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Actualités - OPINION

Tribune Un nouveau rôle constitutionnel dans l'accord de Taëf Le chef de l'Etat, gardien du principe de légalité

Nombre d’amendements constitutionnels, en vertu de l’accord sur l’entente nationale dit de Taëf du 22 octobre 1989 et les révisions de 21 septembre 1990, n’ont pas été intégrés dans la culture constitutionnelle et plus généralement politique au Liban. Parmi ces amendements, il y a ceux à caractère plutôt général et culturel qui ne relèvent pas directement des techniques juridiques formelles. Il s’agit, entre autres, du préambule de la Constitution amendée et du nouveau alinéa introductif à l’article 49 concernant «le président de la République». On sait que l’article 49 a subi dans l’histoire constitutionnelle plus de six amendements partiels et souvent formels, de 1927 à 1998, outre l’amendement du 21 septembre 1990, qui ajoute la disposition suivante au début de cet article: «Le président de la république est le chef de l’État et le symbole de l’unité du pays. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, à son unité, et à l’intégrité de son territoire conformément aux termes de la Constitution (...)». S’agit-il d’une formule d’éloquence littéraire, d’une affirmation d’évidence, ou d’une disposition constitutionnelle nouvelle, introduite à bon escient par le constituant et qui implique une pratique politique conséquente? Il s’agit du nouveau fondement de la fonction du Chef de l’État, la clé de voù de toutes les autres attributions présidentielles dans la société multicommunautaire libanaise où la règle de la proporz ou du partage du pouvoir subordonne la première magistrature à des contraintes. Preuve en est que la prestation du serment est limitée, en vertu de l’article 50, à la première présidence, alors qu’il était question, dans des propositions de changement politique, que le chef du gouvernement et le chef de législatif, dont les attributions se trouvent renforcées, prêtent aussi un serment. Or le chef de l’État est seul astreint au serment: «Je jure par le Dieu Tout Puissant d’observer la Constitution et les lois du peuple libanais, de maintenir l’indépendance du Liban et l’intégrité du territoire». Preuve en est aussi qu’en vertu de l’amendement du 21 septembre 1990 créant le Conseil constitutionnel, ce conseil «peut être saisi pour le contrôle de la constitutionnalité des lois par le président de la République (...)». Malgré ces dispositions, le débat se poursuit à l’ancienne concernant la fonction du chef de l’État, sa présidence du Conseil des ministres, le déroulement des consultations ministérielles, la révocation des ministres, la ratification des traités... Il y a certes là des attributions essentielles en vue de l’équilibre des pouvoirs. Mais la fonction principale du chef de l’État libanais déborde ces attributions en vue de l’exercice d’une magistrature morale, la défense de l’État de droit et la sauvegarde de l’intérêt général. Président arbitre pour tous ou président honoraire? Le dilemme auquel s’est trouvé confronté le débat constitutionnel chronique est le suivant: réduire les attributions du chef de l’État et égaliser les trois présidences, débat apparemment constitutionnel, mais chargé de fantasmes et de rêves fracassés d’hégémonie ou de supériorité. Compte tenu de la rigidité du partage du pouvoir, on peut envisager deux perspectives: celle d’un président maronite, mais avec une remise en question radicale de l’idéologie de la présidence; et celle d’un président maronite, mais plutôt honoraire. La première perspective est celle d’un président maronite, mais au-dessus des communautés et avec une capacité de négociation, d’arbitrage et surtout d’unification, comme en Belgique, ni Flamand, ni Wallon, un chef pour toutes les communautés, symbole de l’unité et de la pérennité de la patrie. Pour défendre leur présence et leur participation, les maronites, et plus généralement les chrétiens, devraient tabler sur leurs ministres au gouvernement, leurs députés, leurs partis et non s’identifier à la première présidence, acculer la première présidence à s’aligner, à devenir partisane. Il est aussi dans la logique d’un système consensuel que le chef de l’État, même maronite, soit perçu comme en dehors des enjeux du partage du pouvoir, comme pour le chef du gouvernement sunnite et le président de la Chambre. De 1975 à1989, en fait, les Assises islamiques désignaient le chef sunnite du gouvernement. Quand l’idéologie dominante considère le chef maronite de l’État comme un enjeu dans le partage du pouvoir, et non comme un chef et arbitre pour tous, d’autres communautés s’estiment en droit de réclamer des parts égales alors que le partage du pouvoir doit être axé à d’autres niveaux. Il y a une incompatibilité entre la présidence (maronite) de l’État et l’idéologie qui identifie la présidence à une communauté. Le président de la République a toujours été victime d’une perception qui gène son efficience, sa qualité de chef pour tout le Liban et tous les Libanais. Quand un chef d’État œuvre avec ténacité pour tout le Liban, il en est qui l’appellent Mohammad... Une telle plaisanterie finit par coûter cher à l’autorité de la première présidence et son prestige. C’est alors que d’autres se disent: «Du moment qu’il est votre président, partageons équitablement»! Cela a toujours été le problème du chef de l’État au Liban, et plus généralement le problème du pouvoir central multicommunautaire. L’autre perspective d’équilibrage, en fait trop coûteuse, consiste à isoler de facto le président de la république (l’homme de Baabda) et à transférer tout le pouvoir au Conseil des ministres pour faire du président de la république une sorte de président honoraire. Le système de la présidence honoraire a été tenté durant le boycottage par des ministres musulmans du Palais de Baabda. Sans doute les raisons de ce boycottage ne sont pas d’origine exclusivement interne. À la recherche d’un contenu À moins de considérer les quatre nouvelles lignes de l’article 49 comme de l’éloquence littéraire ou de la redondance juridique, y compris l’obligation exclusive du serment (art. 50) et le nouveau droit de recours au Conseil constitutionnel (art. 19), il faudra, en théorie comme dans la pratique, déterminer le contenu concret d’une fonction non pas de simple arbitrage (souvent assimilé à des compromissions et à des échanges clientélistes de prébendes), mais une fonction positive et active de gardien du principe de légalité, d’unité nationale et d’indépendance dans un contexte national et régional contraignant. Sur le plan interne, le président Fouad Chéhab se plaignait des fromagistes mais son mot d’ordre, chaque fois que des politiciens venaient réclamer un service équivoque, était: Que dit le livre? Sur le plan régional, comment départager les intérêts stratégiques communs libano-syriens de sécurité et la gestion des affaires internes et même courantes, surtout au niveau de l’administration publique? L’histoire constitutionnelle libanaise ne manque pas d’exemples pour dégager un contenu explicite, appelé à se transformer en tradition, concernant la fonction de gardien ultime du principe de légalité. Dans son allocution à l’occasion de la fête de l’armée le 1er août 1997, le président Hraoui disait: «Les citoyens veulent une administration qui les serve et je refuse une administration qui asservit le citoyen et fait fi de ses intérêts. J’exhorte le gouvernement et la chambre à trouver des moyens pour remédier à cet État des choses». A aucun autre moment le Liban n’a eu tant besoin d’une magistrature suprême, garante de la norme. Une magistrature au-delà des petites attributions (salahiyyat) et qui est justement le fondement légal des attributions et de leur exercice. Avec le nouvel article 49, le nouveau président n’est pas celui qui arrache et se fait arracher les attributions, mais le garant de leur exercice démocratique. Fonction énorme, responsabilité exorbitante, du chef de l’État et dont semblent dispensées d’autres instances gouvernementales qui ne prêtent pas le serment constitutionnel. C’est peut-être là une faille de l’accord de Taëf!
Nombre d’amendements constitutionnels, en vertu de l’accord sur l’entente nationale dit de Taëf du 22 octobre 1989 et les révisions de 21 septembre 1990, n’ont pas été intégrés dans la culture constitutionnelle et plus généralement politique au Liban. Parmi ces amendements, il y a ceux à caractère plutôt général et culturel qui ne relèvent pas directement des techniques...