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Nos Lecteurs ont la Parole

À portée de main ou bien étoile filante insaisissable ?

Le gouverneur de la banque centrale, M. Karim Souhaid, souhaiterait que le Parlement promulgue une loi qui oblige celles et ceux qui ont remboursé une dette au taux de 1 500 livres libanaises le dollar à payer la différence au Trésor. Une différence qui doit être acquittée selon le dollar du jour. Donc, selon la valeur de change actuelle qui est presque à 89 500 LL pour chaque billet vert.

Il va sans dire qu’avec la dévaluation monétaire sans précédent sur la scène libanaise, nombre de Libanaises et de Libanais, de toutes catégories et classes sociales confondues, personnes morales ou personnes physiques, grandes sociétés ou petites entreprises, personnalités politiques ou simples citoyens... en situation de débiteurs, ont voulu se libérer de leurs obligations envers leurs créanciers et mettre un point final à leur statut d’emprunteur.

L’idée du gouverneur, de prime abord, paraît alléchante et mérite d’être explorée, vue surtout dans l’optique de l’État qui cherche, à tout prix et par tous moyens, à renflouer les caisses du ministère des Finances et ses ressources financières. Intéressante également, vue à travers le prisme de la notion juridique de l’enrichissement sans cause qui permet à une personne qui s’est appauvrie au bénéfice d’une autre sans raison légitime de réclamer un remboursement (action de in rem verso).

Néanmoins, et abstraction faite des complexités de la rétroactivité de la loi et la constitutionnalité d’une telle mesure, il faut préciser qu’une telle initiative législative, au cas où elle verrait le jour, manque manifestement de justice et notamment d’éthique. Elle ne prend pas en compte, et pour le moins qu’on puisse dire, toutes les endémiques injustices persistantes subies par ce même Libanais depuis octobre 2019, jusqu’à nos jours. Elle fait même fi de tous les dommages et préjudices endurés par ce dernier. Sans parler du fait que l’État, supposé être cette personne morale par excellence (et là, c’est à se demander dans quelle mesure on peut parler de moralité !), assume une large part de responsabilité dans la grave récession économique du pays, la dévaluation monétaire inouïe, la mainmise arbitraire exercée sur les dépôts bancaires, la diminution drastique du pouvoir d’achat des revenus des ménages... Ménages, qui arrivent à peine à joindre les deux bouts.

La justice, par définition, c’est ce qui touche à l’équité, à la légitimité et au droit. Par conséquent, tout sentiment d’injustice doit être fortement rejeté et désapprouvé. D’autre part, l’éthique se rapporte généralement à la conduite humaine, à l’agir et à la question du « comment bien se comporter ». Ça concerne intrinsèquement les valeurs morales qui doivent orienter la conduite des individus dans une société donnée ou bien dans une activité déterminée.

Or, si c’est le cas, et pour revenir à la suggestion du gouverneur actuel de la Banque du Liban, comment pouvoir parler de justice, d’équité et d’éthique lorsqu’on est en présence d’un droit de rétention exercé abusivement, et contrairement aux élémentaires dispositions en rapport avec le droit de propriété, sur les dépôts bancaires des gens, des retraités, des personnes vulnérables et en situation précaire... Avec une précision de taille à ne pas mésestimer, c’est qu’une grande partie de ces comptes, ouverts en livres libanaises, oui en livres libanaises, appartiennent entre autres à des personnes défavorisées ou en situation fragile ou qui ont atteint l’âge de la retraite et qui, de ce fait, ont cessé toute activité professionnelle et donc vivent, par la force des choses, grâce à une maigre (très maigre) pension de retraite, et à de chétives allocations familiales ou ce qui en reste. Lorsque le dollar banquier (lollar) était payé au taux inique de 3 900 LL, et maintenant au taux, également injuste, de 15 000 LL

uniquement. Lorsque des personnes influentes et politiquement exposées (PEPS) qui occupent des postes de direction en exerçant des rôles importants dans la hiérarchie étatique ont pu, chanceux qu’ils sont (comme toujours), se permettre de transférer leurs avoirs en millions et en milliards, à l’étranger, dans des paradis fiscaux avantageux, contrairement à une large masse de citoyens formée en grande partie par les gens du commun.

La liste des abus peut être encore longue, au niveau corruption surtout. Il s’agit, comme vous le savez, d’une énumération non limitative naturellement.

La proposition de M. Souhaid, peut être valable, si elle concerne uniquement ces PEPS, ceux qui ont fait fuir leurs avoirs, souvent accumulés au prix de malversations. Ou certaines sociétés financières, qui ont fait des fortunes sur le dos du peuple et des pauvres gens, ou des entreprises qui ont profité des subventions suspectes de cette dawlé en décrépitude, ou ceux qui ont tiré profit de la crise pour amasser fortune avec acquisition de propriétés en puisant dans des prêts réservés initialement aux classes sociales moyennes et pauvres... La liste peut être longue.

Sauf, s’il s’agit, comme toujours, d’une catégorie bien déterminée à protéger. Catégorie, qui relève de l’étoile filante inaccessible. Étoile, dans le sens de star affamée, de vedette narcissique et de célébrité insatiable. Et que par défaut d’accessibilité, il faut se rabattre, comme de juste, sur les pauvres gens que nous sommes... Parce que comme d’habitude, il ne reste que ces derniers, toujours à portée de main, pour qu’on leur tombe dessus, pour payer les pots cassés, subir les conséquences et constamment les pertes.

Trop, c’est trop !

Avocat à la cour

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Le gouverneur de la banque centrale, M. Karim Souhaid, souhaiterait que le Parlement promulgue une loi qui oblige celles et ceux qui ont remboursé une dette au taux de 1 500 livres libanaises le dollar à payer la différence au Trésor. Une différence qui doit être acquittée selon le dollar du jour. Donc, selon la valeur de change actuelle qui est presque à 89 500 LL pour chaque billet vert. Il va sans dire qu’avec la dévaluation monétaire sans précédent sur la scène libanaise, nombre de Libanaises et de Libanais, de toutes catégories et classes sociales confondues, personnes morales ou personnes physiques, grandes sociétés ou petites entreprises, personnalités politiques ou simples citoyens... en situation de débiteurs, ont voulu se libérer de leurs obligations envers leurs créanciers et mettre un point...
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