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Actualités - INTERVIEWS

Le secrétaire général de l'IDEF à l'Orient Le Jour Un esprit indépendant principale qualité du magistrat (photo)

La situation de l’appareil judiciaire a été ces dernières années au centre d’un vaste débat interne et l’un des sujets de polémique sur la scène locale. Il n’est pas un responsable politique qui n’ait mis l’accent à plusieurs reprises sur la nécessité de «renforcer l’indépendance de la magistrature». Et parallèlement, des sujets aussi cruciaux que les prérogatives du Conseil constitutionnel ou aussi la construction juridique qui a sous-tendu la création de Solidere ont fait l’objet de discussions animées. Bénéficiant de quelque recul, un observateur étranger pourrait fournir un avis objectif sur ces deux derniers dossiers, ou aussi sur les conditions objectives qui devraient être réunies pour préserver (réellement) l’indépendance de la magistrature. Nous avons interrogé à ce propos un juriste et ancien magistrat français, le juge Pierre Decheix, qui occupe actuellement les fonctions de secrétaire général de l’IDEF (Institut international de droit d’expression et d’inspiration françaises). Le juge Decheix vient de participer au congrès des conseils constitutionnels francophones qui s’est tenu il y a quelques jours à Beyrouth. L’IDEF, qui est un organisme privé basé à Paris (VOIR ENCADRÉ), tiendra en avril prochain au Liban un congrès ayant pour thème «le droit de l’urbanisme et de la reconstruction». Un sujet qui a souvent déchaîné les passions au Liban, notamment dans les milieux des ayants droit du centre-ville. «C’est le premier ministre Rafic Hariri qui a choisi ce thème», souligne M. Decheix. «Depuis mon arrivée à Beyrouth, précise-t-il, j’ai pris contact avec différents collègues juristes ainsi qu’avec des architectes et des spécialistes de l’urbanisme et de la reconstruction. Nous allons former (pour la tenue du congrès) une unité d’études groupant des urbanistes, des architectes et des juristes spécialistes de l’urbanisme». «Une soixantaine de personnes participeront aux débats, en sus des auditeurs, indique M. Decheix. Les travaux de ce congrès permettront ainsi au gouvernement libanais d’avoir en main un ensemble de renseignements portant, notamment, sur l’expérience vécue dans le domaine considéré par d’autres pays francophones. De même, les autres pays représentés pourront tirer profit de l’expérience libanaise, plus particulièrement celle de Solidere». Mais le processus de reconstruction a déjà été entamé et il est suffisamment avancé dans différents secteurs. N’est-ce pas un peu tard, par conséquent, de plancher aujourd’hui sur les problèmes à caractère juridique posés par l’entreprise de reconstruction, notamment sur le plan de l’urbanisme? Cette question se pose, en particulier, pour le cas de Solidere dont le projet est en bonne voie. «Le processus de reconstruction au Liban est une réussite, souligne à ce propos M. Decheix. Cela peut servir d’exemple aux autres. Nous ne sommes pas ici pour traiter uniquement de la question libanaise, mais aussi des problèmes qui intéressent tous les pays francophones. Ce qui s’est fait au Liban pourrait leur servir de modèle. En outre, quelle que soit l’expérience des Libanais, il y a encore, peut-être, des problèmes à résoudre, parce qu’on n’est jamais sûr d’avoir tout réglé. Il ne faut pas exclure qu’apparaissent de nouvelles questions pour lesquelles les expériences des autres pays pourraient être utiles au gouvernement libanais. Il y a sans nul doute des améliorations à apporter au Liban, et l’expérience des autres pays pourrait inspirer les Libanais, et vice versa». Dans ce cadre, comment serait-il possible, pour un observateur étranger, d’évaluer la construction juridique qui sous-tend la création de Solidere? «Je pense à ce sujet à une intervention faite il y a quelques années par mon ami Hassane Rifaat sur la construction juridique de Solidere qui est sans nul doute une construction originale, souligne le secrétaire général de l’IDEF. Cet édifice juridique a tenté de prendre en considération les différents intérêts en présence. Il fallait concilier l’intérêt général et celui des particuliers, c’est-à-dire des propriétaires terriens et des locataires. Il fallait aussi tenir compte du problème de la reconstruction de l’ensemble de l’infrastructure. Il était nécessaire de respecter les intérêts de toutes les parties». Lucide et pragmatique, M. Decheix souligne sans détours que «dans une situation aussi complexe, il est très difficile de satisfaire tout le monde». «Un bon procès, quel qu’il soit, ne donne généralement satisfaction à personne, souligne-t-il dans ce cadre. Dans le cas précis de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, le pays se trouvait face à un ensemble d’intérêts enchevêtrés. Je pense que les Libanais ont choisi la meilleure formule. On a privilégié l’intérêt général. On a essayé de donner satisfaction aux propriétaires et aux locataires. Le résultat est là. Ce résultat est magnifique. On a laissé l’entreprise privée se développer. La construction juridique de Solidere me paraît ainsi tout à fait acceptable. Comme dit le proverbe, «à l’œuvre, on connaît l’ouvrier». C’est le résultat qui compte, et je suis admiratif devant le résultat obtenu». L’indépendance de la magistrature Abordant, sur un tout autre plan, le dossier non moins brûlant de l’indépendance de la magistrature, le secrétaire général de l’IDEF évoque, en tant qu’ancien juge français, les conditions objectives qui devraient être réunies pour garantir l’indépendance de l’appareil judiciaire. «Il est évident que les magistrats doivent être indépendants du pouvoir politique, des puissances financières, de la presse, des médias en général, dit-il. Cela suppose beaucoup de qualités. Mais il est parfois difficile de mettre en œuvre ces qualités en cas de fortes pressions. Il faut donc sélectionner les hommes, ce qui n’est pas toujours facile». M. Decheix met l’accent, à cet égard, sur la nécessité pour le juge de faire preuve «d’esprit d’indépendance». «On ne parle pas beaucoup de cet esprit d’indépendance, mais c’est la première chose qu’un magistrat doit avoir, affirme le secrétaire général de l’IDEF. Le magistrat doit faire preuve d’indépendance à l’égard aussi bien du pouvoir politique que des puissances financières ou même de la presse». Pour lui, l’une des conditions de cette indépendance est «le statut du magistrat». «Il faut que la loi organise la carrière du juge de manière à permettre à ce dernier de résister aux pressions, précise-t-il. Il faut que les magistrats ne puissent pas être mutés contre leur gré. S’ils ont un dossier qu’ils traitent correctement, il ne faudrait pas qu’on puisse le leur retirer pour la simple raison qu’ils orientent leurs investigations d’une certaine façon ou qu’ils ne se montrent pas souples ou conciliants». Plusieurs systèmes ont été envisagés pour renforcer cette indépendance, relève M. Decheix. «D’aucuns ont préconisé que le juge soit nommé à titre définitif à un poste sans avancement possible, afin qu’il soit rassuré quant à la pérennité de son poste, indique-t-il à ce propos. Le Conseil supérieur de la magistrature pourrait aussi avoir pour tâche d’évaluer lui-même l’action des juges, ce qui permettrait à ces derniers de se soustraire aux pressions du pouvoir politique». Le fonctionnement du Conseil constitutionnel Abordant, en outre, sa participation au congrès des conseils constitutionnels francophones, M. Decheix évoque d’emblée, peut-être sans le savoir, un sujet qui a été au centre du débat interne libanais concernant le rôle et les prérogatives du Conseil constitutionnel. «J’ai été frappé, en marge de ce congrès, par la déclaration fracassante du bâtonnier de Beyrouth, Antoine Klimos, souligne le secrétaire général de l’IDEF. Le bâtonnier a souligné que les avocats sont très bien placés pour veiller au respect de la Constitution et il a demandé que le Barreau soit habilité à présenter un recours devant le Conseil constitutionnel s’il estime que la loi a violé la Constitution. Cette déclaration est tombée comme un pavé dans la mare. Elle a provoqué des réactions diverses. Les avocats ont appuyé cette position, mais les hommes politiques ne m’ont pas paru du même avis. Le débat est ouvert. Il est intéressant car il permet une ouverture sur le Barreau qui, par essence, est indépendant. Ce point de vue mérite, à mon sens, d’être examiné». Le Conseil constitutionnel devrait-il, dans ce cadre, avoir le pouvoir de s’autosaisir, de manière à ne pas être tributaire du pouvoir politique? M. Decheix se montre peu favorable à une telle option. «Sur le plan du principe, et sans vouloir aborder le cas de la réalité libanaise, on dit en droit que le juge est chose jugeante, déclare-t-il. Cela signifie que le juge attend que l’on vienne lui demander d’exercer ses fonctions. Si le juge se saisit lui-même, cela signifierait qu’il considère, au départ, qu’il y a une source de litige. Cela suppose qu’il préjuge, en quelque sorte». «Dans le cas précis du Conseil constitutionnel, souligne M. Decheix, les magistrats pourraient estimer qu’il existe une faille dans une loi déterminée. Ils pourraient décider alors de se saisir de cette loi et d’en discuter. Il y aurait là, déjà, un préjugement. Le gouvernement ou le Parlement devrait dans ce cas déléguer un représentant pour défendre son point de vue, car les magistrats du Conseil constitutionnel pourraient ne pas avoir bien saisi certains aspects de la loi. Personnellement, je suis hostile à l’autosaisine du juge. En France, à titre d’exemple, j’ai moi-même critiqué le fait que le tribunal de commerce puisse s’autosaisir, en matière de faillite, de la situation d’un commerçant en difficulté. C’est le procureur qui devrait saisir le tribunal de commerce, lequel aurait alors son entière liberté d’appréciation. Par contre, si le tribunal de commerce apprend d’une façon quelconque qu’un commerçant est en difficulté et qu’il décide de se saisir, il aurait fait ainsi un préjugement. Pour le Conseil constitutionnel, c’est le même raisonnement». Le débat concernant ces différents dossiers brûlants est donc de mise. Du moins devrait-il l’être. Encore faut-il que l’establishment politique en place soit perméable et ouvert à un tel dialogue rationnel.
La situation de l’appareil judiciaire a été ces dernières années au centre d’un vaste débat interne et l’un des sujets de polémique sur la scène locale. Il n’est pas un responsable politique qui n’ait mis l’accent à plusieurs reprises sur la nécessité de «renforcer l’indépendance de la magistrature». Et parallèlement, des sujets aussi cruciaux que les prérogatives du...