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Diaspora - CORRESPONDANCE - WASHINGTON - Irène MOSALLI

La « kaché » sur le dos et le pays au cœur (« Bons baisers de loin », par Raff Ellis)

 

 

En 1998, Raff Ellis se rend de la Floride au Kesrouan que son grand-père maternel, Neemtallah Hobeiche, tout cheikh qu’il était, avait dû quitter pour le Nouveau Monde, en 1910, et son père, Toufic Kmeid, en 1914, à l’âge de 16 ans... Eux étaient partis chercher fortune. Lui (né en 1931 à Carhage, État de New York) a fait le chemin inverse en quête de ses racines. De cette plongée dans son pays d’origine, il a tiré un livre intitulé Kisses from a distance (Bons baisers de loin) qui relate, à travers la saga de trois familles, les débuts de l’émigration libanaise. Des débuts aussi durs que les circonstances économiques qui ont poussé certains (une grande partie de la classe paysanne) à tenter de trouver une vie meilleure sous d’autres cieux. Cet ouvrage fera, sans doute, date car il a valeur de documentaire, son auteur ayant effectué des recherches très approfondies tant du point de vue des faits historiques que sociologiques. De plus, quoique ayant eu recours à l’aide de traducteurs au cours de ses interviews dans les villages libanais, il a remarquablement saisi la mentalité des fils du pays, leur comportement et leur mode d’expression. Le tout, fidèlement restitué et enchaîné comme dans un roman. L’usage de l’anglais n’a pas altéré l’authenticité du climat évoqué.

Les Khazen, les Hobeiche, les Kmeid et les autres
Raff Ellis (simplification de Rafik Kmeid, Ellis se rapportant à son grand-père, Élias) a fait une longue carrière dans l’informatique tout en maniant parallèlement la plume. Il vit actuellement à Orlando (Floride). Auteur de plusieurs nouvelles et articles dans la presse, il a eu l’idée de ce livre en découvrant, dans les effets personnels de sa mère (Angèle, née Hobeiche et décédée en 1994) un paquet de 200 lettres, expédiées à partir de 1925 par les membres de sa famille au Liban et des amis. Et comme il se posait toujours des questions sur ses racines et qu’il avait le Liban dans le cœur (allant jusqu’à plaider sa cause devant le Congrès US), il a de suite envoyé cette correspondance à l’Université américaine de Beyrouth pour être traduite en anglais. À cause de ces documents, il s’est rendu quatre fois au Liban, qu’il avait visité plusieurs fois auparavant. Cette fois, il allait en explorateur. Aidé par des cousins et cousines, il a alors fait le tour de ses filiations. Arrêts successifs à Mazraet Kfardebiane, village de sa grand-mère maternelle (Adla Khazen), à Qattine (village de son grand-père maternel Neemtallah Hobeiche) où avait vécu sa mère avant d’épouser son père, Toufic Kmeid, de Baatouta…
Les faits historiques sont là : l’invasion des sauterelles, la famine, la culture des vers à soie, l’oppression ottomane, les ravages de la Première Guerre mondiale. Sans oublier le mode de vie de l’époque, émaillé de proverbes du terroir. On assiste aussi à l’enlèvement de sa grand-mère, Adla, du couvent où elle se préparait à entrer en religion, pour être mariée à « un bon parti », bien plus âgé qu’elle, Neemtallah Hobeiche. Sa mère, Angèle, a eu droit à un meilleur traitement : un mariage arrangé avec un riche émigré, Toufic Kmeid, qui a dû sceller l’alliance en promettant de verser une somme de 2 500 dollars au frère de sa future épouse. Retour aux USA, il trouve son commerce dilapidé par son partenaire et cousin et doit recommencer à zéro et aura toujours de la peine à joindre les deux bouts.
Tout en faisant un travail de mémoire familial, Raff Ellis s’est aussi appuyé sur des références à partir d’archives. Ainsi, Bons baisers de loin témoigne des difficultés et des souffrances endurées par les émigrés libanais au début du siècle dernier : l’interminable voyage en mer, l’incertitude d’obtenir un visa d’entrée, la survie en devenant marchands ambulants (Tejar al-kaché), puis avec un peu de chance, ouvrir leur propre commerce pour donner une bonne éducation à leurs enfants.
L’auteur précise : « Les gens au Liban croyaient que quiconque se rendait en Amérique devenait automatiquement riche. Je ne pense pas que nos parents n’ont jamais su ni apprécié combien mon père a dû lutter pour nourrir et vêtir sa famille. »

Angèle Kmeid, poète et caractère fort
On apprend dans le livre que le caractère fort de la famille était sa mère, Angèle, qui avait été professeur de français au Liban et qui, une fois en Amérique, avait vendu ses bijoux pour apprendre l’anglais. Malgré tout, elle avait conservé les valeurs inhérentes à son titre de cheikha cultivée et de jeune fille rangée. Un jour, elle avait remplacé son mari au magasin de tabac qu’il tenait. De retour, celui-ci l’a vue en train de jeter des exemplaires de Playboy et de Penthouse exhibés sur le stand des journaux. Elle maniait aussi les vers. L’ouvrage se termine par un poème qu’elle avait rédigé et qui s’intitulait Je voudrais rentrer au Liban dont voici un extrait :
« Rentrer au Liban… Pour voir les jeunes filles de mon village à l’heure de la promenade échangeant leurs confidences… Pour goûter les mûres à l’époque des vers à soie… Pour grimper d’un figuier à l’autre… Pour l’hiver griller des glands, comme ici on grille des marrons… Pour mettre une belle robe et aller siroter un café chez les voisins… Pour conduire l’attelage de bœufs au lieu d’une Buick… Pour admirer la mer du haut de la colline et dire en voyant un navire : “Peut-être transporte-t-il un émigré, qui comme moi, voudrait tant retourner au Liban”. »

 
 
En 1998, Raff Ellis se rend de la Floride au Kesrouan que son grand-père maternel, Neemtallah Hobeiche, tout cheikh qu’il était, avait dû quitter pour le Nouveau Monde, en 1910, et son père, Toufic Kmeid, en 1914, à l’âge de 16 ans... Eux étaient partis chercher fortune. Lui (né en 1931 à Carhage,...