Parmi les discours d’investiture qui marquent une époque, celui du président libanais Joseph Aoun, prononcé le 9 janvier 2025, entre en résonance avec une figure historique bien au-delà des frontières du Liban : le général Charles de Gaulle. Ce rapprochement n’est pas anodin. L’un comme l’autre ont porté, dans des contextes de crise, une parole d’ordre, de souveraineté et de refondation nationale.
Le général Aoun, militaire de carrière, s’exprimait devant une nation ébranlée, à l’instar du général de Gaulle s’adressant à la France de 1940 ou de 1958. Tous deux héritent d’États fragilisés, traversés par des forces centrifuges, minés par la perte de confiance dans les institutions, et pourtant porteurs d’un potentiel de renaissance. Voici les grands parallèles qui s’imposent.
La souveraineté de l’État comme socle de la République
Joseph Aoun a martelé dans son discours que l’État libanais devait retrouver l’exclusivité de l’autorité : « Le monopole du port des armes » n’est pas seulement une promesse sécuritaire, c’est un acte de foi dans la capacité de l’État à incarner l’unité et la légitimité. Il appelle à une administration moderne, décentralisée mais solide, qui garantisse à nouveau les droits fondamentaux des citoyens. Le général de Gaulle, quant à lui, fit de la souveraineté nationale la clé de voûte de toute reconstruction. À Londres, à Alger, puis à Paris, il proclama l’indépendance de la République face à l’effondrement des institutions. En 1958, il établit la Cinquième République pour refonder l’autorité de l’État sur des bases stables et durables. Dans les deux cas, l’État n’est pas un vain mot : il est la condition de la liberté, de l’unité et de la survie nationale.
Une armée au service de la nation, et non de factions
Joseph Aoun, chef des armées, insiste sur la reconstruction d’une doctrine de défense claire : sécuriser les frontières, appliquer les résolutions internationales, lutter contre le terrorisme, tout en maintenant une doctrine strictement défensive. Son projet est celui d’une armée unifiée, professionnelle, constitutionnelle. Charles de Gaulle, lui aussi, a érigé l’armée en instrument de souveraineté. Il créa une force de dissuasion indépendante, mit fin à la dépendance stratégique envers les alliances militaires étrangères et affirma le droit de la France à se défendre par elle-même. Une armée forte, mais encadrée par le droit : pour Aoun comme pour de Gaulle, c’est la colonne vertébrale de l’État souverain.
L’unité du peuple au-delà des divisions confessionnelles ou partisanes
L’un des passages les plus marquants du discours de Aoun est sans doute cette phrase : « Si l’un d’entre nous vacille, c’est tout le pays qui vacille. » Il y a là une condamnation ferme de la logique communautaire ou clientéliste, et un appel à la solidarité nationale. De Gaulle, lui aussi, appela à dépasser les divisions de partis, de clans, de guerres intestines : « La France ne peut être la France sans grandeur », disait-il – et cette grandeur exigeait unité, dépassement, effort commun. Face au morcellement, les deux hommes prônent l’unité comme condition première de la résilience nationale.
Une filiation d’esprit au service de la République
Si le Liban, pays des contrastes, a souvent été soumis aux pressions extérieures et aux déchirures internes, le discours de Joseph Aoun semble vouloir renouer avec une tradition d’État fort, de dignité nationale et de responsabilité collective. Une tradition que Charles de Gaulle incarna pour la France en son temps. Le président libanais propose un projet de refondation, non pas par rupture brutale, mais par redressement progressif : des institutions aux frontières, des services publics à la souveraineté. Il ne s’agit pas d’un simple discours militaire, mais bien d’un programme républicain. Dans cette perspective, l’ombre du général de Gaulle plane, non comme un modèle à copier, mais comme une inspiration à adapter.
Le Liban, terre du Cèdre et des épreuves, saura-t-il écrire sa propre « Cinquième République » ? La question reste ouverte, mais la volonté affichée mérite d’être saluée.
Georges NOUR
Président de la Fondation pour la sauvegarde du patrimoine du général de Gaulle au Liban
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