
Le logo du FMI et celui de l’édition des réunions de printemps dans le hall principal aménagé pour l’événement, dans l’un des bâtiments du siège du Fonds à Washington, le 23 avril 2025. Philippe Hage Boutros/L’Orient-Le Jour
Présente à Washington depuis le week-end dernier à l’occasion des réunions de printemps du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, la délégation libanaise est sur tous les fronts avec un objectif clair : convaincre ses bailleurs de fonds potentiels que cinq ans après le déclenchement de la crise et l’entame des négociations officielles – mais encore non concrétisées – avec le Fonds, le Liban est enfin un interlocuteur crédible, notamment pour sa capacité à mettre en œuvre les réformes tant attendues.
Et pour y parvenir, Beyrouth n’a pas lésiné sur les troupes, la délégation officielle chargée de discuter avec les représentants des institutions financières internationales comprenant notamment le ministre de l’Économie, Amer Bsat ; le ministre des Finances, Yassine Jaber ; la ministre des Affaires sociales, Hanine el-Sayyed ; le gouverneur de la Banque du Liban, Karim Souhaid ; la présidente de la Commission de contrôle des banques, Maya Dabbagh ; ou encore la présidente de l’Institut Basil Fuleihan, Lamia Moubayed. Bien que ne faisant pas partie de cette délégation, les présidents respectifs des commissions parlementaires des Finances et de l’Économie, les députés Ibrahim Kanaan et Farid Boustany, ont également fait le déplacement avec leurs propres agendas, incluant parfois les mêmes interlocuteurs, dont le département du Trésor ou l’émissaire américaine Morgan Ortagus. La dissonance locale sur ces dossiers épineux se serait-elle à nouveau exportée à Washington, comme l’ont suggéré certains observateurs étonnés de cette démarche parallèle ? « Nous nous coordonnons et cherchons à afficher un front uni », assure Farid Boustany à L’Orient-Le Jour.
« Tous les dossiers sont prioritaires »
Quoi qu’il en soit, l’objectif déclaré reste le même : aboutir à un nouvel accord préliminaire impliquant la mise en œuvre d’une première vague de réformes, qui pourrait déboucher sur le déblocage d’une assistance financière elle aussi conditionnée. Et ce, dans un contexte où le pays doit à la fois solder les conséquences de cinq ans de crise financière, mais également d’une guerre particulièrement meurtrière entre le Hezbollah et Israël, qui a rebattu les cartes politiques en interne et aggravé ultérieurement la situation financière d’un pays asséché. « Nous ne menons pas ces réformes pour satisfaire le FMI ou toute autre entité étrangère, mais parce que nous en avons un besoin urgent pour notre peuple », a déclaré Yassine Jaber mardi depuis l’ambassade, ajoutant : « Tous les dossiers sont prioritaires. » Un enthousiasme partagé par Karim Souhaid, qui a déclaré que le Liban était « prêt à faire des choix difficiles, à assumer le coût politique de la réforme et à se rendre des comptes à lui-même ». Il a également insisté sur le fait que la priorité absolue de la BDL est de préserver les actifs de l’État, tout en œuvrant, aux côtés du gouvernement et du secteur bancaire, au rétablissement de la solvabilité et de la crédibilité du système financier.
Le ministre a été jusqu’à présent la seule voix officielle à communiquer sur le parcours de la délégation, sans pour autant fournir, pour l’instant du moins, un aperçu global sur la teneur de ces réunions à huis clos. De son côté, le FMI bloque toute fuite et ne prévoit aucune annonce. Selon nos informations, des réunions avec les experts du Fonds chargés du dossier libanais sont prévues presque tous les jours. « Ces réunions vont servir à revoir ce qui a été fait et explorer ce qui doit être fait », dit une source au sein de l’Institut de la finance internationale (IFI), l’un des bras financiers de la Banque mondiale. Il s’agira notamment de convaincre les États-Unis, qui représentent 17,4 % du pouvoir de vote du conseil d’administration du Fonds et qui poussent pour des réformes à tous les niveaux au Liban.

Le mauvais signal du secret bancaire
Côté libanais, l’optimisme est de rigueur : « Le FMI aurait aimé que nous allions plus vite, mais le gouvernement n’est en place que depuis février et le travail à accomplir est important. Certaines questions techniques font encore débat, comme la question des dépôts : faut-il les considérer comme des pertes à compenser ou des droits à garantir ? Beaucoup de députés pensent que la seconde option s’impose », résume Farid Boutany. Le député assure pour autant que l’exécutif et le Parlement sont capables d’avancer ensemble pour réaliser des progrès décisifs en juin.
Sauf que côté FMI, ces signes de bonne volonté ne semblent pour l’instant pas avoir suffi pour convaincre. Alors que, suite aux promesses reçues lors de la dernière visite de sa délégation, mi-mars à Beyrouth, l’organisation espérait que les responsables libanais arriveraient à Washington avec deux lois votées par le Parlement – l’une fixant un cadre légal à la résolution bancaire et une autre aménageant le secret bancaire de manière à ne pas constituer un obstacle à ce processus –, une certaine déception reste palpable. « Le premier (texte) est encore au stade de projet de loi, et le second, qui pourrait être voté jeudi par le Parlement, a été modifié de façon problématique par les commissions mixtes », résume pour L’OLJ une source proche du Fonds. Le parcours législatif de ce dernier texte symbolise à lui seul le nœud en présence : alors que la version initiale du projet de loi présentée par Yassine Jaber avait considérablement limité la portée du texte, avec un délai de rétroactivité de trois ans, le Conseil des ministres avait du rectifier le tir en étendant la rétroactivité à 10 ans. Et si les députés ne sont pas revenus sur ce délai en commission, ils ont restreint la latitude des auditeurs à lever le secret bancaire. Présenté comme une modification mineure par les élus, cet amendement n’est pas vu de manière anodine à Washington : « Ce que la loi devrait inclure, c’est la capacité pour la Banque du Liban et la Commission de contrôle des banques de partager des informations soumises au secret bancaire avec les auditeurs qu’elles nomment ou désignent, afin que ces derniers puissent réaliser l’audit », explique la source proche du FMI.
Et les justifications de M. Jaber, qui a avancé que cette limitation serait compensée par une disposition similaire du projet de loi sur la restructuration bancaire, n’ont pas suffi à dissiper les doutes. « D’une part, il ne s’agit que d’un simple projet de loi, qui peut encore beaucoup changer – en supposant même qu’il soit voté –, et d’autre part, neutraliser une disposition essentielle dans une loi pour la réactiver dans une autre n’a pas beaucoup de sens », commente la source proche du FMI. Et d’ajouter, à l’instar d’autres interlocuteurs internationaux, que le Parlement ferait gagner beaucoup de points à la délégation libanaise s’il votait ce jeudi – à la veille d’une réunion consacrée à la reconstruction à Washington – la version du projet de loi « telle qu’elle a été approuvée par l’exécutif ».
Très intéressant mais qui a autorisé MM. Kanaan et Boustany à aller à Washington? Je crois que des députés ne peuvent pas voyager et participer à des réunions sans l'autorisation de leur chef. A quoi joue encore MM. Berry, Kanaan et Boustany?
12 h 58, le 24 avril 2025