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Actualités - OPINION

Regard Conglomérat : Beyrouth à travers les âges Expiation

Comme s’ils s’étaient donnés le mot, les cafés de Beyrouth (qui se sont multipliés ces derniers temps, ce qui est toujours de bon augure puisque ce sont des lieux de baguenauderie et de conversation, donc de civilisation par excellence), semblent désireux de s’inscrire de nouveau dans le paysage culturel de la capitale. Au lieu de boire idiot, on peut cette semaine, par exemple, si on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent, croquer les acryliques de Jamil Molaeb au City Café, les œuvres de douze jeunes plasticiens à la Brasserie Grill 101 et les peintures et dessins de Pascale Ingea, débutante talentueuse qui a quelque chose à dire, ce qui est rare à ce stade, au News Café. Jusqu’à la semaine passée, on pouvait également, dans le café de plein air improvisé au centre-ville, regarder Khaled Ramadan — architecte et sculpteur libanais vivant au Danemark — et quatre autres artistes danois (réunis par lui pour l’occasion dans le groupe «Conglomérat») peindre ensemble une dizaine de panneaux de 130x200 cm chacun sur le thème de Beyrouth à travers les âges, en s’inspirant, apparemment, du plan de la ville dessiné en 1860 par un orientaliste danois. Et cela tout en écoutant d’une oreille distraite des chanteurs et des musiciens de Jazz et en bavardant non moins nonchalamment avec ses voisins de chaise dans ce dernier salon où l’on cause au lieu de se tabasser (c’était il n’y a pas si longtemps). L’impression était d’ailleurs un peu hallucinante dans ce décor de façades-fantômes restaurées dont les pierres ocres émettaient des ondes méridionales qui interféraient étrangement avec les couleurs froides, ternes, comme exténuées, des peintres venus du septentrion. Les formes, mesurées, placides, avec le tracé en noir des artères et la suggestion des lieux et objets (un quadrillage de points = les thermes romains, quelques pins = la forêt de Beyrouth ou ce qui en reste, une grue = le port et les chantiers, une ligne sinueuse = la montagne au loin, etc.) contrastaient, tout comme les couleurs, avec les immenses panneaux cache-chantiers aux formes, couleurs et touches vigoureuses, particulièrement les panneaux abstraits situés derrière l’orchestre, dont les traits semblaient danser avec la musique, peints avec une étonnante rapidité par Emmanuel Guiragossian. Les Danois, qui ont été à pied d’œuvre durant trois jours, ont également travaillé avec de jeunes peintres locaux à trois panneaux qui resteront sur place, alors que les premiers peuvent être vus à la galerie Agial où ils sont exposés séparés et non ajointés comme dans la rue: là aussi, ça manque de nerf, de pep, de mordant, c’est peu concluant. Les panneaux chez Agial, bien que formant des éléments d’une œuvre plus grande, possèdent chacun une construction suffisamment autonome où l’on ne distingue pas vraiment le travail de plusieurs individus: ce sont des œuvres vraiment collectives, en ce sens que la personnalité de chaque peintre s’est fondue dans l’ensemble. La «Aouné» Aucun des peintres, qui étaient ravis de l’expérience, n’avait encore participé à un travail collectif. Ils se promettent de rempiler l’année prochaine pour réaliser une murale de plusieurs centaines de mètres avec d’autres collègues danois. L’un d’eux, sculpteur, a été tellement conquis par Rachana qu’il a convenu avec les Basbous de venir y passer 40 jours pour réaliser une sculpture monumentale, en dehors du cadre du Symposium annuel de septembre. Indépendamment de la valeur artistique modeste des panneaux, avec leur symbolisme naïf, ce qu’il faut relever dans cette aventure — c’en était une pour eux en tout cas – c’est que les Danois ont accepté sans hésiter de contribuer à leur manière à la renaissance culturelle de Beyrouth; c’est leur générosité sans arrière-pensée, leur simplicité et leur gentillesse; c’est le rappel, ironiquement venu du froid, de la tradition de la «Aouné», la solidarité et l’entraide qui, dans nos villages, mobilisait tout le monde en faveur d’un seul pour la réparation d’une toiture, voire la construction d’une maison ou des travaux agricoles. Cette tradition est actuellement tout à fait étrangère aux mœurs des artistes libanais, pourtant issus, en majorité, du monde rural. C’est cette «Aouné» mondialisée qui permet à Rachana de se doter de son Parc international de sculpture, les sculpteurs invités au symposium y laissant des œuvres qui valent souvent des dizaines de milliers de dollars sur le marché de l’art. Tant d’autres entreprises collectives pourraient être conçues et menées à bien à travers le pays si les artistes du cru voulaient bien, de temps en temps, sacrifier un peu de leur temps pour le bien commun. Mais le concept même d’intérêt public est étranger à la mentalité libanaise, bien qu’il commence à émerger ça et là, surtout en matière d’environnement. Les arcades de Maarad L’intérêt public, par exemple, serait que les arcades de Maarad soient conservées dans leur rythmique et leurs proportions, de manière à maintenir une perspective unifiée. Or, voici qu’au coin de Maarad-Weygand, s’élève un nouvel immeuble dont les arcades, au lieu de s’inscrire dans l’alignement, sont beaucoup plus hautes que les autres, brisant le rythme de la rue d’une manière fort inesthétique. Mieux aurait valu se passer totalement des arcades plutôt que de perpétrer une telle erreur de jugement et une telle faute de goût en attentant à un ensemble urbain harmonieux cher au cœur des Beyrouthins. S’il fallait casser l’unité de la rue, autant le faire par un immeuble carrément contemporain, et non par ce simulacre de tradition mal comprise. Les arcades, disgracieuses de par leur disproportion, souffrent de la comparaison avec leurs voisines. L’architecte s’est peut-être inspiré du portique de la mosquée de l’émir Mansour, à quelques mètres de là, qui présente trois arcades de proportions et peut-être d’époques différentes, mais ajustées de telle sorte qu’on est quelque peu surpris de s’en rendre compte, alors que le contraste est flagrant et désagréable à l’œil entre les arcades ultra-hautes du nouveau bâtiment et leurs cousines plus anciennes. Le bâtiment en béton décoffré, en cours de construction une rue plus bas, est moins choquant puisqu’il assume son identité contemporaine et s’oppose franchement aux immeubles 1920 restaurés de l’entourage sans chercher à les singer. La diversité est importante, voire essentielle dans le paysage urbain, mais il y a une bonne et une mauvaise diversité. Le problème, avec la diversité architecturale, c’est qu’elle peut combler ou affliger l’œil pendant des décennies. Quoi qu’il en soit, lorsque les immeubles du centre-ville auront tous été restaurés, il vaudra la peine de consacrer un ouvrage d’art abondamment illustré, voire plusieurs, à cette entreprise de récupération, ne serait-ce que pour expier symboliquement le sacrifice d’autres immeubles, qui méritaient de survivre, sur l’autel du profit foncier.
Comme s’ils s’étaient donnés le mot, les cafés de Beyrouth (qui se sont multipliés ces derniers temps, ce qui est toujours de bon augure puisque ce sont des lieux de baguenauderie et de conversation, donc de civilisation par excellence), semblent désireux de s’inscrire de nouveau dans le paysage culturel de la capitale. Au lieu de boire idiot, on peut cette semaine, par exemple, si on...