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Actualités - REPORTAGE

Festival de Beiteddine Misia, le Fado entre traditionnel et modernité ... (photos)

Le Festival de Beiteddine s’est mis, ce week-end, à l’heure du Portugal, avec Misia et deux soirées de «fado». Cette «fadiste» étiquetée «rénovatrice» a prêté sa voix grave aux intonations puissantes à des textes d’écrivains et de poètes portugais contemporains. Le fado traditionnel pur n’était pas en reste pour autant…

Comme pour habituer notre ouïe à cette musique typique, la soirée commence sur un duo de guitares: la sonorité cristalline de la guitare portugaise à 12 cordes (Mario Pacheco) se laisse envelopper par le son plus ample de la «viola» (Carlos Proença). Silhouette fluette, toute de noir vêtue,la tête recouverte d’une écharpe noire, Misia avance sur scène. Des cheveux de jais encadrent, en un carré parfait, un visage à la peau diaphane.
La tête renversée en arrière, les yeux clos, elle se laisse imprégner par les notes qu’égrennent les deux musiciens. Sa voix grave s’élève dans une superbe nuit étoilée. Elle en joue comme d’un instrument. Ses modulations épousent les variations musicales des instruments à corde…
Au début de chaque chanson, l’artiste en donne un rapide aperçu. «Voilà un fado écrit pour moi. C’est une conversation avec la ville de Lisbonne». Elle enlève l’écharpe, dégageant un cou gracile, à la peau fine, presque transparente. Telle une éponge, elle semble se laisser entièrement imbiber par la musique… Sur scène, l’accordéon de Ricardo Dias et le violon de Pedro Moreira se sont mêlés à la fête…
Les chansons s’enchaînent, les rythmes sont tantôt mélodramatiques et s’étirent en une longue complainte, tantôt gais se déchaînant en une cadence soutenue. Et la voix de Misia épouse tout à fait ces variations, s’y mélangeant avec un bonheur évident.
Le fado, aussi bien le traditionnel que le contemporain, dégage à la fois une profonde désespérance et une formidable énergie. «Le fado traditionnel a une force populaire, un pouvoir atavique», dit Misia. «Sur ces musiques, on peut répéter les vieilles paroles ou on peut en faire composer d’autres. C’est un poème de Fernando Pessoa qui dit: «Heureux ceux à qui on agite un mouchoir d’au-revoir. Ils ressentent de la peine, mais aussi de la joie. Moi, je vis sans peine ma vie…»»
Misia s’est ensuite attaquée à un fado écrit par la grande Amalia Rodriguez. «Ce chant est important pour moi, pour plus d’une raison. C’est en l’écoutant, loin de mon pays, que s’est éveillée ma mémoire affective. C’est cette chanson qui m’a décidée à devenir fadiste. Elle dit: «Si je savais qu’en mourant tu verserais une seule larme à cause de moi, je me laisserais tuer heureuse…»
Avant de clôturer la soirée par un fado traditionnel sur «la grandeur et la petitesse du peuple portugais qui a du mal à intégrer le passé au présent et vit un réel problème d’identité», Misia a tenu à remercier le public libanais pour la qualité de son écoute. «Vous avez su nous écouter avec les yeux du cœur», a-t-elle souligné.

Conversation…

Autant dans le «look» que dans le choix de ses chansons, Misia affiche un style bien à elle. «Mon nom est Suzanna Alphonso. Je porte le nom de ma mère qui est espagnole. Alors chanter le fado avec un nom espagnol, ça ne va pas», explique-t-elle avec un léger accent. Il fallait choisir un pseudonyme. «Misia, c’est une femme des années 1920. C’était l’épouse d’un peintre catalan. Amie de Picasso et de Coco Chanel, elle a inspiré les poètes… C’était une muse. De plus, le nom est court et rond. Il a beaucoup de musicalité». Et elle poursuit: «D’ailleurs, tout mon look est inspiré des années 1920. C’est une époque à laquelle j’aurais adoré vivre… entre Paris, Vienne et la Russie».
Le fado, elle ne s’y intéresse vraiment qu’en exil. «J’habitais Madrid avec ma mère, et j’ai ressenti ce qu’on appelle la «saudad». C’est un sentiment entre solitude et nostalgie. Le fado m’a alors interpellée, j’y ai retrouvé une identité culturelle, une émotion très forte. J’ai découvert dans la guitare portugaise ma sonorité», dit-elle.
Son répertoire, c’est le fado traditionnel. Sur une musique qui vient du fond des âges, elle utilise tantôt les textes habituels, tantôt des poèmes contemporains. «J’ai choisi de chanter le fado universel, c’est-à-dire celui qui aborde des thèmes universels, existentiels: l’angoisse, l’amour, la mort… Des poètes portugais ont accepté d’écrire pour moi. Au début, ils ont été hésitants, la musique de fado est quasi-sacrée au Portugal, on ne se décide pas facilement à y modifier quelque chose». Des noms comme José Saramago, Lobo Antunes, Lidia Jorge, Agustina Bessa Luis, Fernando Pessoa… signent des textes dont la musicalité se fond naturellement au fado.
Rénovatrice? Misia rejette les étiquettes qu’on veut à tout prix lui coller. «Il y a une référence du fado, c’est Amalia Rodriguez. Elle est merveilleuse. Moi je chante le fado, point. J’essaye d’être une fidèle interprète de mon temps».
Quant à son voyage au Liban, «c’est lors d’une série de trois concerts donnés à la Maison des cultures du Monde à Paris qu’on m’a contactée pour venir chanter à Beiteddine». Elle accepte sans aucune hésitation. «Je suis toujours intéressée par les autres cultures», dit-elle. Avouant ne pas savoir grand- chose de la chanson et de la culture libanaises elle lance: «Je passe plus de la moitié de mon temps dans les avions, ce qui fait que je n’ai que peu de temps pour me documenter. Mais maintenant, il y a la mémoire d’un moment vécu ici. Cela stimule, éveille l’intérêt».
Etablie à Lisbonne, Misia est plus souvent en voyage que chez elle. «Parce que ma carrière s’internationalise, il est important que j’ai un chez- moi au Portugal. Afin d’être toujours dans une ambiance, un environnement de fado».
De Japon en Turquie, Misia élargit de plus en plus l’éventail de ses publics. «Il y a un langage musical qui passe, dépasse la barrière de la langue», constate-t-elle. «Chaque public a ses caractéristiques. Par exemple, les Japonais m’écoutent les yeux fermés. Les Portugais écoutent le fado, les yeux fermés également. C’est amusant de se dire que, dans deux endroits aussi éloignés et aussi différents, il y a de pareilles similitudes…» Et elle poursuit: «Il est important pour moi de montrer au public espagnol que le Portugal ce n’est pas que le petit pays d’à côté. Nous sommes différents, nous avons de la personnalité…»
Une présence scénique «froide»? «Je chante avec une intériorité, c’est peut-être ce qui fait dire aux gens que je suis distante», se défend-elle. «J’ai besoin de me concentrer, de prendre de la distance par rapport au public pour retrouver l’expression exacte de mon art».
L’espace de deux soirs, Misia a su communiquer l’essence même du fado, dans un style qui lui est propre, reliant avec justesse tradition et modernité…

Aline GEMAYEL
Le Festival de Beiteddine s’est mis, ce week-end, à l’heure du Portugal, avec Misia et deux soirées de «fado». Cette «fadiste» étiquetée «rénovatrice» a prêté sa voix grave aux intonations puissantes à des textes d’écrivains et de poètes portugais contemporains. Le fado traditionnel pur n’était pas en reste pour autant…Comme pour habituer notre ouïe à cette musique...