démarche plastique rigoureuse malgré sa complexité, menée avec une consistance sans faille et un métier consommé. Ainsi, Assumpcio Mateu lie, joint et rassemble en faisant mine de distinguer, disjoindre et séparer. Pour suturer symboliquement les lèvres de ces déchirures que sont les limites irrégulières des strates, elle trace au conté noir, à la frontière de deux zones, une ultime calligraphie libre, apposant souverainement son seing et son sceau à l’œuvre achevée, récapitulant par ce paraphe son passé gestuel et bouclant sa trajectoire de l’informel au scripturaire à travers la concrétion matiériste. Il ne sera pas difficile aux Orientaux et aux Méditerranéens que nous sommes d’aborder aux rives du monde autonome à la fois dense et sensible d’A. Mateu, guidés par des couleurs, des signes, des écritures qui font partie de notre patrimoine, et, partant, du patrimoine universel des hommes, ce qui l’autorise à en faire son bien propre. (Galerie Epreuve d’Artiste).
A l’instar de beaucoup de jeunes artistes des années soixante-dix, Asumpcio Mateu (née en Catalogne en 1952) a entamé son itinéraire pictural dans l’informel matiériste, à la catalane, avec des pâtes épaisses étalées à la main et labourées avec les doigts. Malgré l’impression de gestuelle impulsive qu’elles dégagent, ces œuvres étaient précédées d’études et...