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Actualités - CHRONOLOGIE

Regard "La France et le Proche Orient - 1916-1946 de P. Fournie et J-L. Riccioli La part des choses(photos)

Jamais les recueils de photographies anciennes sur le Liban n’ont connu pareille fortune. Ils paraissent à un rythme surprenant, comme s’il fallait, soudain, combler à tout prix une lacune flagrante de notre mémoire historique.
Besoin de ressourcement, de retour iconographique aux racines du présent pour mieux le comprendre? Recherche d’image quasi mythiques pour conforter une identité défaillante? Exploitation d’un créneau porteur? Visée scientifique de divulgation d’archives oubliées mais précieuses?
Quelles que soient les motivations qui animent leurs auteurs, les ouvrages photographiques publiés ces derniers mois apportent une extraordinaire expansion de notre savoir documentaire sur les 150 dernières années.
«La France et le Proche-Orient 1916-1946» de Pierre Fournié, archiviste-paléographe arabisant et Jean-Louis Riccioli, professeur d’histoire militaire, est publié dans une optique très différente dans la collection hétéroclite «Les beaux livres du patrimoine» chez Casterman. Il se veut à la fois une réévaluation critique du mandat français sur le levant considéré, en simplifiant, comme un «échec politique» et une «réussite administrative» (c’est-à-dire économique, sociale, judiciaire, éducative et culturelle, voire militaire), et un album de photos d’archives publiques et privées promues au rang de «sources historiques à part entière» susceptibles d’un «autre degré de lecture» que celles de la production historiographie.
Il s’agit d’un ensemble de «photographies de propagande» au sens large du mot «destinées à l’origine à modeler des consciences coloniales» et qui relèvent plus de la «problématique de la représentation et de la perception que de l’histoire politique».

Laboratoire de la modernité

Prises par les services de presse du Haut-Commissariat démantelés en 1922, par les services photographiques des Armées du levant ou par des particuliers, fonctionnaires civils ou militaires, puis par des photographes de Beyrouth, Damas et Alep, généralement Arméniens, (Dérounian, Guiragossian, etc.), elles ont plus une valeur documentaire qu’artistique, mais gardent, pour certaines, une sorte d’affinité avec la carte postale orientaliste du début du siècle, qui avait pris la relève de la peinture orientaliste des décennies précédentes. Elles trahissent «l’œil d’un Occidental qui va interpréter, modeler, restituer une réalité, sciemment ou pas, selon sa sensibilité et les oritères de ses propres valeurs».
«Il va de soi, ajoute Pierre Fournié, que la vision que nous donnons du Proche-Orient à l’époque du mandat français est éminemment fragmentaire, quelque peu stéréotypée, parfois trompeuse».
En effet, «production iconographique et discours politique» sont étroitement liés dans ces images diffusées par les autorités françaises. A côté de «l’Orient idéalisé, né des fantasmes de l’Occident en quête d’éblouissements romantiques puis exotiques», on perçoit aussi la volonté de «représenter le Levant comme un laboratoire de la modernité où la France accomplit en toute sérénité sa mission civilisatrice».
Beaucoup de ces photographies, qui n’ont jamais été publiées auparavant, constituent une promenade passionnante dans les Etats du Levant ou, pour le dire comme le sous-titre de l’ouvrage, «une chronique photographique de la présence française en Syrie et au Liban, en Palestine, au Hedjaz et en Cilicie».

Clichés

Après une introduction historico-critique et une chronologie de 1916 à 1946, l’ouvrage est divisé en chapitres qui vont des accords Sykes-Picot à l’Indépendance en passant par toutes les péripéties intermédiaires, y compris la révolte druze et le soulèvement nationaliste, un chapitre étant consacré à chacun des principaux Hauts-Commissaires.
Les photographies concernant le Liban sont nombreuses, souvent frappantes, comme les soupes populaires à Harissa et dans une autre localité libanaise en 1920, vers la fin de la famine qui avait fait jusqu’en 1918 180.000 victimes au Mont-Liban ou comme cette photo-souvenir de la gendarmerie chérifienne (du roi Fayçal) posant devant une table où sont exposées les têtes coupées, de «deux prétendus brigands libanais arrêtés et exécutés dans la plaine de la Békaa».
Beaucoup de clichés militaires: débarquement des marins français à Beyrouth en 1918, défilé des troupes françaises à Beyrouth en 1919, célébrations du 14 juillet en des années différentes, tirailleurs algériens sur l’esplanade du Grand Sérail en 1919, préparatifs de la bataille de Khan Meyssaloun à Aïn-Sofar, tirailleurs sénégalais à une fête de la Résidence des Pins, défilé de cavaliers tcherkess à une fête sportive à l’hippodrome de Beyrouth en 1944...
Des clichés politiques: la deuxième délégation maronite à la Conférence de Paix, avec le patriarche Hoyeck, proclamation de l’Etat du Grand Liban en 1920, signature du traité franco-libanais de 1936, arrivées, départs, visites des Hauts-Commissaires et de de Gaulle en 1942 qui se rend à Saïda, au Sud, à Baalbeck, etc.
Sur un cliché qui groupe Béchara el Khoury, Magid Arslane et Sabri Hamadé, ce dernier est pris pour Georges Haimari (mais avec un point d’interrogation), alors que Camille Chamoun au deuxième plan n’est pas même pas identifié. Ailleurs, évoquant sa passion pour le football, les auteurs qualifient Pierre Gémayel de «futur président de la République»!
On voit aussi les camps des réfugiés arméniens du sandjak d’Alexandrette qui seront installés dans des maisons en dur à Anjar en 1940, la fête de l’arbre en 1943, le départ de Beyrouth pour Damas de la «croisière jaune» en 1931, les grands travaux de Beyrouth entre 1929 et 1943: le nouveau port, le nouvel aéroport, le musée, l’avenue des Français, la place des Martyrs, le boulevard du Fleuve, la Corniche, l’avenue Fouad premier, le stade sportif, la route de l’aérodrome, l’asphaltage des rues et des routes, l’inauguration du téléphone au couvent du Saint-Sauveur à Jounieh en 1945, une naïade au Saint-Georges en 1942: tout cela fait un étrange écho rétrospectif aux chantiers de reconstruction actuels!.
Du fait de l’optique française, on ne voit guère dans les clichés les autochtones, leur mode de vie, etc. autrement que dans les rencontres avec les chefs politiques libanais, syriens, palestiniens.

Ajout indispensable

Malgré le nombre impressionnant de photos (elles ne sont pas numérotées) largement commentées, cette chronique photographique ne parvient pas à transmettre l’impression, comme le voudrait le prière d’insérer, que les Français ont été vraiment fascinés par le Levant et n’offre pas le «contrepoint visuel» aux récits des écrivains qui l’ont évoqué. S on caractère partiel et partial et son point de vue exclusiviste ne l’empêchent pas, cependant, de rester suffisamment intéressante, riche et variée pour constituer un ajout indispensable aux ouvrages de référence de tout amateur d’iconographie historique du Proche-Orient. Comme toute compilation, elle souffre des limites, des défauts et des qualités de ses sources.
Dans leurs textes et commentaires, les auteurs ont fait cependant de leur mieux pour tenter de combler les lacunes et de faire la part des choses d’une manière critique, bien que leur connaissance de la gent politique libanaise laisse beaucoup à désirer. Ils manipulent des photos de propagande mais ne s’en laissent pas abuser, soulignant en fin de compte «l’échoc global» du Mandat. A l’amateur «levantin» de tirer de ce recueil touffu et fourmillant de détails ce dont il peut faire son profit.
Joseph Tarrab
Jamais les recueils de photographies anciennes sur le Liban n’ont connu pareille fortune. Ils paraissent à un rythme surprenant, comme s’il fallait, soudain, combler à tout prix une lacune flagrante de notre mémoire historique.Besoin de ressourcement, de retour iconographique aux racines du présent pour mieux le comprendre? Recherche d’image quasi mythiques pour conforter une identité ...