Une patrouille de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, empêchée par les habitants de poursuivre son chemin à Bdéyassé, dans le caza de Tyr, le 10 juin 20205. Photo parvenue à notre correspondant Mountasser Abdallah
Une fois de plus, un incident a éclaté mardi matin entre des habitants du Liban-Sud et une patrouille de la Force intérimaire de l'ONU au Liban (Finul), menant à l'utilisation par les Casques bleus de « mesures non-létales », notamment selon des témoignages de riverains, des tirs en l'air et des jets de gaz lacrymogène. Après cette nouvelle hausse de tension, la force onusienne a appelé les autorités libanaises à « prendre les mesures nécessaires » pour que ses soldats de la paix puissent accomplir leur mission sans entrave ni menace ».
Selon les témoignages des habitants, une patrouille de la Finul est entrée sur un terrain de la région de Bedias (Tyr), sans être accompagnée par l'armée libanaise, ce qui a poussé les riverains à s'opposer à son passage. Après un regain de tension, la patrouille a quitté les lieux, avant d'être suivie par une autre, qui est entrée dans une propriété privée au niveau de la route entre Halloussiyé et Deir Kanoun el-Nahr. Les Casques bleus ont aussitôt bloqué la route, ce qui a poussé des habitants à se rendre sur les lieux pour tenter de contraindre la force onusienne à évacuer le secteur. Ils ont notamment caillassé les véhicules de l'ONU et accusé les Casques bleus d'avoir tiré en l'air et fait usage de gaz lacrymogènes. L'armée libanaise est finalement intervenue pour calmer la situation.
Aucun blessé selon la Finul
La Finul a commenté dans un communiqué cet incident, affirmant que la patrouille avait été « planifiée et coordonnée » avec l'armée libanaise. Malgré cela, elle a été « confrontée par un groupe d’individus en civil qui a tenté d’entraver » sa trajectoire par des « moyens agressifs, notamment en lançant des pierres sur les casques bleus ». Elle précise qu' « un soldat de la paix a été touché, (mais) aucun blessé n’a été signalé ».
Sur une vidéo de l'incident, l'on pouvait voir un homme en civil gifler un soldat de l'ONU. « En réponse, le personnel de la Finul a eu recours à des mesures non létales pour garantir la sécurité des membres de la patrouille ainsi que celle des personnes présentes », a expliqué la force, sans préciser les moyens utilisés. Dans le contexte de cet incident, et des nombreux autres survenus ces dernières semaines, elle a estimé « inacceptable que les casques bleus continuent d’être pris pour cible ». « La Finul appelle les autorités libanaises à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses soldats de la paix puissent accomplir leur mission sans entrave ni menace », ajoute le texte.
L'armée libanaise a ensuite annoncé avoir « déployé des unités » dans la localité de Deir Kanoun el-Nahr et s’employer à identifier et interpeller les auteurs de l’attaque contre les Casques bleus.
« Comportement individuel »
Plus tard dans la journée, le ministère libanais des Affaires étrangères a condamné « l'agression contre un soldat de la Finul », soulignant « la nécessité de préserver la sécurité de son personnel et de ses équipements ». Dans un communiqué, le ministère a exigé la poursuite judiciaire des auteurs de cette attaque, « en violation des législations libanaise et internationale ». Il a réitéré « le soutien du Liban à la force onusienne, à son mandat et à ses missions définis par la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui œuvre au maintien de la paix et de la stabilité au Liban-Sud. »
De son côté, la municipalité de Bedias a condamné l'interception de la patrouille, dénonçant un « comportement individuel que nous rejetons et qui ne reflète pas le point de vue des habitants du village et du Sud ». Les habitants de Bedias ont « un grand respect et une grande reconnaissance pour la Finul et son rôle dans le maintien de la sécurité et de la stabilité dans la région ».
Pour sa part, le Premier ministre Nawaf Salam a condamné l’incident, estimant que « ce genre de comportement expose le Liban-Sud au danger, menacent la paix et la stabilité et portent atteinte à l’intérêt national ». « Le Liban tient au renouvellement du mandat de la Finul en vue d’aller de l’avant dans l’application de la résolution 1701 et de maintenir la stabilité aux frontières-sud », a-t-il ajouté. Le Premier ministre a demandé aux forces de l’ordre « d’arrêter au plus vite les agresseurs de la Finul afin de les traduire en justice ».
L’ancien président de la République Michel Sleiman s’est lui aussi indigné de ce comportement, estimant que « personne ne devrait se donner le droit de nuire aux relations du Liban et à ses intérêts avec la communauté internationale, notamment les pays qui participent à la Finul ». « Je ne crois pas que le leadership du Hezbollah soit incapable de maîtriser des partisans qui se rendent coupables de comportements irresponsables », a-t-il ajouté.
Le mouvement Amal a publié un communiqué réaffirmant « la légitimité de la résistance en tant que force défensive face à toute agression israélienne, ainsi que l’importance du respect de la résolution 1701 du Conseil de sécurité qui stipule l’arrêt des agressions israéliennes et le retrait de nos terres ». Le parti du président du Parlement Nabih Berry « souligne le rôle des Casques bleus dans la surveillance du cessez-le-feu, en coordination et complémentarité avec l’armée libanaise ». « Les forces de la Finul ont toujours été et restent le témoin international et concret de l’agressivité israélienne. C’est pourquoi nous devons tous nous mobiliser pour protéger ce témoin international, devenu au fil de son parcours partie intégrante du tissu social dans le Sud », est-il ajouté.
« Le prix de la gifle sera élevé »
Le député Fouad Makhzoumi (indépendant) a assuré de son côté que « les agressions répétées contre la Casques bleus sont inacceptables, et de nature à mettre en péril la stabilité et l’accord de cessez-le-feu ». Quant au député Ibrahim Mneimné (contestation), il a affirmé que « les attaques contre la Finul ne servent que l’ennemi », appelant le Hezbollah « à ne plus se cacher derrière les soi-disant civils pour échapper à ses responsabilités ».
L’ancien député Farès Souhaid a estimé que « le prix de la gifle contre le soldat de la Force internationale sera très élevé », considérant que « la population locale ne réalise pas ce que le Hezbollah fait d’elle ».
Enfin, pour l’ancien ministre Wadih el-Khazen, « le respect de la Finul et de son rôle au Liban-Sud n’est pas un simple devoir politique et légal, mais un engagement national qui sert les intérêts du Liban et la sécurité de ses habitants ».
Ces scènes de turbulences entre les habitants du Sud et la Finul se sont multipliées au cours des dernières semaines, malgré un appel au calme lancé il y a une quinzaine de jours par le président de la Chambre Nabih Berry, allié du Hezbollah. La liberté de déplacement de la Finul au Liban-Sud sans l’armée libanaise a été remise en question au cours des dernières années, sous la pression du Hezbollah. Théoriquement, la force onusienne peut se déplacer de manière indépendante « dans les secteurs où ses forces sont déployées » (article 12 de la résolution 1701 de l’ONU), et agit sous le chapitre VI de l’ONU qui ne l’autorise pas à utiliser la force pour mener à bien sa mission. L'armée libanaise affirme ne pas avoir assez d'effectifs pour escorter chaque patrouille de Casques bleus.
Ces tensions ont lieu alors que le renouvellement du mandat de la Force doit avoir lieu en août à l'ONU, et que les pressions se multiplient, avec notamment des informations publiées ce week-end dans la presse israélienne sur une volonté américaine et israélienne de ne pas renouveler ce mandat. Une source diplomatique américaine a indiqué à L’OLJ que l’information selon laquelle Washington aurait d’ores et déjà tranché pour ce qui est de mettre son veto au renouvellement « est inexacte ».
Le Hezbollah et Israël sont d'accord sur un point: ils ne veulent pas de la FINUL. Cela devrait suffire à prouver sa nécessité. Non?
07 h 43, le 11 juin 2025