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Actualités - OPINION

Les quittances dopées de l'EDL Qu'est-ce que c'est?

Une quittance de l’EDL considérée comme une œuvre d’art? Une construction géométrique abstraite de cases rectangulaires en bleu barrée diagonalement par une surimpression en rouge avec des lignes de chiffres en noir sur blanc.
Non, ce n’est pas sur l’esthétique des relevés administratifs que je m’apprête à gloser.
«Epargnez-vous tout tracas. Demandez à acquitter vos quittances par voie bancaire. Consultez-nous ou consultez votre banque».
En ces termes benoîts et combien hypocrites, on le verra, l’Office de l’Obscurité du Liban — son «Nawaret» triomphaliste à Beyrouth s’est accompagné d’un «’Attamet» désolé partout ailleurs — invite ses abonnés, par cette surimpression en rouge, à faire confiance à sa bonne foi et à son honnêteté présumées d’établissement public.
Le citoyen crédule qui se laisse prendre à ce boniment risque de voir, un jour ou l’autre, son compte en banque saigné ou carrément vidé sans coup férir et sans crier gare. Il suffit d’une bonne petite quittance bleue avec surimpression rouge où l’inde du compteur aura été dopé par préméditation, par inadvertance, par erreur humaine ou par défaillance électronique.
Je n’ai jamais succombé à la tentation de la commodité bancaire, sinon quels tracas ne me serais-je pas attiré! Quand, en deux ou trois ans, on a été victime de deux tentatives d’arnaque, on a tendance à croire que quelque chose de pas très réglo se passe du côté du service de facturation de l’EDL. Il y a quelqu’un qui, devant son ordinateur, s’amuse à gruger les bonnes gens. Parfois il le fait dans des limites raisonnables ou acceptables, ce qui lui laisse le bénéfice du doute. Parfois il s’emporte et dépasse les bornes, l’exagération frisant le guet-apens, ce qui oblige la victime à sortir à son tour de ses gonds.
En allant réclamer, celle-ci a de fortes chances d’être contrainte de faire la queue derrière une file de carottés et d’abusés rageurs. Ce qui veut dire que les pratiques manipulatoires sont plus courantes qu’on ne le pense, en tout cas plus courantes, apparemment, que le courant dans certaines régions.
Voici mon histoire, pour l’édification des bons entendeurs.
Il y a deux ou trois ans, je paie une quittance qui me semble exagérée. Vérification faite, il s’avère que l’index marque 9.000 Kw sur le compteur, un an après la date de la facture, et 29.000 Kw sur celle-ci.
Je relance le préposé aux réclamations qui vérifie sur les relevés du percepteur: ma consommation, depuis l’installation du compteur, est bien de 9.000 Kw. Il prend un air de circonstance pour m’annoncer: «J’ai deux nouvelles pour vous. La mauvaise, c’est que les 20.000 Kw excédentaires déjà payés ne peuvent pas vous être remboursés. Ce n’est pas dans les habitudes de l’administration. Ne cherchez pas noise, vous n’aboutirez à rien. Mais ne faites pas cette tête-là, réjouissez-vous plutôt: le prix du kilowatt va bientôt augmenter, vous allez donc faire des économies dans les mois à venir. On ne vous facturera plus que l’abonnement».
— «Les mois? Dites plutôt les années! Je ne consomme que 1.500 Kw par an, vu que le courant est aussi souvent absent de chez moi que moi-même. Il me faudra 13 bonnes années à ce compte pour résorber votre rallonge».
— «Qu’importe. Allez, vous voyez bien que vous venez de faire une très bonne affaire!»
Médusé, je ravale mes objections et je rentre chez moi perplexe mais persuadé de ne plus devoir encourir, pendant quelques années au moins, pareille mésaventure.
C’était compter sans l’impudence et/ou l’avidité de l’Office. Voici que je reçois, il y a quelque temps, une nouvelle facture surgonflée, hyperbolique: l’équivalent de 1.500 dollars US pour trois mois. Bien sûr, le prix du kilowatt a augmenté, mais à ce point? Je relève l’index du compteur: un peu moins de 15.000 Kw en dix ans.
Bureau des réclamations. Devant moi, un monsieur chic avec une facture de plus de dix mille dollars US et une vieille paysanne ratatinée, visiblement démunie, avec une facture de 200 dollars. Les deux sont envoyés paître, après force argumentations.
Nouveau scénario: convocation du percepteur qui exhibe une quittance avec un index de 40.000 Kw et un cahier de relevés avec le nombre exact: 14.870. Une différence de seize ans et demi de consommation au taux actuel! Penaud, le préposé évite de me regarder. Il biffe la quittance et profère d’une voix blanche:
— «Je l’annule. Nous revenons aux 29.000 Kw».
— «Ne serait-il pas plus simple d’avoir des quittances avec des relevés exacts?»
— «Non, vous avez déjà payé».
— «Mais il faudra dix ans pour atteindre ce niveau».
— «N’insistez pas, j’ai trop à faire».
Effectivement, les grugés affluaient dans le bureau glacial où le préposé, engoncé dans son manteau et son cache-nez pour ne pas geler sur place, s’apprêtait, les nerfs déjà à fleur de peau, à affronter les flots de doléances d’une journée ordinaire.
Retour chez moi, vérification des quittances précédentes. Le saut aux 40.000 Kw avait déjà été effectué en douceur sans éveiller mes soupçons: le montant à payer était presque normal, je n’avais même pas jeté un coup d’œil sur l’index. Ce qui montre que le coup a été sciemment monté. On force l’index pour préparer le terrain et, s’il n’y a pas de réaction, on force la facture. La seule erreur a été d’y aller d’une main un peu trop lourde.
Je téléphone à quelques amis. L’un d’eux a dû casquer 2.500 dollars environ. Chaque mois, ajoute-t-il, un nouveau voisin reçoit une quittance qui le fait sauter au plafond. Pas pour se transformer en lampadaire.
Si cela n’est pas de l’arnaque organisée, qu’est-ce que c’est alors? On aimerait recevoir une explication que le préposé aux réclamations, débordé, n’a pas le temps d’improviser.
Il ne serait pas mauvais non plus d’éclairer notre lanterne sur le système de calcul des factures dont les procédés sont tellement alambiqués et peu transparents qu’ils permettent toutes sortes d’entourloupes aux dépens de l’abonné qui n’y entend goutte. Et qui, surtout, a peu de moyens de se défendre contre le brigandage et l’arbitraire administratifs.

Joseph TARRAB
Une quittance de l’EDL considérée comme une œuvre d’art? Une construction géométrique abstraite de cases rectangulaires en bleu barrée diagonalement par une surimpression en rouge avec des lignes de chiffres en noir sur blanc.Non, ce n’est pas sur l’esthétique des relevés administratifs que je m’apprête à gloser.«Epargnez-vous tout tracas. Demandez à acquitter vos quittances...