Note de lecture "L'empreinte de l'ange" de Nancy Huston

Comme une musique lointaine mais familière, battant du pouls même de la vie, ce livre a la séduction à la fois triste et éclatante d’un baiser volé... Histoire riche et vibrante où l’amour, la trahison, les horreurs de la guerre, les combats pour la liberté sont autant de thèmes et d’hymnes que la littérature charrie tel un flot impétueux. En tête des best-sellers de l’été et peut-être cheval de bataille des prix de la rentrée. «L’empreinte de l’ange» de Nancy Huston (Actes Sud-328 pages) mêle avec une subtile dextérité grandes passions et fiévreux militantisme. Mélange détonnant qui crée une atmosphère dense et tendue que le talent de l’auteur sublime à travers une narration au lyrisme maîtrisé et original où poésie, observations, réflexions, art de brosser des portraits s’imbriquent étroitement en une maille serrée. Enigmatique, lourde d’un passé aux souvenirs douloureux, cruellement blessée dans son enfance, «Saffie», l’Allemande, fait irruption dans la vie de Raphaël le musicien flûtiste... Passion dévorante transformée en une sage et confortable conjugalité pour ce jeune Parisien promu à une carrière triomphale. Mais Saffie est ailleurs... Même sa nouvelle maternité avec l’arrivée d’Emil la détourne à peine de ses démons secrets... Mais la rencontre fortuite avec le luthier Andreas, juif hongrois échappé aux griffes SS, va illuminer son existence, la libérer de ses tourmentes, la réconcilier avec elle-même, son fils et Paris qu’elle découvrira émerveillée... Entre le monde fluide et feutré du musicien, et la pauvreté pleine toutefois de chaleur et de passion de l’artisan, Saffie partagera désormais sa vie considérant son adultère comme la plus belle chose qui lui soit arrivée... Les liens se tissent, se resserrent, les années passent et le drame, inéluctablement, se noue... Ce drame d’un mari trompé, d’un enfant préférant l’amant de sa mère à son père, d’amours merveilleuses mais contrariées par le destin et les enchaînements sociaux sur fond d’une époque mouvementée où l’Algérie arrache dans les larmes et le sang son indépendance à une France farouchement accrochée encore à ses rêves de colonialisme... Fustigeant les tares des sociétés à travers la guerre et son cortège d’horribles malheurs — érigée hélas en un perpétuel recommencement — dénonçant la turpitude et la barbarie humaines sous le couvert de la convoitise d’une hégémonie politique, décortiquant avec un talent remarquable et une lucidité à couper le souffle le quotidien de ses personnages, Nancy Huston offre avec «L’empreinte de l’ange» un superbe roman, grave et tragique, traversé par la lumière d’un poignant cri d’amour. Entre les orages d’un fiévreux militantisme et la passion éthérée de la musique conçue comme une noble cause humaine, le livre de Nancy Huston fait vivre, avec intensité, des personnages émouvants confrontés à leur destin et en quête surtout d’une identité. Identité éclatée où à travers mémoire, souvenirs et bouleversements sociaux et historiques, les êtres tentent d’approcher l’essence d’une vie, de conquérir cette fuyante notion du bonheur et surtout de recomposer le puzzle d’une existence placée sous le signe de la souffrance... Dans une langue riche, résonnant de mille images retentissantes, portée par un rythme lent et à la nervosité calculée, la romancière crée une atmosphère singulière et captivante où le lecteur est subjugué par une prose magnifique se déployant tantôt comme une mélodie voluptueuse tantôt haletante comme le feu d’une colère incontrôlée... «Comment comparer les souffrances?», s’interroge l’auteur dans son exergue. Eh bien, à travers ce roman foisonnant et aux rebondissements multiples, à la voix puissante, taillée pour la transparence, la fièvre, la soif de liberté et l’inquiétude Nancy Huston réussit un beau et dévastateur portrait d’un couple d’amants pris dans les pièges des illusions et de la fragilité du bonheur...