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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Rencontre - Deux tables rondes sur les représentations de la Méditerranée au Théâtre de Beyrouth Entre rationalité et imagination , un monde à réinventer

«Les représentations de la Méditerranée», rencontre internationale regroupant à Beyrouth dix sociologues et dix écrivains de dix pays méditerranéens et/ou européens, ont clôturé leurs travaux par deux tables rondes publiques : la première autour de la «Méditerranée arabe» et la deuxième sur la «Méditerranée des écrivains». Le Théâtre de Beyrouth a rouvert ses portes exceptionnellement, vendredi et samedi soir, afin d’accueillir les conférenciers qui devaient s’exprimer dans le cadre des rencontres sur «Les représentations de la Méditerranée». Le premier débat, en arabe, présidé par M. Ghassan Tuéni, a regroupé les sociologues Sadok Boubaker (Tunisie), Abdelmajid Kaddoura (Maroc) et Ahmed Beydoun (Liban) ainsi que l’écrivain égyptien Edouard Kharrat. Le thème en était donc, «la Méditerranée arabe». M. Ghassan Tuéni a d’abord mis en garde contre les dérives d’une telle problématique. «La Méditerranée arabe ne doit pas être une idée romantique, a-t-il souligné, mais une dynamique créatrice. Elle n’est pas non plus une tentative de se rapprocher de l’Occident ou de sortir de l’arabité. Dans cette Méditerranée arabe, il n’y a pas de place pour ceux, chrétiens, musulmans ou autres, qui renient notre arabité». Il a ensuite donné la parole au sociologue Ahmed Beydoun qui a indiqué que trois documents lui ont servi de base de travail : «la Revue Phénicienne, Phénicia et les résumés des séances du Cénacle Libanais, tous trois réédités par Dar An-Nahar». Il a ensuite précisé que jusqu’au début du XXe siècle, «la Phénicie était tenue pour distincte du Liban. D’ailleurs, le nom de Liban était donné à la Moutassarifiyat (la montagne) alors que la Phénicie regroupait les villes côtières. L’idée phénicienne est née avec les différents nationalismes (arménien, turc, arabe, syrien…)». Beydoun a poursuivi, rappelant que «l’identité de Phénicie a été brandie par opposition à celle d’arabe. Charles Corm a été très virulent dans ses écrits contre les bédouins, cherchant à dégager le Liban et la Syrie tous deux phéniciens, de l’identité arabe. La mer Méditerranée était alors le théâtre de la gloire phénicienne». Cette idée de Phénicie se concentre rapidement sur le Liban, la Syrie échappant à la main-mise mandataire française «pour s’engager dans le sillon de la révolte arabe de 1916». Dès la fin des années trente, changement de cap pour le Liban. «Dans la revue Phénicia, on assiste à une première séparation entre la Méditerranée et le monde latin. C’est un début de reconnaissance de l’existence des musulmans et plus généralement des Arabes en Méditerranée». Cette tendance à l’ouverture va se confirmer avec l’Indépendance et le Pacte national de 1943. Ahmed Beydoun souligne que les temps ayant changé, Michel Chiha, dans sa dernière conférence au Cénacle en 1953, quelques mois avant sa disparition, plaidait une identité plurielle du Liban : «La civilisation arabe nous revendique et nous la revendiquons écrivait Chiha, mais la Méditerranée est notre climat vital, notre lac à nous». En conclusion, Ahmed Beydoun affirme que le Liban est «sans conteste un pays méditerranéen». La Méditerranée est une mer à «multi-visages, un monde de contradictions qu’il faut accepter de regarder en face». La Méditerranée : un défi à relever M. Saddouk Boubaker, historien des relations commerciales et financières, a estimé qu’en Tunisie, l’idée d’appartenance à la Méditerranée «est récente, elle date des années trente et vient d’Europe». Il s’est demandé quel était le rôle des pays arabes dans cette construction idéologique, et dans l’activité économique de cette région ? Il a souligné que l’aventure méditerranéenne était un défi que les Arabes auront à relever. M. Abdelmajid Kaddouri, historien des mentalités, s’est demandé si l’identité marocaine était méditerranéenne. Parcourant l’histoire, il a constaté que la Méditerranée a longtemps constitué un danger pour le Maroc, la porte ouverte à toutes les invasions. Pour l’écrivain égyptien Edouard Kharrat, «la Méditerranée est profondément ancrée dans notre imaginaire. Elle a une dimension africaine aussi importante que l’occidentale». Deuxième table ronde, en français, sur le thème de la «Méditerranée des écrivains». Présidée par Thierry Fabre, directeur de ce programme, elle a réuni Mme Feride Ciçekoglu (Turquie) et MM. Vincenzo Consolo (Italie), Takis Theodoropoulos (Grèce), Élias Khoury (Liban). Balade dans l’imaginaire de quatre écrivains méditerranéens. Pour Élias Khoury, beyrouthin, «la relation avec la mer a été à la fois très étroite et bizarre. Bizarre, car dans notre pays, la mer est un domaine privé, non public. Étant issus d’une classe moyenne, elle ne nous était pas accessible. Nous nous contentions donc de la regarder». Il a souligné par ailleurs, que «dans l’héritage culturel ancien, la littérature était basée à Bagdad, à Damas ou au Caire, trois villes non maritimes. Donc pas de relation avec la mer. Ce n’est que la découverte des récits des “Mille et une nuits”, via l’Occident et la modernité, qui ont ouvert une relation avec la mer». M. Khoury a dit que dans ses romans, «la mer a été une échappatoire, un rêve. La Méditerranée est un lieu de rencontre chargé d’une mémoire sanglante. Le problème de l’identité ne se pose pas. Si nous construisons quelque chose, ce sera en opposition par rapport à la culture mondialisante américaine». Feride Ciçekoglu a assuré que «toutes les émotions sont exagérées en Méditerranée». Évoquant les Vendetta, l’attitude dominatrice des mères… Elle dit avoir envie d’écrire sur tous les aspects de la vie méditerranéenne. Pour Takis Theodoropoulos, la mer a toujours joué un rôle. «La Grèce a la quatrième flotte commerciale du monde a-t-il rappelé. La Méditerranée c’est la réalité d’un sentiment. Ce n’est ni un concept ni une histoire commune. C’est une mosaïque de mondes différents qui partagent le même horizon». Vincenzo Consolo, écrivain d’origine sicilienne, a raconté son voyage en Sicile. «Une île bâtie sur deux mythes, l’un oriental et l’autre occidental…». Et Thierry Fabre a rappelé, empruntant les termes du sociologue italien Franco Cassano, que «l’idée de la Méditerranée est opposée à deux intégrismes : l’économique et le religieux». Il a conclu, citant Jean Giono, «ce n’est pas par-dessus cette mer que les échanges ont eu lieu, c’est à travers elle, grâce à elle». Loin d’une identité unifiée, une nouvelle vision à construire…
«Les représentations de la Méditerranée», rencontre internationale regroupant à Beyrouth dix sociologues et dix écrivains de dix pays méditerranéens et/ou européens, ont clôturé leurs travaux par deux tables rondes publiques : la première autour de la «Méditerranée arabe» et la deuxième sur la «Méditerranée des écrivains». Le Théâtre de Beyrouth a rouvert ses portes...