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Actualités - OPINION

Regard Baalbeck, Beiteddine, Ayloul , Rachana, Théâtre de Beyrouth Bel été, triste fin

La saison estivale était naguère, culturellement, une saison presque morte, à part les «festivals» folkloriques («mouné», parades florales et autres passéismes villageois) et les navrantes prestations de la nouvelle vague de chanteurs sans voix et sans poids, néanmoins très populaires auprès d’un public peu exigeant qui ne demande qu’un charivari plus ou moins rythmé pour battre la mesure et se déhancher à qui mieux mieux. Et voici que, grâce aux initiatives privées qui accentuent s’il se peut encore l’absence ou plutôt l’absentéisme de l’Etat qui, malgré un ministère de la Culture qui n’en a que le nom, s’obstine à décourager les projets culturels au lieu de les soutenir (voir, par exemple, comment sont escamotées et passées à la trappe, avec une habileté de prestidigitateur, les tentatives récurrentes de créer un Musée d’art contemporain), l’été est devenu la belle et haute saison de la culture, comme si tout le monde cherchait, d’un seul coup, à combler une fringale vieille de vingt-trois ans. Et cela au risque d’une énorme indigestion. Indigestion de biens, bonne indigestion assurément, mais embarras de richesses qui pourrait être évité si le ministère de la Culture (?) ou, à défaut, celui du Tourisme qui semble plus actif, peut-être à cause de ce qui lui reste de l’ancien dynamisme du Conseil national du tourisme, s’employait à mettre sur pied une commission de coordination pour régler la circulation des manifestations et empêcher les embouteillages de programmation. Ou encore mieux, puisque l’Etat est tellement nul en la matière et qu’il n’y a pas d’espoir qu’il s’améliore bientôt, si les responsables des divers festivals, les entrepreneurs de spectacles, les impresarii, les francs-tireurs du hit and run culturel se concertaient au sein d’un forum ad hoc pour accorder leurs violons. Cela permettrait, par exemple, d’éditer un guide-calendrier qui serait aussi utile aux résidents qu’aux visiteurs et touristes pour établir leur stratégie et leur budget de spectateurs et/ou de participants. Certes, cela n’éviterait pas les chevauchements et les dilemmes du genre: «Dois-je courir au Forum écouter l’orchestre de la Scala ou cavaler à Beiteddine pour ne pas rater les chants soufis iraniens?» — mais permettrait, dans la mesure du possible, d’étaler les manifestations à la lumière des engagements des artistes nationaux et internationaux. C’est peut-être un vœu pieux, mais certainement une proposition à prendre en compte. Déjà, ai-je cru comprendre une certaine coordination a été asquissée entre les festivals de Baalbeck et de Beiteddine. Il faudrait qu’elle s’étende aux autres, qui n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements. Cela dit, avec ses hauts et ses bas, ses brillantes réussites et ses couacs regrettables, la moisson fut abondante: Baalbeck; Beiteddine; Tyr; Byblos (?); la Scala de Milan; Beat Machine; Ayloul — avec les sympathiques recherches de jeunes talents pas toujours très mûrs, mais il faut bien commencer quelque part; Mois de la Photo — avec la révélation d’un nombre étonnant de photographes locaux passionnément engagés dans leur vocation, souvent plus doués et inventifs que bien des plasticiens, sans compter les photographes étrangers: Symposium de sculpture de Rachana — avec l’inauguration du Parc international de sculpture, premier musée (privé) d’art contemporain au Liban; Mois du Patrimoine qui permet de découvrir en musique des sites inexploités et qui pourraient l’être davantage: Wadi el-Habis à Fourzol, tout des Lions à Tripoli, forteresse-cité de Tebnine, Sérail des Hamadé à Baakline; mais aussi Souk el-Barghout, à la rue Foch avec ses superbes bâtisses restaurées, qui, pour la première fois depuis 23 ans, a donné aux Beyrouthins le sentiment d’avoir de nouveau une mémoire urbaine et une vraie ville et non pas une collection de quartiers recroquevillés sur eux-mêmes, un lieu de flânerie et de rencontres fortuites entre vieilles connaissances qui ne s’étaient pas vues depuis des lustres; soirées de jazz en plein air et expositions-performances dans le même endroit. J’en oublie certainement. Mauvaise surprise Cependant, l’été n’a pas apporté que réjouissances et bonnes surprises. Il a même ménagé une mauvaise surprise et de taille: le Théâtre de Beyrouth, qui, depuis les années soixante, fut l’un des hauts-lieux culturels de la ville et qui, après la guerre, a réussi à nous donner des moments inoubliables de théâtre, de musique, de danse, de cinéma différent, de conférences, de débats, de mois thématiques, a fermé ses portes, faute de fonds. L’argent, tout comme de la guerre, est le nerf de l’art et de la culture. Quand on pense aux sommes extravagantes gaspillées dans les soirées mondaines, les dîners en ville et en montagne, les réceptions de mariage, les feux d’artifice — nouveau dada des nouveaux riches, on se dit que les Libanais qui en ont les moyens pourraient faire un effort, un tout petit effort pour soutenir cette institution d’utilité publique et de salubrité culturelle. Si les dizaines de milliers de spectateurs qui ont écumé les festivals, je ne dis pas les dîneurs et les festoyeurs, versaient chacun l’équivalent du prix d’un billet d’entrée, cette cotisation minime permettrait de ressusciter cet indispensable lieu de culture indissociablement lié à l’histoire de la capitale. Est-ce trop demander? Les Libanais n’aiment pas les sacrifices. Mais en est-ce un? Ne seraient-ils pas amplement compensés par la poursuite des riches heures de Beyrouth? Que les provinces prospèrent culturellement, chantent et dansent tout l’été, c’est tant mieux. Mais allons-nous voir, en contrepartie, la capitale dépérir au moment même où elle est baptisée «capitale culturelle» du monde arabe pour l’année 1999? Un nom qu’elle risque de ne pas mériter tant l’affaire est traitée par dessus la jambe par l’Etat qui n’avance aucune subvention à cet effet. Tout ce que le ministère de la Culture propose, c’est d’éditer une brochure-calendrier. Plus absentéiste que cela, tu crèves. Bel été, triste fin.
La saison estivale était naguère, culturellement, une saison presque morte, à part les «festivals» folkloriques («mouné», parades florales et autres passéismes villageois) et les navrantes prestations de la nouvelle vague de chanteurs sans voix et sans poids, néanmoins très populaires auprès d’un public peu exigeant qui ne demande qu’un charivari plus ou moins rythmé pour battre...