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Actualités - REPORTAGE

Ses photos passionnées sont exposées à Beiteddine Isabel Munoz : un regard en mouvement perpétuel (photo)

Le Festival de Beiteddine offre parallèlement aux spectacles, 150 photographies en noir et blanc d’Isabel Muñoz (jusqu’au 31 juillet). Sous le titre évocateur de «Danses», elle aborde le tango, le flamenco, la danse du ventre, les figures khmers, mais aussi la lutte turque et la corrida. Les tirages de Muñoz sont des œuvres d’art où la danse n’est qu’un prétexte pour révéler les corps, dans la complexité de leurs mouvements. Les développements d’Isabel Muñoz ne sont pas non plus à la recherche de la beauté esthétique. Ils reproduisent une atmosphère, parlent de fascination…
La danse orientale, c’est un corps aux formes opulentes, furtivement guigné à travers l’embrasure d’une porte; c’est une peau lisse, parée de bijoux et de paillettes; ce sont des bras enserrés de bracelets, croisés au-dessus de la tête et un déhanchement langoureux, provocateur…
Pour le flamenco, les robes se déplient en une cascade de tissus satinés; le pantalon taille haute se cambre en une parfaite élégance. C’est ensuite le flou d’un mouvement pointu.
Bas résille, Hispano-Suiza, torpedo des années 20, mocassins vernis noirs et Borsalino… c’est le tango qui fait son apparition. A l’origine danse de boxon, le tango est par excellence un jeu de séduction.
Le ballet khmer, danse traditionnelle du Cambodge, est un langage des mains. Elles se contorsionnent avec agilité, imprimant dans l’air les souples battements d’ailes d’un papillon.
La tauromachie, danse de mort, «Noces de sang» comme disait Federico Garcia Lorca, entre le taureau et le matador est superbement rapportée par l’objectif d’Isabel Muñoz. Un taureau qui charge, entouré d’un halo d’énergie; la bête piquée de banderilles; le taureau abattu. Le matador, comme la bête, étendu par terre… Une magnifique série de photos, qui reproduisent avec subtilité une tradition, une ambiance…
La lutte turque, ce sont des bras puissants qui s’agrippent l’un à l’autre, des mains qui se cramponnent…
Souvent, sur les images d’Isabel Muñoz, les corps sont sans visage, comme pour laisser au mouvement toute sa sensibilité et sa grâce; l’anonymat pour préserver le secret…
Les cadrages serrés, les décors naturels ou sophistiqués, le rendu des tirages en platine, le noir et blanc très contrasté… Il se dégage des photographies d’Isabel Muñoz une violence empreinte de sensibilité, une force qui loin d’agresser le spectateur, le laisse libre de ses fantasmes…

Installée à Madrid

Isabel Muñoz a le charme de sa ville natale, Barcelone. Elle habite et travaille à Madrid depuis plus de vingt-cinq ans. La démarche souple, l’allure décontractée sous sa chevelure de jais, elle laisse éclater un sourire. Douce en apparence, — elle ponctue ses réponses de «si, si» ou «esso es» — Isabel Muñoz révèle rapidement un caractère où dominent volonté et ténacité. «J’ai commencé à m’intéresser à la photo à l’âge de 13 ans. J’ai acheté mon premier appareil avec mon argent de poche», souligne-t-elle. «Je travaille dans le domaine de manière professionnelle depuis 1976».
Elle commence donc en free-lance, une publicité par-ci, des portraits par-là. «J’ai toujours aimé palper, des yeux et des mains. Or, le papier normal sur lequel je développais mes photos n’avait aucune «sensualité». J’ai décidé d’aller apprendre aux Etats-Unis la «platinotypie». Avec cette technique, on développe les photos sur des papiers d’aquarelle salé au platine (au lieu du sel d’argent usité). Outre l’effet sépia, les images durent autant que le papier». Mais c’est également un procédé plus long et plus ardu. «On tire des négatifs à taille normale. Tout le travail de contraste et de couleur se fait sur négatif. C’est ensuite l’exposition à la lumière du jour et enfin le passage par le bain d’émulsion». Isabel Muñoz fait tout elle-même, depuis les repérages, jusqu’au développement en passant par la mise en scène, et la prise de vue. «Je réalise moi-même les tirages. Le processus est tout entier magique: repérer une chose, la convoiter, la mettre en boîte et enfin la révéler sur le papier». Et elle ajoute, enthousiaste, «on passe de l’angoisse à la satisfaction et à la fierté. C’est une terrible sensation, quand on voit les ombres envahir le papier et les corps prendre forme».
De nombreuses épreuves vont au panier, «entre autres problèmes, le platine étalé au pinceau laisse parfois des traces. Mais ce qui est fascinant avec cette technique c’est qu’on n’obtient jamais deux copies pareilles. Température, humidité, taux de calcaire dans l’eau sont autant de facteurs qui influent».
«Obsessive», Isabel Muñoz est secondée par une assistante. «Quand je suis plongée dans l’atmosphère d’une photo: cadrage, personnage, lumière… je suis comme hypnotisée. J’ai besoin de quelqu’un qui vérifie tout ce qui est technique, vitesse, ouverture…».

Fatalité

C’est le destin, dit-elle en bonne Espagnole, qui a choisi pour Isabel Muñoz. La danse s’est imposée à elle. «J’ai travaillé sur les corps à travers la danse. D’abord le tango, c’est une danse qui parle de la vie. Mes parents dansaient le tango lors des réunions familiales. Et de prendre des clichés de tango, c’était comme retomber en enfance».
Des corps tangos, elle retient les mains qui de fil en aiguille finissent par dessiner un flamenco endiablé. Les dernières images de flamenco la font glisser vers la danse orientale. «La musique orientale m’a subjuguée. Ça a été ensuite le tour de l’architecture. Les images que je prends étaient de plus en plus abstraites, faisant appel à l’imaginaire».
Les visages sont souvent absents des œuvres d’Isabel Muñoz. «Les yeux parlent trop», remarque-t-elle. «J’aime garder un certain mystère. Il faut que l’imaginaire de chacun, ses fantasmes fonctionnent face à mes photos».
La tauromachie, «j’y suis venue après le travail sur la danse. Il m’a fallu plus de cinq ans pour aboutir aux clichés exposés». Et elle remarque avec un soupçon de regret, «je ne peux plus regarder une corrida sans, instantanément, la voir à travers un cadre photographique».
Ses photos de corrida portent en elles toute la force de la tradition. «Le taureau qu’on destine au combat vit pendant quatre ans comme un roi. On n’envoie pas n’importe quelle bête se battre en duel. Il y a tout un code d’honneur».
Ses photos véhiculent une violence que reproduit les forts contrastes de noir et blanc. «Mais je ne fais que refléter la violence de la vie», souligne Isabel Muñoz. «C’est aussi ce qui en fait la force».
Ses derniers-nés, ce sont les clichés rapportés du Cambodge. «Je n’ai pu reproduire toute la force que j’y ai sentie. J’y suis retournée deux fois pour mettre au point une nouvelle série. C’est un parallèle entre les handicapés de guerre et l’architecture mutilée. Les Cambodgiens sont malgré le dénuement dans lequel ils vivent, d’une élégance et d’une dignité incroyables». Se laisserait-elle tenter par le reportage? «Non. Mais il faut faire prendre conscience d’un certain nombre de choses terribles».
Pour la première fois au Liban, elle se dit heureuse d’avoir découvert ce pays. «Il est très différent de ce qu’on en dit en Espagne. J’y ai trouvé une grande qualité et une générosité humaines». Elle a signé les photos de nombreux ouvrages et en prépare un sur l’architecture et la danse orientale. «J’ai découvert des monuments d’architecture d’une rare beauté au Liban. Je les intégrerai dans ce livre».
Photographe passionnée, se laisse-t-elle parfois surprendre par l’objectif? «Je n’aime pas être photographiée», dit-elle. «La photo révèle une part secrète en nous, elle la vole. Mais je trouve passionnant d’arriver à saisir ce que l’autre a au fond de lui».
Tel un Merlin l’enchanteur au fond de son laboratoire, Isabel Muñoz mélange les ingrédients pour reproduire la réalité dans tous ses reliefs…

Aline GEMAYEL
Le Festival de Beiteddine offre parallèlement aux spectacles, 150 photographies en noir et blanc d’Isabel Muñoz (jusqu’au 31 juillet). Sous le titre évocateur de «Danses», elle aborde le tango, le flamenco, la danse du ventre, les figures khmers, mais aussi la lutte turque et la corrida. Les tirages de Muñoz sont des œuvres d’art où la danse n’est qu’un prétexte pour révéler...