
Nicole (à gauche) et Léa au campus de la NDU, pendant la Journée mondiale de la santé. Photo Crystal Ghantous
À la faculté des sciences infirmières et de la santé de l’Université Notre-Dame de Louaïzé (NDU), Christelle Najem, Léa Selman, Nicole Rebecca Romero et Gabriella el-Ghossain, étudiantes de première année, organisent une campagne qu’elles intitulent Weigh Your Words (Pèse tes mots) afin de sensibiliser les personnes visées, mais aussi les auteurs des commentaires, au body shaming, un enjeu d’actualité qui touche aussi bien les jeunes que les adultes. Selon Gabriella el-Ghossain, 19 ans, Weigh your Words met l’accent sur les violences verbales « qui apparaissent souvent dès le plus jeune âge et se poursuivent dans les milieux scolaires, académiques et professionnels ». Sa camarade, Christelle Najem, 19 ans, souligne que, comme son titre l’indique, « le message central de la campagne est simple mais essentiel : les mots ont du poids. Qu’ils soient intentionnels ou non, les mots que nous utilisons peuvent élever ou blesser les autres ». Léa Selman, 19 ans, ajoute que « certains commentaires, même anodins ou prononcés sur le ton de la plaisanterie, peuvent être nuisibles. Nous sous-estimons souvent le poids émotionnel de nos paroles ». En concevant cette campagne, ces jeunes se sont inspirées de leur propre vécu. « Beaucoup d’entre nous ont été directement touchées par le body shaming, et nous savons à quel point les mots peuvent être puissants et douloureux », avoue Nicole Rebecca Romero, 20 ans.
Dans le but de lutter contre la stigmatisation et la honte liées au corps et de promouvoir l’acceptation de soi, ces étudiantes en nutrition et diététique ont mené cette campagne en avril sur le campus de leur université auprès des étudiants, du personnel enseignant et administratif, mais aussi à l’école Saint-Grégoire, lors de la foire sur la santé organisée par cet établissement. « Notre objectif est d’encourager les élèves et les étudiants à réfléchir à la manière dont ils parlent aux autres et à leur sujet, afin de favoriser une culture de bienveillance, d’inclusion et de respect. En sensibilisant aux effets des commentaires blessants et des stéréotypes, la campagne vise à créer des environnements plus sûrs et plus solidaires, où chacun se sent reconnu et accepté », explique Christelle Najem.
Affiches de sensibilisation, animation d’activités interactives, mobilisation sur les réseaux sociaux, les créatrices de la campagne adaptent les activités à différents groupes d’âge, après avoir effectué une recherche de terrain et s’être entretenues avec leur entourage. « L’image corporelle étant un sujet particulièrement sensible, surtout pour les plus jeunes, nous avons voulu créer une campagne dont ils comprendraient le langage, grâce à sa simplicité, sa bienveillance et son ton émotionnel », note Nicole Rebecca Romero. Ainsi, pour les activités de la campagne, elles ont choisi des objets du quotidien comme les miroirs ou les balances, souvent associés à des sentiments négatifs. « Notre objectif était de changer cette perception, de les transformer en symboles d’acceptation de soi et d’amour-propre. Plutôt que de générer de l’anxiété, nous avons voulu qu’ils rappellent la force et la confiance », poursuit cette étudiante.
Body shaming : impacts sur la santé mentale
S’inscrivant dans le cadre du cours Nutrition de la communauté prodigué aux étudiants de première année, ce projet aide les étudiants « à comprendre ce qu’est la nutrition communautaire et comment elle s’applique dans la réalité. Il est aussi essentiel qu’ils deviennent des professionnels empathiques », assure Jessy el-Hayek, doyenne de la faculté des sciences infirmières et de la santé de la NDU. La campagne a permis aux étudiantes d’une part d’appliquer les connaissances théoriques de manière concrète, de devenir « acteurs du changement, bien au-delà du rôle d’apprenants passifs », selon cette doyenne, et d’autre part de développer des compétences relationnelles et interpersonnelles essentielles, comme l’empathie, l’écoute active, le travail d’équipe, le leadership et la communication. « Le projet encourage les étudiants à aller sur le terrain, à comprendre les défis auxquels les gens sont confrontés et à promouvoir des solutions nutritionnelles concrètes et adaptées », souligne Jessy el-Hayek, également professeure associée à la faculté. Léa Selman précise que ce projet leur a permis d’apprendre « à organiser des événements, mobiliser les participants et faire passer le message dans un contexte réel ». En améliorant leur capacité à résoudre des problèmes, à adapter leurs messages à des publics variés et à réfléchir de manière critique à l’efficacité de leurs interventions, le projet veut préparer les étudiants « à assumer des rôles-clés dans leur domaine » et « former des professionnels bienveillants, prêts à apporter une contribution significative à la santé publique », ajoute Jessy el-Hayek.
Pourtant, mener une telle campagne auprès d’un public peu sensibilisé au sujet n’a pas été chose aisée pour ces étudiantes de première année. « L’un des plus grands défis a été de trouver le courage de parler d’un sujet aussi sensible que le body shaming, en dehors d’un cadre académique. Au début, il était difficile de savoir comment aborder le sujet sans mettre les gens mal à l’aise ou sur la défensive. Il a fallu trouver le bon équilibre entre sensibiliser et créer un espace de dialogue respectueux et sécurisant », note Léa Selman, avant d’ajouter que c’était « extrêmement gratifiant de voir que les gens s’engageaient réellement sur le sujet et prenaient le temps de réfléchir à l’impact que leurs mots peuvent avoir sur les autres ».
D’ailleurs, si les quatre étudiantes ont pris la campagne à cœur, c’est avant tout pour dénoncer les effets que le body shaming peut engendrer sur le bien-être de ses victimes. La campagne associe ainsi les moqueries ou les commentaires stigmatisants aux « troubles de la santé mentale, tels que la faible estime de soi, l’anxiété, la dépression, ou encore les troubles du comportement alimentaire », précise Gabriella el-Ghossain. L’image corporelle et la pression des pairs sont en effet des problématiques particulièrement préoccupantes dans notre société actuelle, en particulier chez les jeunes. « Les réseaux sociaux, les filtres IA véhiculent des standards de beauté irréalistes, tandis que la pression sociale incite à la conformité. Parfois, des commentaires blessants sont formulés sur le ton de la plaisanterie, sans réelle conscience de leurs effets. Même des moqueries légères peuvent laisser des traces durables sur l’estime de soi », rappelle Jessy el-Hayek, ajoutant que ceci peut parfois entraîner « des pensées suicidaires ». Si les jeunes sont particulièrement vulnérables en raison de leur image de soi en construction et des pressions sociales, « les recherches montrent que le body shaming touche aussi les adultes, y compris ceux qui sont plus matures et conscients d’eux-mêmes. Les standards de beauté irréalistes peuvent affecter tout le monde, quel que soit l’âge », poursuit-elle.Bien au-delà de l’apparence physique, le body shaming prend racine dans des croyances profondes et des stéréotypes sociaux. « Il est alimenté par des standards corporels irréalistes, un manque d’éducation sur la diversité des corps et la banalisation de propos blessants dans les conversations du quotidien », résume Gabriella el-Ghossain. À cet effet, Christelle Najem considère que « la sensibilisation et l’éducation sont essentielles pour briser les cycles de préjugés, et que le véritable changement commence par des actions simples et réfléchies ».
Cette campagne milite par conséquent pour une culture « où la bienveillance et le respect sont reconnus comme essentiels à la santé publique et au bien-être collectif », ainsi que pour un changement « qui place l’acceptation au-dessus du jugement, et qui contribue à bâtir des communautés plus saines et inclusives, pour tous les types de corps », poursuit Gabriella el-Ghossain. Pour la doyenne de la faculté des sciences infirmières et de la santé, il est ainsi crucial d’aborder ces problématiques afin de « construire des communautés où chacun se sent valorisé pour ce qu’il est ».