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Actualités - REPORTAGE

Recherche - L'Histoire des sciences arabes" en trois volumes Rouchdi Rached, l'animateur d'une épopée de dix ans ! (photo)

Rouchdi Rached, directeur de recherches au CNRS français, a coordonné une étude monumentale et rigoureuse sur l’histoire des sciences arabes. Dix ans de travail, 28 spécialistes de différentes nationalités, pour produire une somme en trois volumes : l’astronomie, théorique et appliquée ; les mathématiques ; la technologie, alchimie et sciences de la vie. Autant de domaines où l’apport des scientifiques, utilisant la langue arabe, est décortiqué. Un pont qui relie, sur une douzaine de siècles, les découvertes des Grecs anciens et les sciences contemporaines qui prennent corps à partir du XVIIe siècle. Le travail de recherche, considérable, ne fait qu’ouvrir une nouvelle voie. «Nous sommes encore au bord d’un océan», estime Rouchdi Rached. «Nous n’y sommes pas entrés. Aux générations futures de s’y plonger…». L’océan qu’ont pu entrevoir les chercheurs est vaste et profond. «Précisons d’abord, dit M. Rached, que la terminologie arabe se rapporte à différentes populations qui utilisaient l’arabe comme langue scientifique. Ainsi, nous avons des savants perses, hindous, turcs… Il n’y a aucune confusion là-dessus, arabe n’a, ici, aucune connotation nationale ou nationaliste, c’est une langue qui était utilisée de Chine jusqu’en Espagne». L’apport est énorme. «Il est de deux ordres : au niveau des nouvelles disciplines ; et de larges possibilités offertes dans différents domaines des sciences. «D’abord création de l’algèbre. Elle n’est pas tant importante par elle-même que par l’ensemble de possibilités qu’elle offre. L’algèbre et ses applications à un certain nombre de disciplines vont changer la configuration mathématique et donner la tonalité algébrique qui va définir la modernité classique. Celle-ci date du 18e siècle. Elle est donc caractérisée par une certaine mentalité algébrique, par l’utilisation de normes expérimentales comme normes de la preuve. Cette manière moderne de concevoir la recherche ne peut nullement s’expliquer par la science grecque, mais par la science arabe». Le premier à opérer une mutation dans ce sens était Ibn el-Haytham (mort en 1039). «Son ouvrage sur l’optique, important car basé sur une double démonstration mathématique et expérimentale, est traduit en latin et sert de base à de nombreux scientifiques occidentaux, dont Kepler, Descartes…», rappelle M. Rached. Un oubli intentionnel ? Pourquoi un apport aussi fondamental a-t-il été oublié ? «Plusieurs raisons. Rappelons d’abord qu’au 17e siècle, il y avait différentes tendances : d’une part l’utilisation des sciences arabes, d’autre part le retour à la Grèce antique, avec notamment Viète. Quelles sont les raisons de ce retour, c’est un autre problème. Ce qui est certain, c’est que la tendance dominante était à la traduction latine des sciences arabes. Par exemple, un des correspondants de Descartes, Gaulus, est venu dans la région, il a ramassé et traduit de nombreux manuscrits arabes. Au 18e siècle, il n’y avait pas une attitude a priori contre la science arabe, on peut observer cependant une sorte d’eurocentrisme non raciste». C’est au 19e siècle, selon le chercheur, que tout se gâte. «D’un côté, l’école philologique allemande qui partage la civilisation en deux : les aryens, génies de l’abstraction, et les sémites, doués pour les religions. De l’autre, la naissance des empires coloniaux. Là, on s’est intéressé aux coutumes, aux habitudes. Et puis, comment les colonisateurs qui se disaient avoir une mission civilisatrice, auraient-ils pu justifier leur conquête en reconnaissant une intelligence aux peuples qu’ils étaient en train de soumettre». Les choses n’ont commencé à changer que vers le début des années cinquante, «ce qui a permis de débloquer des fonds et de commencer les travaux de recherche». À la faveur de la décolonisation, «mais surtout parce que de nombreux scientifiques ont commencé à se poser des questions sur ce laps de temps, ces quelques siècles, qui sépare les sciences grecques des découvertes des sciences modernes classiques». Un besoin de comprendre Rouchdi Rached est au nombre de ces chercheurs. Loin d’un quelconque esprit revanchard, il dit avoir été motivé en tant qu’historien et philosophe des sciences, pour «comprendre comment les sciences, qui ne sont généralement pas cultivées par hasard, ont été développées dans cette civilisation islamique». Son intérêt est purement scientifique, «cette civilisation n’a pas une seule dimension, elle a eu notamment une activité de recherche scientifique très intense». Quant aux raisons du déclin, M. Rached affirme que c’est là «un objet de recherche qui n’a jamais été abordé. Pour ma part, j’essaye auparavant de restituer ce qui a été avant de dire pourquoi cela ne l’est plus». Est-ce le rapport de l’Islam à la science ? «Sous l’Islam, la science a été tour à tour épanouie puis décadente. Je suis donc obligé d’en conclure qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre les deux». Selon lui, sauf quelques cas isolés comme Averroès, l’Islam n’a jamais contré les scientifiques. Et il insiste : «La science n’est pas une valeur importée en Orient. La rationalité est une valeur propre aux Arabes». Les trois volumes ont été rédigés en français et en anglais. Ils sont actuellement traduits en arabe et en perse. Une sorte de boucle bouclée ; retour à la case départ ? «C’est la manière optimiste de voir les choses», estime M. Rached. «Si l’histoire avait suivi un certain cours, c’est la version arabe qui aurait été la référence et les traductions se seraient faites à partir d’elle». Pas chauviniste pour un sou, il ne fait que constater une réalité. «Réalité qui ne pourra être inversée que par une politique volontaire et rigoureuse de création d’organismes de recherche», estime-t-il. «Des scientifiques, nous en avons. Ils immigrent parce qu’ils ne trouvent pas ici de conditions sérieuses pour travailler». Le défi que doivent relever les Arabes est grand. «Il est urgent de faire quelque chose. Le retard qui s’accumule est dangereux, c’est un véritable appel à toutes les démagogies».
Rouchdi Rached, directeur de recherches au CNRS français, a coordonné une étude monumentale et rigoureuse sur l’histoire des sciences arabes. Dix ans de travail, 28 spécialistes de différentes nationalités, pour produire une somme en trois volumes : l’astronomie, théorique et appliquée ; les mathématiques ; la technologie, alchimie et sciences de la vie. Autant de domaines où...