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Actualités - OPINION

Regard Arnal : quatre series et deux sculptures Iles, îlots, archipels

Dans la «Chambre Noire de Longwood», Jean-Paul Kauffmann, l’ex-otage français au Liban, parle, à propos de Napoléon à Sainte-Hélène, de «l’odeur de la captivité, qui est une «odeur d’ennui».
C’est cette odeur qu’a dû humer François Arnal (né en 1924, il fait des études de droit et de lettres pour finir par se vouer à la peinture en autodidacte, à partir de 1948) à Tahiti où il s’est retiré en 1957, malgré un départ de carrière brillant parmi les étalons de l’avant-garde parisienne.
Dans les mers du Sud, le bonheur de vivre est contagieux et Arnal finit vite par se rendre compte qu’il dégage la même odeur que la captivité: le bonheur fleure l’apathie et l’ennui. La vitalité naturelle, méditerranéenne d’Arnal ne pouvait tolérer longtemps ce délicieux mais délétère farniente. Et hop, retour à Paris où, une nouvelle fois, après maintes «séries» picturales, il abandonne en 1968 la peinture pour s’adonner à la sculpture, au design et à l’édition d’objets mobiliers dans le cadre de «L’Atelier A» qui fut un fiasco commercial. Il brade tout pour reprendre la peinture en 1975 avec une approche plus libre et des procédés inédits. Aujourd’hui, les produits de «L’Atelier A» sont très prisés par les collectionneurs et font florès dans les salles de vente.
Cet homme élégant, fin, racé et avenant est un fugueur. Il quitte la peinture pour courir d’autres aventures et les quitte pour lui revenir. C’est qu’elle lui permet de s’évader en son sein: au lieu d’être un autre nom de la captivité, comme pour beaucoup de peintres, elle tolère ses fuites et ses transhumances. Arnal pratique en quelque sorte la politique de l’agriculture nomade, de la terre brûlée: après avoir labouré un terrain et engrangé la moisson, il passe à d’autres terres inexploitées. C’est le principe des «séries» dont quatre figurent dans sa première exposition libanaise à la galerie Alice Mogabgab, Achrafieh: les «Champs Voilés» (1978), les «Elémentaires» (1981), les «Découvertes» (1990), la «Mémoire» (1994-1996), avec deux sculptures en caoutchouc de pneus récupérés, une manière de les recycler plus créative et moins polluante que ce qui, paraît-il, est notre invention nationale, qui consiste à les brûler dans la rue en guise de protestation.
Ces séries sont comme des îles dans le temps: or, les îles, de Sainte-Hélène à Tahiti, il faut les fuir pour ne pas succomber à leur odeur de captivité. Les fuir pour d’autres îles: ainsi se constitue une œuvre protéique en forme d’archipel.
Chez nous, Aref Rayess possède la même impatience et le même besoin de s’affranchir de ses propres créations.

Alternances

Dans les quatre séries, Arnal procède par inscription de signes formels, sans signification particulière. C’est une écriture plutôt qu’une peinture, à vrai dire: simples tracés, graphismes libres, pseudo-idéogrammes, graffiti, etc.
D’où l’importance du vide, du blanc, du champ: en fait, les signes se configurent sur le fond de la toile souvent écrue, comme des îlots, des archipels faisant écho, par leur dispositif, au cours de la vie et de la carrière de leur auteur.
Parfois les lignes noires (dans la «Robe bleu électrique de Lulu» — 1996) se développent en entrelacs complexes, s’enroulent autour d’elles-mêmes, hésitent, reviennent en arrière pour repartir en avant, se croisent, se décroisent aléatoirement, tout à fait comme des trajectoires de carrière et de vie, justement.
Et parfois, dans les «Champs voilés», les lignes noires, plus épaisses, sont des tracés très épurés qui disparaissent sous un glacis de peinture blanche pour reparaître plus loin sans modifier leur courbe: un peu comme les disparitions-réapparitions d’Arnal.
Parfois encore, les signes se juxtaposent sans liens évidents ou nécessaires, c’est-à-dire sans justifier leur coexistence. Ils sont là, c’est tout, et ils forment, dans leur co-présence, une peinture qui ne cherche de justification autre qu’elle-même, que sa propre existence objectale. Les «séries», non plus, n’ont pas besoin d’autres justifications que leur cohérence interne. Une île n’a pas à réclamer droit de cité à la géographie: elle est là, tout simplement.
Il est vrai qu’il arrive, comme dans les «Découvertes», que les graphismes se superposent et fassent foule, mais ils ne perdent pas pour autant leur autonomie, traduite par une couleur spécifique.
Dans les «Elémentaires», les suites de points sprayés régulièrement sont, en quelque sorte, la systématisation du dispositif archipélagique, l’alternance du plein et du vide, du noir et du blanc, du son et du silence, de l’île et de l’eau. Et les «griffes» noires qui s’y aventurent évoquent étrangement la peinture zen fondée sur les rapports de la forme et du vide.
Même les sculptures facétieuses en caoutchouc ne sont pas en reste: les anses autour du «Chapeau» dans l’une, les lanières retombantes de la tour échevelée du «Château du Fou» dans l’autre relèvent du même système, du même besoin de marquer les alternances et, au fond, les équivalences des signes, des séries, des aventures de l’art et de la vie.
Par une de ces alternances dont il a le secret, Arnal vient de réaliser le mobilier liturgique de la Cathédrale de Tours, dont le maître-autel: un simple rocher encastré dans une châsse de verre transparent: l’îlot dans son expression plastique ultime et absolue, dûment enfermé, donc isolé, dans un sarcophage sacré.
Il ne serait pas étonnant, après les «Elémentaires» et l’autel de Tours, qu’Arnal se sente enclin à aménager des jardins secs japonais où les rochers sont des îlots perdus dans une mer de sable.

Joseph TARRAB
Dans la «Chambre Noire de Longwood», Jean-Paul Kauffmann, l’ex-otage français au Liban, parle, à propos de Napoléon à Sainte-Hélène, de «l’odeur de la captivité, qui est une «odeur d’ennui».C’est cette odeur qu’a dû humer François Arnal (né en 1924, il fait des études de droit et de lettres pour finir par se vouer à la peinture en autodidacte, à partir de 1948) à...