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Actualités - CHRONOLOGIE

Vient de paraître "Les réseaux d'Allah" d'Antoine Sfeir Une approche d'un phénomène-clé en Europe

Après «L’argent des Arabes» (Hermé, 1992) et «L’Atlas des religions (ouvrage collectif dont il a dirigé les travaux, Plon-Mame, 1994), Antoine Sfeir publie chez Plon les résultats d’une nouvelle enquête: «Les réseaux d’Allah» (les filières islamistes en France et en Europe). Directeur de la rédaction des «Cahiers de l’Orient», revue socio-politique trimestrielle, Antoine Sfeir, 48 ans, a collaboré au service des informations arabes et internationales de «L’Orient-Le-Jour», de 1970 à 1976, date à laquelle il s’est installé à Paris.
«Les réseaux d’Allah» est le résultat de quatre ans d’investigations. A la base de ce travail, «le besoin de comprendre le phénomène islamiste», dit Antoine Sfeir. «Nous n’avons pas vu surgir l’intégrisme. J’ai voulu, donc, comprendre à quoi croyaient ces militants».
C’est d’abord «L’Atlas des religions», édité une première fois en 1994, il est en réédition et devrait être présenté à Beyrouth, au Salon Lire en français de novembre. Et c’est ensuite un reportage-enquête sur la piste des islamistes. «Je ne dirais pas que j’ai compris ce phénomène. J’ai senti les choses. Et le fait que je sois libanais m’y a aidé». Et il ajoute: «La question est très complexe. Ce que je pensais avoir compris la veille prenait le lendemain un autre sens».
Dans son enquête, Antoine Sfeir arrive à la conclusion que «les courants qui prêchent ouvertement la non-intégration sont plus dangereux en définitive que les organisations qui se livrent, à l’instar du GIA, de l’AIS, du Hamas ou du Jihad, à des actes de terrorisme, écrit-il dans son introduction. Sans sataniser l’islamisme, il faut, en se gardant de le présenter d’une manière angélique, l’empêcher de faire davantage de victimes au sein des communautés musulmanes installées en France et en Europe que dans les communautés nationales».
Pour arriver à cette conclusion, Antoine Sfeir définit deux genres de citoyenneté: la communautaire et la républicaine. «La France est un pays à citoyenneté républicaine, c’est-à-dire que tous les citoyens appartiennent à la république, ils y ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. La citoyenneté communautaire, par opposition, signifie l’identification à une communauté. C’est une brèche qui peut entraîner un grave déséquilibre dans le système républicain».
En menant cette enquête, Sfeir fait-il un parallèle avec la situation de la citoyenneté libanaise? «Forcément. Nous sommes plus que jamais citoyens communautaires. La guerre nous a obligés à nous réfugier dans nos communautés respectives. Mais il y a également l’après-guerre. Cette citoyenneté est pour les nouveaux apparatchiks un rempart contre toute mutation de la société. En ce qui concerne le Liban, l’évolution doit se faire par étapes».

Filières

Mais c’est sur les filières islamistes en Europe et en France en particulier qu’a porté le travail d’Antoine Sfeir dans «Les réseaux d’Allah». «Au début du siècle, la république en France a été confrontée à une population d’immigrés européens, la machine «intégratrice» a fait son travail. Depuis les années soixante, la machine républicaine doit intégrer une immigration musulmane. Là, elle connaît quelques ratés, constate-t-il. Quant aux islamistes, ils ne forment qu’une infime partie de la population immigrée musulmane. Mais on les entend, on les voit, on les sent. Leurs premières cibles, ce sont les populations musulmanes. Pour un islamiste, un musulman intégré est perdu».
Et Antoine Sfeir d’expliquer l’ambiguïté à laquelle sont confrontés les jeunes «beurs». «Le pouvoir religieux est incontesté et incontestable, comme dans toute société déstabilisée. Il écrase le pouvoir patriarcal et celui que donne le savoir. L’islamiste va user de ce pouvoir pour lutter contre l’intégration. Ceux-là sont bien plus dangereux que les poseurs de bombes. En effet, un jeune qui a eu recours aux petits larcins ou aux gros trafics va, à la suite d’une rencontre avec un islamiste, tout abandonner du jour au lendemain. Là où ils passent, les statistiques le montrent, la criminalité baisse. Leur travail de sape ne rentre pas dans le registre du code pénal».
Les dangers d’une république islamique en France, Antoine Sfeir n’y croit pas du tout. «Certainement pas. La machine «intégratrice» a réussi tout de même dans la majorité des cas. Un musulman fils d’ouvrier qui fait des études de médecine est automatiquement intégré. Mais il y a risque de «ghettoïsation». Et Sfeir de remarquer que «l’erreur a été d’inciter les populations immigrées de différentes nationalités à se concentrer dans les mêmes quartiers». La religion a été pour eux un point de ralliement, «ce qui les a cimentés».
Antoine Sfeir commence par chercher à identifier les différents courants de pensée, leurs origines, leurs ramifications et leur terrains d’action. Les Frères musulmans, les Tunisiens d’Al Nahda, le Tabligh, les Wahhabites, les Ahbache ou les Turcs, dont l’action est insidieuse.
«J’ai commencé mon enquête en pensant que l’islamisme est un épiphénomène. Je suis arrivé à la conclusion qu’il est un phénomène fondateur de communautés qui cherchent à s’intégrer», dit l’auteur.
A travers une enquête où les détails foisonnent et les témoignages nombreux — quelque 179 personnes, sans compter les «jalsêts» (réunions) et les prêches —, Antoine Sfeir arrive à proposer plusieurs pistes de solutions. Il remarque d’abord qu’il y a une remise en cause de la laïcité telle qu’elle a été conçue et mise en place jusqu’à aujourd’hui. «La laïcité du troisième millénaire est à réinventer, par des spiritualistes, en dehors de l’anticléricalisme qui a prévalu au début du XXe siècle». Il poursuit: «Il faudrait qu’elle n’occulte plus le religieux, qu’elle l’intègre dans les connaissances et le savoir. C’est, affirme-t-il, la seule condition pour éviter l’instrumentalisation du religieux et sa transformation en valeur refuge». Sans oublier l’éducation, «les programmes scolaires devraient inclure un chapitre «d’histoire des religions»».
Et de conclure qu’«il faut inciter à la connaissance de l’autre et à la connaissance pour l’autre».

Aline GEMAYEL
Après «L’argent des Arabes» (Hermé, 1992) et «L’Atlas des religions (ouvrage collectif dont il a dirigé les travaux, Plon-Mame, 1994), Antoine Sfeir publie chez Plon les résultats d’une nouvelle enquête: «Les réseaux d’Allah» (les filières islamistes en France et en Europe). Directeur de la rédaction des «Cahiers de l’Orient», revue socio-politique trimestrielle, Antoine...