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Diaspora

Au-delà des frontières : vie, art et littérature des communautés chrétiennes de langue syriaque et arabe

L’Orient chrétien connaît un regain d’intérêt qui était évident lors du double congrès syriaque et arabe de Grenade.
Les études sur l’Orient chrétien, qui concernent la région qui a vu naître le Christ et ses premiers disciples, sont aujourd’hui en plein essor. Non moins de 230 professeurs et chercheurs, venus de tous les continents, se sont retrouvés du 22 au 27 septembre en Espagne, à Grenade, la dernière capitale d’al-Andalus, pour un double congrès : le Xe Symposium Syriacum, et le VIIIe Congrès des études arabes chrétiennes.
Lancé en 1972 à Rome par le père Ignacio Ortiz de Urbina de l’Institut pontifical oriental et soutenu par des personnalités scientifiques telles que les pères Jean-Maurice Fiey, François Graffin, André de Halleux, Jules Leroy et les professeurs Antoine Guillaumont et Sebastian Brock, le Symposium Syriacum est devenu une véritable institution universitaire pour le développement du patrimoine syriaque et se déroule tous les quatre ans dans un pays différent. Quant au Congrès des études arabes chrétiennes, lancé en 1976 à l’initiative du père Samir Khalil Samir, il devint dès 1980 inséparable du Symposium.
Le double congrès se tint donc à Grenade, organisé harmonieusement par l’équipe espagnole de l’évêché de Grenade et l’équipe libanaise du Cedrac (Centre de documentation et de recherches arabes chrétiennes) de l’USJ. La prochaine rencontre se tiendra à Malte en septembre 2012 ; en outre, un congrès supplémentaire des études arabes chrétiennes se tiendra à Beyrouth en 2010, qui englobera les études syriaques, maronites, melkites et coptes de langue arabe.

Des conférenciers de renommée mondiale
C’est dans le grand séminaire diocésain San Cecilio, à proximité de la majestueuse Chartreuse (La Cartuja), à la chapelle éblouissante, que 180 conférences en anglais, français, allemand ou espagnol, d’une demi-heure chacune, parfaitement synchronisées et réunissant un auditoire averti réparti dans quatre salles, ont été données en cinq jours. Une pause d’une journée a permis la visite touristique de Grenade : la cathédrale, le caravansérail, le Sacromonte et ses spectacles de flamenco, ainsi que les fameux jardins et le palais de l’Alhambra, qui accueillent tous les jours sept mille visiteurs en moyenne. Une autre journée touristique clôturant le congrès nous a fait découvrir la somptueuse ville de Cordoue, située à 160 km. Parmi les conférenciers en majorité européens – anglais, français, allemands, espagnols, italiens, russes … –, et aussi moyen-orientaux, tunisiens, australiens, japonais, indiens… figuraient des vétérans comme Sebastian Brock, Rifaat Ebied, Hubert Kaufhold, présents en 1972. Mais aussi Adel Sidarus, copte égyptien, professeur à l’Université d’Evora au Portugal, qui se trouve actuellement au Cedrac pour collaborer à l’Histoire de la littérature melkite pré-ottomane du Père Samir Khalil, et qui a évoqué « Les nouvelles recherches sur la légende d’Alexandre le Grand dans la littérature arabe chrétienne ».
Citons aussi Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux, dirigeant une équipe de chercheurs français du CNRS, qui ont entrepris d’établir un catalogue détaillé des manuscrits syriaques et « garshouni » (langue arabe écrite en caractères syriaques) du fonds du patriarcat syriaque-catholique de Charfeh près de Harissa au Liban. Et également Erica Hunter (Oxford - « Inscriptions syriaques et chinoises sur une stèle des premiers moines de Xian-Fu au VIIe siècle »), Jacob Thekkeparambil (prêtre de l’Église syriaque-orthodoxe indienne de Kerala, spécialiste de saint Jacob de Sarug), Yoshihisa Yamamoto (Chiba/Japon – « L’enseignement éthique de Yahya ibn ‘Adi ») et Witold Witakowski (Uppsala/Suède – « Chroniques syriaques jusqu’au IXe siècle »).

La présence des syriaques à « leur » symposium
Nicholas al-Jeloo, syriaque irakien étudiant à l’Université de Sydney, en Australie, a donné un brillant exposé, accompagné de très belles photos réalisées cette année sur 200 villages se trouvant à l’ouest du lac Urmia, au nord-ouest de l’Iran. Habités par des Assyriens, ces villages chrétiens connaissent aujourd’hui un exode notable à l’instar de nombreux autres d’Irak et de Turquie, en raison des conflits armés persistant dans la région depuis la Seconde Guerre mondiale. La région d’Urmia est riche en inscriptions et en ouvrages syriaques, mais une grande partie de cet héritage a été détruite ou endommagée.
Signalons que lors du génocide des Arméniens en Turquie, pris au piège entre les influences allemande et russe en territoire ottoman, au début du siècle dernier, plus de 250 000 syriaques ont trouvé la mort et de nombreux autres ont perdu leur identité. Si les Arméniens répartis dans le monde ont réussi depuis à se rassembler grâce à leur nationalisme poussé, tel n’a pas été le cas des syriaques.
Mais les syriaques sont de plus en plus nombreux à se retrouver au Symposium les concernant, et plusieurs d’entre eux participent activement au développement de leur patrimoine, comme George Kiraz et sa maison d’édition Gorgias basée à New Jersey aux États-Unis, qui a exposé ses livres. Cette présence, confirmée donc à Grenade, est très souhaitée par les chercheurs internationaux, qui y voient un tournant indispensable. En effet, ces personnes, venues du Liban, de Palestine, de Syrie, d’Irak, de Turquie, de l’Inde, de Suède (avec l’équipe de la télévision Suryoyo Sat), d’Allemagne, de Hollande, de France, de Belgique, du Canada et autres pays, pratiquent toujours la langue syriaque. Cette langue araméenne telle que parlée à Edesse/Urfa en Turquie, patrie de saint Ephrem, un des pères de l’Église universelle, avait supplanté au Ve siècle les six autres dialectes araméens, dont le nabatéen, la langue de Jésus-Christ, et durant plus d’un siècle, la messe était célébrée en syriaque dans toutes les Églises du Moyen-Orient. Cela a été le cas également au cours du Symposium, où des prêtres syriaques venus d’Allemagne ont célébré une messe du soir, précédant les messes maronite et melkite grecque-catholique, avec la participation de la majorité des conférenciers, alors que tous les matins se déroulait avant l’ouverture une messe de rite latin.

Le Liban au centre du Symposium
Le Liban, pays d’une importance extrême pour son accueil de toutes les religions, était représenté par plusieurs délégations, dont celle du Centre de documentation et de recherches arabes chrétiennes de l’Université Saint-Joseph (Cedrac) et celle de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), coorganisateurs du Symposium avec le Centre international d’étude de l’Orient chrétien, basé à Grenade. Ce centre est présidé par l’archevêque de Grenade, Mgr Javier Martinez, qui en compagnie du maire de la ville, José Torres Hurtado, a offert un dîner de gala à tous les congressistes dans les jardins de l’Alhambra. Mgr Martinez va prochainement visiter le Liban au cours d’un pèlerinage sur les traces de saint Paul de Tarse, qui s’exprimait aussi en araméen, et pour lequel une année jubilaire œcuménique vient d’être consacrée. Sont intervenus les pères Samir Khalil (qui a clôturé la conférence) et Nagi Edelby (« Le commentaire de l’Apocalypse de Bulus al-Bushi, évêque du Caire au XIIIe siècle »), du Cedrac, les pères Abdo Badaoui et Gaby Abousamra, et le père supérieur Élie Khalifé (« Le patriarche Duwayhi, représentant de la tradition syriaque de l’Église maronite »), de l’USEK, ainsi que le père antonin Charbel el-Balaa et les pères Boulos Feghali et Shafiq Abouzaid. Sans compter plusieurs professeurs : Ray Mouawad (LAU - « Chrétiens orientaux sous les Francs entre Tripoli et Tyr »), Naila Kaidbey (LAU), Daniel Ayush (Balamand) et Hayat Bualuan (AUB - « Hananiyya al-Munayyir, historien melkite du Liban au XVIIIe siècle »).
Étaient également présents des membres de l’association des Amis de la langue syriaque, dont le président Robert Gabriel, père Élias Gergés, Karim Chahan, Louis Atoui et Claudia Rammelt, rentrée à l’Université de Munich : elle a présenté en allemand ses travaux sur l’évêque Ibas d’Edesse (Ve siècle), dont la position dogmatique a été débattue durant plus d’une centaine d’années suite au concile de Chalcédoine de l’an 451. Mais le Liban a été aussi critiqué par plusieurs étudiantes d’Europe de l’Est (Hongrie, Russie, Roumanie, Pologne), qui se sont vu refuser le visa d’entrée par les autorités libanaises, se résignant alors à se rendre à Damas ou à Amman pour parfaire leurs connaissances des cultures du Moyen-Orient. Souhaitons une plus grande ouverture pour les universitaires et les touristes au Liban, et en particulier la reprise des vols directs vers l’Espagne et l’Andalousie, une destination traditionnellement privilégiée des Libanais.
Finalement, il nous faut remercier l’archevêque de Grenade, don Javier Martinez, pour son accueil, et l’Icsco (International Center for the Study of the Christian Orient) et le Cedrac pour avoir organisé ce double congrès fort réussi à tous les points de vue : académique, culturel et relationnel.
L’Orient chrétien connaît un regain d’intérêt qui était évident lors du double congrès syriaque et arabe de Grenade. Les études sur l’Orient chrétien, qui concernent la région qui a vu naître le Christ et ses premiers disciples, sont aujourd’hui en plein essor. Non moins de 230 professeurs...