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Diaspora

Les chroniqueurs syriaques racontent les Croisades

Conférence de Robert Gabriel au dîner de RJLiban à Beyrouth
Au moment où l’on s’apprête à célébrer le 60e anniversaire de la création de l’État d’Israël, correspondant à l’une des plus grandes injustices du XXe siècle aux conséquences politiques et humaines terribles, la question de la présence chrétienne sur la terre qui a vu naître le Christ se pose avec acuité. En effet, les exactions continuent de toucher aussi bien les populations musulmanes que chrétiennes, de Palestine au Liban jusqu’en Irak, où les derniers événements ont entraîné un exode chrétien sans précédent.
La comparaison avec l’époque des Croisades n’a pas manqué d’être établie par M. Robert Gabriel, industriel et président de l’Association des amis de la langue syriaque qui, lors du dernier dîner-débat de RJLiban à Beyrouth, a souhaité « Brikh Ramcho » à l’assistance – « Bonsoir dans la langue du Liban » –, et s’est exprimé sur le sujet : « Nous assistons aujourd’hui, avec la tentative des Américains de dominer l’Irak, à un départ massif des chrétiens de pays. Il en a été de même lors de la venue des Croisés au XIe siècle dans la région, provoquant un exode massif des chrétiens du Liban et du Moyen-Orient. »
M. Gabriel, qui entreprend des recherches depuis plus de cinq ans sur trois grands chroniqueurs syriaques, dont Ibn el-Ibri (chroniques universelles de Mor Ibroyo) et saint Mikhaël le Grand (Mor Mikhaïl Rabo), a indiqué que ces derniers ne connaissaient pas l’Europe, malgré les relations entre la papauté et les patriarches syriaques après saint Ephrem aux VIe et VIIe siècles. Ils appelaient ainsi les Croisés « Frangoyé », ou Francs, qu’ils soient Français, Allemands, Anglais ou Italiens : « Nous les syriaques, qui sommes des spectateurs, avons dit la vérité », souligne M. Gabriel.
Il ajoute : « Au début de l’ère chrétienne, on parlait le syriaque dans toute la région et certaines populations minoritaires parlaient déjà l’arabe. Donc en 638, lorsque les Arabes sont entrés à Damas, on parlait syriaque, et en l’an 1099, lorsque Jérusalem est tombée, le 15 juillet, sous les coups des Croisés, on parlait syriaque, avec une minorité juive qui parlait l’hébreu. Les chrétiens étaient divisés en chalcédoniens et antichalcédoniens, c’est-à-dire les grecs-orthodoxes maintenant et les syriaques-orthodoxes, le catholicisme, lui, allait venir beaucoup plus tard, Ces populations vivaient donc dans ces régions, avec une minorité d’Arabes, musulmans, un peu de juifs, dans les grandes villes, et des gouverneurs, qui étaient toujours étrangers aux pays. Donc nos chroniqueurs ne parlent pas d’Arabes, mais de musulmans et de Turcs. »
Le conférencier a souligné que « du temps des califes Haroun al-Rachid, al-Amine et al-Maamoun (de 786 à 833 après J-C), les syriaques ont joué un grand rôle dans la transmission de la pensée grecque, traduisant des textes de philosophes comme Aristote du grec au syriaque, puis du syriaque à l’arabe. Les persécutions ont commencé après, avec la venue d’al-Hakim en Égypte, puis se sont nettement amplifiées avec l’avènement des Turcs seljoukides en 1070, qui ont mis la main sur Bagdad et le reste de tout l’empire arabe et abbasside. Ces étrangers ont alors pris Jérusalem des mains des Égyptiens fatimides, qui étaient chiites, et ont imposé de nouvelles lois et taxes aux pèlerins. D’où l’appel lancé par le pape Urbain II le 27 novembre 1095 à l’issue du concile de Clermont, prêchant les Croisades. »
Et de poursuivre : « Les latins sont donc venus, ils sont tous catholiques. Pour eux, les chrétiens de cette région sont des “kouffar”, des renégats. Le chrétien syriaque est d’abord tout content : le règne de Dieu va retourner sur terre, on a repris Jérusalem, etc., mais bientôt il veut prendre sa revanche de ce soldat croisé, étranger, qui est loin d’être civilisé, et qui prend dix ducats, alors que le soldat syriaque en prend un. Et chaque fois qu’il y a une victoire, Guillaume de Tyr et d’autres chroniqueurs européens disent que leurs soldats sont valeureux, alors que lorsque l’on perd une bataille, ils qualifient les soldats syriaques de mauvais. »
M. Gabriel poursuit avec deux épisodes relatés par les chroniqueurs syriaques. Le premier est celui de l’empereur Romain IV Diogène, fait prisonnier en 1071 par les Turcs lors de la bataille de Manzikert puis libéré par le sultan Alp Arslan, vu son rang. À son retour à Constantinople, le peuple, mécontent de la défaite, lui crève les yeux et il en meurt. « Notre chroniqueur, philosophe, dit : “Voilà qui est très étrange : le Turc, qui est musulman, qui est son ennemi, l’attrape, le libère et lui donne des cadeaux, et ses propres gens, les Grecs, le tuent. Mon Dieu, où est ta justice !”. Tout ça pour dire que le chroniqueur était contre les Grecs. Bien sûr parce que les Grecs étaient chalcédoniens, et lui antichalcédonien », dit-il.
« Un autre épisode a été vécu à Tyr (Sour) : il s’agit du siège de cette ville qui, en 1114, soit quinze années après le début des Croisades, était encore aux mains des Égyptiens. Et comme Sour attendait les secours des Égyptiens qui n’arrivaient pas à percer le blocus imposé par les Vénitiens gouvernant la Méditerranée, ils appelèrent à la rescousse le roi de Damas, un Turc seljoukide, non arabe, à l’armée bien aguerrie. Ce dernier envoie un pigeon avec un message d’encouragement aux habitants de Sour, leur disant : “Résistez, nous allons vous sauver”. Le chroniqueur syriaque dit : “Par la gloire de Dieu, qui est avec nous, le pigeon a atterri dans notre camp chrétien, nous l’avons pris, nous avons lu le message, nous avons écrit un autre message, qui est le suivant : rendez-vous, on ne peut pas venir vous sauver. Pour préparer une armée, il nous faut plusieurs années, entre-temps vous allez tous mourir”. Et c’est comme ça que Sour a été prise par les Croisés ! »

Cette page (parution les premier et troisième lundis de chaque mois) est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban.
E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com
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