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Nos Lecteurs ont la Parole

Et si c’était un enfant qui racontait l’apocalypse ?

Imaginons un enfant de huit ans, peut-être neuf, qui parle.

Je ne crois pas que quelqu’un a dit que c’était la fin. Pas vraiment. Ils disent des trucs comme : « On va tenir encore un peu » ou « Faut s’organiser ». Mais on n’organise rien. On attend, c’est tout. On devient bons à attendre.

Avant, y’avait un bruit tout le temps : voitures, bus, gens pressés. Maintenant, on entend des bruits qu’on ne connaissait pas. Les murs qui craquent. L’eau qui coule bizarrement dans les tuyaux. Les pas des autres quand ils se déplacent doucement. On écoute les pas comme on écoutait les chansons avant.

J’ai essayé d’écrire les jours, comme en prison dans les films. Un trait pour chacun. Mais j’ai oublié à quel moment j’ai commencé. Les traits se mélangent, comme si eux aussi ne savaient plus.

Papa parle de moins en moins. Il lit des papiers qu’il cache après. Maman ouvre les rideaux sans les regarder. Elle s’arrête parfois devant la fenêtre, mais elle ne regarde rien. Elle regarde juste.

On mange des trucs secs. On boit de l’eau tiède. On ferme la porte avec un meuble. Et on dort tous dans la même pièce, sans parler du pourquoi. Moi je n’ai pas peur, mais je sais que ce n’est pas normal. Y’a pas de règles maintenant. Juste des choses qu’on fait pour que ça tienne.

Des fois, je me demande si les autres enfants sont comme moi. Est-ce qu’ils s’habillent encore ? Est-ce qu’ils jouent ? Est-ce qu’ils pensent que les adultes savent ce qu’ils font ? Moi j’y crois plus trop. Papa a l’air de chercher un mode d’emploi qu’il ne trouve pas. Et maman, elle, fait comme si elle se souvenait d’une époque d’avant, mais avec des trous dedans.

On ne va plus à l’école, mais je n’oublie pas tout. Je sais encore lire. Je lis les boîtes vides, les tickets, les étiquettes qu’on garde pour rien. J’apprends des mots qui ne servent à personne, mais ils restent dans ma tête comme des graines.

Y’a un mot que j’aime bien : « survivre ». Il a l’air fort, mais quand tu l’entends tous les jours, il devient mou.

Je regarde souvent le plafond. Il ne bouge pas, lui. Il fait son travail. Il ne nous tombe pas dessus. C’est déjà ça.

Un jour, j’ai rêvé qu’on allait dehors, qu’il y avait un champ avec du vent, et un bruit de cloche au loin. Quand je me suis réveillé, je ne l’ai pas raconté. J’ai gardé le rêve pour moi. Les rêves, maintenant, c’est comme des choses précieuses qu’on peut casser en parlant.

Je ne crois pas que le monde s’est arrêté. Il a juste perdu l’habitude de continuer.

Il a oublié comment faire. Comme moi, quand je n’ai pas joué au foot pendant trop longtemps : mes jambes ne se rappellent pas les gestes. Le monde aussi a oublié ses gestes.

Je ne sais pas ce qui va se passer. Personne ne le sait. Même les grands font semblant. Mais moi je suis là. Je regarde. J’écoute. Je retiens ce que je peux. Peut-être qu’un jour, je raconterai. Peut-être pas. Mais au moins, je n’aurai pas tout perdu.

Pas encore.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Imaginons un enfant de huit ans, peut-être neuf, qui parle.Je ne crois pas que quelqu’un a dit que c’était la fin. Pas vraiment. Ils disent des trucs comme : « On va tenir encore un peu » ou « Faut s’organiser ». Mais on n’organise rien. On attend, c’est tout. On devient bons à attendre.Avant, y’avait un bruit tout le temps : voitures, bus, gens pressés. Maintenant, on entend des bruits qu’on ne connaissait pas. Les murs qui craquent. L’eau qui coule bizarrement dans les tuyaux. Les pas des autres quand ils se déplacent doucement. On écoute les pas comme on écoutait les chansons avant.J’ai essayé d’écrire les jours, comme en prison dans les films. Un trait pour chacun. Mais j’ai oublié à quel moment j’ai commencé. Les traits se mélangent, comme si eux aussi ne...
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