
Un manifestant participant à la Marche bleue sur la Promenade des Anglais avant la Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC 3), dans la ville de Nice, le 7 juin 2025. Valery Hache/AFP
La 3e Conférence des Nations unies sur les mers et les océans se tient à Nice, en France, depuis lundi en présence de dizaines de chefs d’État, et devrait se terminer vendredi par la signature d’un plan d’action international en la matière, assorti de financements pour les mettre en œuvre. Manal Nader, expert en biologie marine et en pisciculture et directeur de l’Institut de l’environnement à l’Université de Balamand, revient pour nous sur les enjeux de cet événement planétaire et ses possibles retombées sur le Liban et la région méditerranéenne.
Que peut-on attendre du sommet de Nice, le plus grand jamais organisé sur le sujet des océans et des mers, qui se focalisent sur tous les écosystèmes marins ?
Pour les scientifiques que nous sommes, cette mesure s’est fait attendre trop longtemps. Nous savons depuis le XIXe siècle le rôle majeur que jouent les océans et les mers dans les effets du changement climatique, et combien les écosystèmes marins sont affectés par l’activité humaine, par le transport, la pollution…
Même si je crains que les décisions qui y seront ne soient pas à la hauteur des attentes, il faut reconnaître que c’est la première fois qu’un dialogue s’engage précisément sur le sujet des océans, avec des signatures de traités et des engagements internationaux. Auparavant, cette question était discutée dans le cadre des négociations climatiques plus larges, ou alors aux niveaux local ou régional, comme c’est le cas pour celles qui concernent le pourtour méditerranéen.
Toutefois, les dommages causés sont très importants et les réparer sera un processus de longue haleine. Les pays s’engageront-ils à long terme ? L’exemple des sommets climatiques organisés jusque-là n’est pas encourageant.
Quelles décisions-clés ou résultats pourraient découler de ce sommet ?
L’un des résultats majeurs de ce sommet sera le plan d’action de Nice pour les mers et les océans, qui mettrait l’accent sur des actions urgentes, inclusives et dont l’efficacité serait scientifiquement démontrée. Ce plan d’action devrait être signé par les pays participants, mais comme pour toutes les conventions internationales, il ne sera pas contraignant.
Ce qui peut en ressortir de concret, ce sont les engagements financiers des pays donateurs en faveur d’une action pour les mers et les océans. Il faut attendre la fin de la conférence pour en connaître l’ampleur, car les Nations unies insistent pour un financement se chiffrant en milliards de dollars, et non en millions comme le laisse craindre les projections actuelles.
Les problématiques liées à la pêche durable (étant donné les ravages de la pêche industrielle) ainsi que la pollution plastique seront une composante importante de ce plan.

Ce sommet aborde aussi l’épineuse question de l’exploitation minière en eaux profondes. Quels en sont les enjeux et que pourrait-il en sortir ?
L’importance de l’exploitation minière en eaux profondes doit être liée à l’acquisition de ressources minières cruciale pour l’industrie, notamment technologique. Le sous-sol marin profond contient ce que nous appelons des nodules minéraux (des sortes de gros galets mesurant généralement entre 5 et 10 centimètres de diamètre, entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur, contenant du manganèse, du fer mais aussi du cuivre et du nickel, NDLR). Le grand dilemme est que la plupart de ces nodules se trouvent dans les eaux internationales, d’où le fait qu’ils appartiennent théoriquement à tous les pays et pas seulement à ceux qui ont la technologie pour les extraire. C’est donc aussi une question de gouvernance mondiale et d’équité, car elle pose la question de savoir qui devrait en bénéficier.
L’autre dilemme, c’est que l’exploitation minière présente un danger pour l’environnement dans le milieu des grands fonds marins que nous connaissons très peu. Ne dit-on pas : « Nous en savons plus sur la surface de la Lune et de Mars que sur les grands fonds marins » (une citation du biologiste marin canadien Paul V. R. Snelgrove, NDLR).
Face à l’incertitude scientifique, et sachant que les grands fonds marins jouent un rôle crucial dans la séquestration du CO2, il vaut donc mieux appliquer le principe de précaution, et les Nations unies feront certainement pression dans ce sens, d’autant plus que l’Autorité internationale des fonds marins (ISA) doit se réunir en juillet afin de prendre des décisions pour approuver – ou non – l’octroi d’exploitation commerciale des ressources marines. Tiendront-ils compte de ce qui aura été discuté au sommet ? Les grands fonds marins seront-ils les victimes des visées économiques des grandes puissances ? Autant de questions auxquelles le sommet apportera des réponses.
Comment la région méditerranéenne et plus particulièrement le Liban pourraient-ils profiter des conséquences de ce sommet ?
Ce genre de sommets traite le sujet à un niveau international, mais je pense que pour les pays des avantages pourraient être tirés du financement disponible pour traiter les questions relatives aux côtes marines et à la pêche, la science, l’acquisition de connaissances, la création d’emplois…
Le Liban, lui, comme toujours, souffre d’un problème de gouvernance, notamment au niveau de ses décideurs qui privilégient rarement l’intérêt public au détriment de l’intérêt privé. Il y a eu ces dernières décennies des avancées dans la recherche, comme cela a été le cas dans notre institut. Mais sur un plan pratique, l’action environnementale reste élémentaire et la mer continue d’être la destination privilégiée de tous nos rebuts.
En bref, si le Liban veut vraiment bénéficier des résultats d’un sommet tel que celui-ci, notamment au niveau des financements disponibles, il doit changer de comportement en matière de gouvernance et instaurer un État de droit fiable, parce que nous ne manquons ni de science ni d’une société civile dynamique, mais de volonté politique.
En gros, chi7ad wa macharat, ça ne marche plus.
21 h 52, le 13 juin 2025