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Actualités - REPORTAGE

La Cour a entendu hier 5 membres de la Sûreté de l'état dans l'affaire japonaise Le lieutnant-colonel Ata affirme avoir identifié Kozo Okamoto dès le troisième jour de son arrestation Réquisitoire et plaidoiries le 7 juillet (photo)

En une seule phrase, le lieutenant-colonel Charles Ata, de la Sûreté de l’Etat — qui, le 15 février, avait procédé à l’arrestation des membres de l’Armée rouge — a détruit la stratégie du parquet et de l’instruction. Depuis le début de l’affaire dite japonaise, tous deux affirment, en effet, que les autorités ignoraient l’identité véritable des «Asiatiques interpellés», n’ayant appris leur appartenance à l’Armée rouge japonaise qu’après avoir reçu, le 3/3/97, les réponses des diplomates nippons suite à l’envoi à Tokyo de leurs photos et empreintes digitales. Par contre, le lieutenant-colonel Ata a déclaré hier devant la Cour criminelle de Beyrouth, présidée par le juge Souheil Abdel-Samad, qu’ayant appris par la presse, deux jours après les arrestations (donc le 17 février), l’identité véritable de Kozo Okamoto, il a demandé au psychiâtre Edouard Azoury, convoqué à ses propres frais, de le soigner «parce qu’il avait été maltraité dans les prisons israéliennes».
Toutefois, ni Ata, ni surtout son chef à l’époque, le brigadier Ali Makki (qui a précisé avoir quitté son poste de directeur du département d’investigation à la Sûreté de l’Etat, le 27 février), ni les 3 autres témoins du parquet — tous membres de la Sûreté de l’Etat — qui ont été entendus hier par la cour, n’ont déclaré connaître l’identité véritable des interpellés au moment de leur arrestation, précisant que «la rafle portait sur une affaire de falsification de passeports et de détention de fausses pièces d’identité».

Le cafouillage de
l’instruction

D’ailleurs, dans ce procès particulièrement frustrant — où l’on dirait que le souci principal du parquet (représenté par l’avocat général Abdallah Bitar) — et même celui de la cour — est de couvrir le cafouillage de l’instruction et de maintenir l’affaire dans les limites de la simple falsification de papiers et de cachets officiels — les personnes chargées de l’enquête préliminaire ne pouvaient ignorer les soupçons pesant sur les prévenus en raison de la couverture médiatique faite à leur arrestation. Et Me Bouchra Khalil, de la défense, ne s’est pas privée de le rappeler aux témoins, membres de la Sûreté de l’Etat. «N’avez-vous eu aucun doute en lisant les journaux et en regardant les photos publiées?», leur a-t-elle demandé à tour de rôle. Mais, à chaque fois, le président de la cour a refusé de poser la plupart des questions de la défense, dont l’objectif principal était de montrer que les 5 membres de l’Armée rouge ont été arrêtés en connaissance de cause, de connivence avec les autorités japonaises et pour des raisons politiques, plutôt que pour une vulgaire affaire de falsification. Quant au représentant du parquet, il n’a posé aucune question aux témoins, se contentant de présenter des objections aux questions de la défense.
L’assistance — aussi nombreuse que pour la première audience — attendait donc avec intérêt la comparution du brigadier Makki devant la cour, en qualité de témoin. Mais elle a été bien déçue, car sur la vingtaine de questions qui lui ont été adressées, il n’a répondu qu’à quatre ou cinq, la cour ayant refusé de poser les autres.

Un avocat japonais

Toutefois, l’audience réserve d’autres surprises, notamment la présence d’un avocat japonais, Me Osamu Kawamura, arrivé dimanche de Tokyo pour suivre le procès et déclarer à qui veut l’entendre que les 5 hommes de l’Armée rouge sont recherchés au Japon pour crimes politiques. Ce qui confirme les déclarations des inculpés eux-mêmes, lors de leur interrogatoire devant la cour, lorsqu’ils avaient affirmé «c’est parce que nous sommes recherchés au Japon pour des questions politiques que nous utilisons de faux passeports». Kawamura a déclaré à la presse qu’il est membre de l’association des droits de l’homme au Japon et qu’il regagnera Tokyo à la fin du procès.
Autre surprise: la cour interdit les photos et les caméras, contrairement à l’audience précédente. Sans doute par égard pour les témoins, des membres de la Sûreté de l’Etat. Enfin, s’il y a de nombreux Japonais dans la salle, à part les deux diplomates de l’ambassade, la plupart sont des sympathisants des 5 inculpés et échangent avec eux poignées de main et sourires au moment de la pause... Les inculpés, visiblement très détendus, assistent presque en spectateurs à leurs procès. Alors que Kozo Okamoto multiplie les signes de lassitude et d’ennui, étroitement couvé par Kazuo Tohira, Masao Adachi et Haro Wako, collés à la journaliste promue traductrice, Mme Lina Saïdy, prennent des notes sur des cahiers d’écoliers. Mariko Yamamoto, le regard dissimulé derrière d’immenses lunettes noires, semble un peu perdue, alors qu’Oumayya Abboud, vêtue de rouge, sourit en permanence à ses proches.

L’assistance reste
sur sa faim

C’est donc un brigadier très sûr de lui et très souriant qui se présente devant la cour, jetant à peine un regard sur les inculpés, mais multipliant les signes de respect à la cour et au représentant du parquet. Après le serment traditionnel, il se prête aux questions de la cour qui se contente de lui demander s’il confirme les deux procès-verbaux qu’il a établis avant d’être dessaisi de l’affaire. L’avocat général n’a aucune question à poser au brigadier, qui se définit lui-même comme étant «en réserve de la Sûreté de l’Etat». Me Béchara Abou Saad, de la défense, essaie de lui faire reconnaître qu’il connaissait l’identité des inculpés au moment de leur arrestation, mais le juge Bitar s’oppose à cette question, car, selon lui, les procès-verbaux établis au cours de l’enquête préliminaire sont valables tant que la défense ne prouve pas leur invalidité. «Mais, pour le faire, je dois bien poser quelques questions», s’insurge l’avocat de la défense. En vain, car la cour décide de ne pas poser la question. Ce scénario se répétera tout au long de l’audience, laissant l’assistance sur sa faim.
Inlassable, Me Abou Saad (relayé par son fils Nabil) demande au témoin comment il affirme qu’il ignorait l’identité des inculpés, alors que le 22/2, la Direction générale de la Sûreté de l’Etat a reçu une lettre d’Interpol avec les mandats d’arrêt internationaux émis contre les 5 membres de l’Armée rouge. Le brigadier Makki nie l’existence de cette lettre, précisant que, jusqu’à son dessaisissement de l’affaire, le 27 février, la Sûreté de l’Etat ignorait la véritable identité des interpellés.

L’entrevue avec
les diplomates

Me Hussein Haïdar (toujours de la défense) veut savoir comment a pu se dérouler l’entrevue des inculpés avec les diplomates nippons dans le bureau du procureur Addoum, alors que les inculpés ne l’ont pas demandée et que les diplomates ne font pas partie de leurs familles respectives. (Après de multiples réunions avec des émissaires nippons, Addoum avait consenti à organiser une réunion de confrontation entre les Japonais arrêtés et les diplomates de l’ambassade de Tokyo, au cours de laquelle ces derniers avaient identifié les membres de l’Armée rouge). Mais la cour rejette la question. De nouveau, Me Abou Saad veut savoir pourquoi, selon les procès-verbaux établis, les 3 Japonais arrêtés avec les 5 autres puis relâchés n’ont pas été interrogés sur l’identité des 5 membres de l’Armée rouge, mais seulement sur les relations qu’ils entretiennent avec eux. Makki proteste, affirmant que les 3 Japonais relâchés ont déclaré ne pas connaître les 5 autres arrêtés. «Dans ce cas, pourquoi cela n’a-t-il pas été noté dans le procès-verbal?» poursuit Me Abou Saad, mais la cour refuse la question tout comme elle refuse une question relative à la réunion sécuritaire qui s’est déroulée au Japon, en présence du brigadier Makki, avant l’arrestation des «Asiatiques».
Me Hani Sleimane (avocat d’Oumayya Abboud) veut savoir comment le brigadier Makki a alerté le procureur Addoum sur les soupçons qu’il a eus à l’égard d’Oumayya — comme il l’écrit dans son procès-verbal. Une fois encore, la cour ne pose pas la question, car «elle touche au fonctionnement des services». La cour décide ensuite de clore la déposition du brigadier et aucune question sur le fait qu’il aurait conseillé aux inculpés d’utiliser leurs fausses identités pour signer le procès-verbal de leur interrogatoire préliminaire «dans leur propre intérêt» (comme l’avaient déclaré les 5 Japonais au cours de leur interrogatoire devant la cour, la semaine dernière) n’a été posée.
Cette déposition donne un avant-goût de celles qui la suivront et qui se dérouleront toutes suivant le même scénario. Le capitaine Afif Kameh, adjoint du chef du département d’investigation à la Sûreté de l’Etat, n’apporte aucun élément nouveau si ce n’est son affirmation que les photos et les empreintes des interpellés ont été remises à l’ambassade du Japon, à la demande de la justice libanaise, c’est-à-dire du parquet.
Le capitaine ayant participé à l’interrogatoire préliminaire des inculpés, Me Bouchra Khalil demande comment il n’a pas eu de soupçons lorsque Masao Adachi, tout en se présentant avec un passeport singapourien, a déclaré qu’il ne connaissait pas le chinois et qu’il gagnait sa vie en s’occupant de la traduction en arabe de dessins animés japonais. Mais la cour rejette la question.
L’un des avocats d’Oumayya essaie de savoir pourquoi l’inculpée est restée 19 jours en détention, sans être déférée devant le juge d’instruction. Là encore, la question restera sans réponse. Car, dans cet étonnant procès, il semble essentiel d’éviter de parler de l’activité des services de sécurité, des lacunes de l’enquête préliminaire et du rôle de l’ambassade du Japon dans l’arrestation et l’identification des membres de l’Armée rouge.

Crise d’hallucination

Le troisième témoin est le lieutenant-colonel Charles Ata dont l’unité a procédé à l’arrestation des «Asiatiques». Le lieutenant-colonel affirme qu’il ignorait l’identité véritable des interpellés mais que l’arrestation ayant eu lieu un samedi, le lundi il a appris par les journaux que Kozo Okamoto faisait partie de la rafle. Comme ce dernier avait des crises d’hallucination, il a alors demandé, à ses propres frais, au professeur Edouard Azoury de l’examiner, et il a aussi demandé au médecin de la Sûreté de l’Etat, le Dr Kazan, de le suivre de près. «J’ai personnellement veillé à ce qu’il soit suivi de près, car j’ai appris qu’il avait subi d’horribles sévices dans les prisons israéliennes, durant toute la période de sa détention sous ma responsabilité (15 jours), il était traité comme dans une unité de soins intensifs...».
Satisfaite de cette déclaration qui détruit la stratégie du parquet puisqu’il y apparaît que les membres de la Sûreté de l’Etat ont très vite appris l’identité des interpellés, la défense ne prend plus la peine d’interroger les deux derniers témoins, le lieutenant Fadi Khaled et le commandant Elie Menassa, à la petite moustache rétro qui multiplie les sourires en direction des inculpés. Tous deux se contentent de confirmer les procès-verbaux qu’ils ont établis et l’audience est levée pour une courte pause.

Nombreux mystères

Les objets confisqués au domicile de Adachi et de ses compagnons sont ensuite montrés à la défense. Il y a, bien sûr, de nombreux passeports, mais aussi des cachets officiels, divers objets d’imprimerie, des disquettes d’ordinateur, un enregistreur et une machine pour faire des tampons en relief sur papier — qui est un outil de professionnel.
L’audience est ensuite levée et la date du 7 juillet est choisie pour le réquisitoire du parquet et les plaidoiries de la défense. Alors que les 5 Japonais, la Libanaise Oumayya Abboud et deux inculpés dans une autre affaire sont ramenés dans le même fourgon vers la prison de Roumié, la défense commence à préparer ses dossiers. Elle pense pouvoir démontrer l’innocence des accusés, qui, selon elle, ont été contraints pour des raisons de sécurité à se procurer de faux papiers sans les utiliser effectivement. Mais, dans ce cas, le Liban pourra-t-il refuser les demandes répétées d’extradition présentées par le Japon? Et les nombreux mystères apparus dans cette affaire, au niveau du fonctionnement du service de la Sûreté de l’Etat et du rôle de l’ambassade du Japon, seront-ils élucidés? A en juger par l’audience d’hier, c’est fort peu probable.

Scarlett HADDAD
En une seule phrase, le lieutenant-colonel Charles Ata, de la Sûreté de l’Etat — qui, le 15 février, avait procédé à l’arrestation des membres de l’Armée rouge — a détruit la stratégie du parquet et de l’instruction. Depuis le début de l’affaire dite japonaise, tous deux affirment, en effet, que les autorités ignoraient l’identité véritable des «Asiatiques...