« Plage pour tous » : sur la côte de Kfar Abida, des bancs et corbeilles pour se réapproprier l’espace public

« C’est pour les déchets, pas pour les galets ! » plaisante Scarlett en voyant son fils, tout absorbé, déposer ses trésors dans l’une des nouvelles bennes à ordures turquoise en béton et plastique recyclés. Assise aux côtés de Michel sur un banc flambant neuf, elle confie à L’Orient-Le Jour : « C’est notre quatrième fois ici. C’est propre, tranquille… et maintenant, il y a de quoi s’asseoir confortablement ! » Samedi matin, sur la plage publique de Kfar Abida au Liban-Nord, le clapotis des vagues s’entremêle aux voix tranquilles des habitués de ce littoral. Seuls quelques engins d’un chantier à proximité de l’espace public viennent perturber le calme. 

Ce 21 juin a été marqué par le lancement de l’initiative « Plage pour tous », un projet d’installation de bancs et corbeilles faits de plastique recyclé et qui balisent la plage publique de Kfar Abida. Une initiative menée en collaboration avec l’ONG Nahnoo, le collectif Save Kfar Abida, qui s’oppose depuis longtemps à tout projet de privatisation de cette côte, et la société Plastc Lab. Le projet a été financé par VNG International, l’agence de coopération internationale de l’Association des municipalités néerlandaises. Ziad Moussa, chef de programme au sein de l’agence, évoque une initiative de « citoyenneté active, portée par les locaux ». 

Des bancs pour dire « cette plage appartient à tous »

« Cela fait plus de 20 ans que nous œuvrons à protéger l’accès à la mer », explique Michel Khoury, membre de Save Kfar Abida. « Ces bancs ne sont qu’un début. Nous voulons aménager un sentier côtier qui relie toute la plage, en maintenant son caractère public et ouvert à tous. » 

À ses côtés, souriante, chapeau et look décontracté, Clara el-Khoury semble être la force vive du collectif. « Nous avons la plus belle et plus propre des plages, avec un accès bien aménagé, plus personne n’aura envie d’aller dans le privé ! » s’exclame-t-elle lors du lancement de l’événement. Et d’enchaîner avec passion : « Ces bancs et bennes à ordures sont la première étape d’un projet de grande envergure d’aménagement du littoral public. Une manière pour nous de proclamer notre présence, de dire “nous sommes là, cette plage appartient à tous”. » 

En effet, les bancs et corbeilles turquoise ont été placés de manière stratégique, à la limite entre l’espace des propriétés privées et la plage publique, une manière pour ces collectifs de lutter contre tout empiètement sur le domaine public. Car au Liban, la côte est, depuis des décennies, largement privatisée de manière illégale. Si le cadre légal existe bien, son application reste insuffisante.

Pour mémoire

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Mohammad Ayoub, membre de l’ONG Nahnoo qui milite depuis 2009 pour la préservation des espaces publics et culturels au Liban, explique à L’Orient-Le Jour que ce projet est « une sorte d’intervention pour réclamer la plage et protester contre les constructions qui se multiplient et menacent l’accès au domaine public ». Spécialiste du tourisme durable, Claude Margi, venue de Jbeil et qui assistait au lancement de l’initiative, se félicite du projet : « La plage est pour tous ! » clame-t-elle. 

Huit bancs, quatre corbeilles et une pancarte de signalisation fabriqués en béton et plastique recyclés par Plastc Lab ont ainsi été installés le long du littoral de Kfar Abida, pour « montrer à la municipalité ce que pourrait être l’avenir de cette plage et l’encourager à poursuivre ses efforts dans ce sens », explique M. Ayoub. 

Le président de cette municipalité, Michel Feghaly, salue une « belle intervention », tout en admettant que les moyens municipaux, souvent cantonnés à l’aspect administratif, restent limités pour préserver le littoral en question, rappelant par là le rôle des ministères concernés. 

Des matériaux durables

Rami Sbeih, PDG et cofondateur de Plastc Lab, société qui construit des meubles à partir de plastique recyclé, est lui aussi venu prendre part à cette inauguration. « Nous utilisons du plastique de type 2, résistant à l’eau et à l’humidité et qui, dans le cadre de ce projet, a également été traité contre les UV pour assurer sa durabilité », explique-t-il à L’Orient-Le Jour. La structure des bancs et des corbeilles est en béton pour garantir leur ancrage au sol quelle que soit la météo. Quant aux assises et dossiers, de couleur turquoise et qui ressemblent au bois, ils sont faits à partir de plastique recyclé. 

La plage de Kfar Abida, trésor des habitants du village

« Le projet a été réalisé sur la plage publique de Kfar Abida car nous savions que nous pourrions compter sur le soutien des habitants du village et celui des collectifs Save Kfar Abida et Save Abou Ali », explique M. Ayoub. L’attachement des locaux pour leur plage s’est manifesté par leur présence en nombre lors de l’événement. « Je viens sur cette plage tous les jours. Aujourd’hui, je suis venu particulièrement pour jeter ma bière dans la nouvelle corbeille », plaisante un habitant. 

En fin de matinée, Najwa et Christine, deux habituées de la plage, déplient leurs tapis pour profiter du littoral. « On vient ici tous les jours. Avec nos familles nombreuses, les plages privées, c’est hors de question », raconte Najwa. « Nous tenons énormément à notre accès à ce bout de plage publique, une denrée de plus en plus rare », renchérit Christine. Les deux femmes étaient agréablement surprises de découvrir les nouveaux bancs : « Ils sont beaux et pratiques. C’est idéal pour un petit café au soleil », s’enthousiasme Najwa.