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Actualités - REPORTAGE

Mise en scène au TDB par Issam Boutros Trio : une pièce déchirée à quatre voix (photos)

«The Trigone» — devenu «Trio» en arabe — de James Broom Lean occupe les planches du Théâtre de Beyrouth, dans une adaptation et une mise en scène d’Issam Bou Khaled. Comme les trois Mousquetaires, les personnages sont quatre, trois hommes et une femme. Leur existence a été «déformée» par la guerre. Quatre individus qui sont passés avec armes (caractères) et bagages (vécus) par l’expérience de la guerre. Un violent, un fragile, une névrosée de l’affection et un manipulateur… qui communiquent, sans qu’aucun sorte pour autant de sa bulle.
Des barres suspendues au plafond par des fils de fer délimitent l’espace. Un canapé, une table et des chaises, tout en gris, plantent le décor. Le doux Borhane attablé, grignote des biscottes d’un air goguenard. Anas le hargneux va et vient comme un lion en cage. Ils parlent de Jude, la femme que tous deux aiment et qui leur rend visite tous les jours à heure fixe. Ils évoquent le troisième homme, qu’ils ne nommeront à aucun moment, qui pourrait venir habiter avec eux.
Les éléments humains sont fixés. Le spectateur va, maintenant, assister à une «intrigue» à travers laquelle chacun dévoile sa véritable personnalité. Anas (Zahdi Nassar) qui s’attaque tout le temps à Borhane et qui parle d’amour violent, n’est en réalité qu’un faible à qui la guerre a donné la violence comme unique moyen pour s’exprimer. Borhane (Ibrahim Abou Khalil) amoureux platonique, qui construit des avions en plastique, est le seul à avoir trouvé une sorte de force intérieure dans la résignation. Le troisième homme (Fadi Abi Samra) qui se veut modérateur entre ces deux caractères radicalement opposés, est en réalité un manipulateur. Jude (Bernadette Hadib), la femme, incarne tous les fantasmes et ne fait que ressasser des rêves de petite fille en quête de tendresse et d’autorité... Les acteurs se prêtent très bien à ce double jeu.
Quatre destins décapsulés par la guerre qui a fait sauter bien des barrières, mettant à nu des fêlures qui remontent à loin...
Issam Bou Khaled signe là sa première mise en scène. Jeune diplômé de l’école des Beaux-Arts de l’UL à l’instar de ses camarades acteurs, il a déjà joué dans de nombreuses pièces. «J’ai senti que j’avais envie de dire quelque chose à ma manière» explique Issam. «The Trigon» est intéressant à plus d’un titre: l’auteur l’a écrit au sortir de la guerre; les personnages vivent cette tranche de vie également après la guerre. Par ailleurs, la construction en trigone m’a énormément plu. Quand il y a deux personnages sur scène, ils parlent d’un troisième. Quand ils sont tous les quatre, Anas et Borhane sont inséparables, comme les deux faces d’une même pièce…»
Issam Bou Khaled ajoute que la pièce «n’est pas une étude sociologique sur la guerre et ses conséquences. La guerre est une épreuve comme une autre qui a traversé la vie de ces quatre personnages, y révélant des choses, y détraquant d’autres. Ce sont quatre caractères différents qui ressortent».
Issam Bou Khaled a encore du mal à prendre du recul, tout ce qu’il sait c’est que son travail «n’a pas la prétention de dénoncer un travers de la société pour y donner une solution. Le théâtre porte à la connaissance du public des états, ouvre de nouvelles interrogations. C’est aux gens ensuite d’en tirer les constatations qui les arrangent…»
L’adaptation d’Issam Bou Khaled reste assez fidèle à la structure du texte original, mais comprend de nombreux rajouts quant au fond. «Les changements apportés ont concerné essentiellement le rôle de Jude. Dans le texte original, elle était porteuse d’un certain conflit. Je lui ai donné un bagage bien de chez nous: c’est une jeune fille libanaise avec tout ce que cela signifie de complexe et de conflictuel».

Les acteurs bien que jeunes ont de l’expérience. Ils ont été partie prenante à ce travail. «Je les appellerais des acteurs-créateurs. Il y a interaction entre nous. Le fait que nous soyons amis est certainement déterminant: nous sommes sur la même longueur d’ondes».

Issam est un amoureux de cinéma. Fasciné par les possibilités qu’offre le visuel cinématographique, il tente d’utiliser au théâtre la technique du «close up» ou gros plan. Cela donne des scènes qui s’arrêtent en plans figés et dans lesquelles la lumière et le son sont partie intégrante de l’action dramatique. Les corps, au même titre que la voix, se placent et bougent dans une esthétique générale. Même le décor avec ses barres suspendues suit le mouvement et menace de s’effondrer à la suite des personnages.

«J’ai envie de revenir sur scène en tant qu’acteur» souligne Issam Bou Khaled. «Je crois que j’ai acquis une maturité que je veux expérimenter dans l’actorat». Et les projets sont nombreux.
«Besame, besame mucho» revient telle une rengaine, liant les actes les uns aux autres, forgeant entre les personnages un point commun, ce manque affectif dans lequel ils se retrouvent tous les quatre…
Dans lequel nous nous retrouvons tous.

Aline GEMAYEL

* Au TDB jusqu’au dimanche 19 janvier, tous les soirs, à 20h30.
«The Trigone» — devenu «Trio» en arabe — de James Broom Lean occupe les planches du Théâtre de Beyrouth, dans une adaptation et une mise en scène d’Issam Bou Khaled. Comme les trois Mousquetaires, les personnages sont quatre, trois hommes et une femme. Leur existence a été «déformée» par la guerre. Quatre individus qui sont passés avec armes (caractères) et bagages (vécus)...