
L’un des objectifs professionnels de Pamela Hneine Bou Ghosn est de sensibiliser le grand public aux enjeux de la criminologie. Photo DR
Son choix de master a été irrévocable. Détentrice d’une licence en sciences politiques et administratives de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), Pamela Hneine Bou Ghosn opte, sans hésiter, pour un master en criminologie dispensé par la faculté de droit de cet établissement. Non seulement ce domaine l’a toujours passionnée, mais elle y voit, également, une opportunité de susciter le dialogue, notamment face au taux élevé de criminalité dans notre pays. Lorsqu’elle se renseigne sur le contenu du programme de ce master, elle y trouve ce à quoi elle a toujours aspiré. « Le département de criminologie avait expliqué en détail son contenu : un programme qui allie sociologie, psychologie et investigations. Pour moi, c’était un véritable cadeau que l’université m’offrait ! » se rappelle-t-elle. Pourtant, ses proches n’étaient pas du même avis. « Ma famille, mes collègues et même mes amis m’avaient vivement déconseillé d’effectuer ce master, car les débouchés dans ce domaine sont limités. En tant que criminologue, j’aurais pu être engagée dans le département des enquêtes criminelles des Forces de sécurité intérieure (FSI), mais le recrutement dans la fonction publique est suspendu. J’ai résisté malgré cela à la pression de mon entourage », assure-t-elle.
Elle saisit ainsi l’opportunité offerte par l’USEK, et effectue en parallèle une spécialisation secondaire (mineure) en droit pénal et responsabilité civile. À l’université, elle s’intéresse énormément aux cours abordant la psychologie et la sociologie criminelle, la gestion des scènes de crime et la police communautaire, entre autres. Le cursus en criminologie répond à ses attentes, même si, au cours de ses études, elle peine à trouver des stages lui permettant d’exercer sa future profession.
« La criminologie est un domaine qui était encore méconnu au Liban », précise-t-elle. Pourtant, un an avant de présenter son mémoire, elle décroche un stage à l’Association justice et miséricorde (AJEM) qui œuvre dans le domaine carcéral. Elle y est ensuite embauchée et exerce ses responsabilités de criminologue, auprès des détenus de la prison de Roumié. « J’en ai été très fière. C’était un moment-clé de ma vie, une belle expérience malgré les difficultés liées à ce métier », se rappelle-t-elle. Elle accompagne, dans ce cadre, des individus condamnés à la peine de mort et évalue leur état médical, psychologique et social. « Je vérifiais s’ils ont été torturés. En criminologie, il est essentiel de réfléchir à des moyens de prévenir ou de mettre fin à la torture. Je les orientais ensuite à la sociologue ou la psychologue. En me basant sur les résultats de l’évaluation, je préconisais également le genre de services ou d’activités dont le détenu avait besoin. » De même, elle écrit et élabore des programmes de réhabilitation, « ce qui est très important en criminologie, parce que les programmes de réhabilitation n’existent pas dans notre société. Une majorité de détenus sortent de prisons puis commettent une récidive, souvent pour des crimes plus graves. Sans soutien familial, métier ou compétences, ces individus replongent dans la criminalité pour survivre », explique-t-elle.
Ce travail extrêmement délicat épuise pourtant son énergie, tant sur le plan émotionnel que physique. Travailler en prison représente un défi quotidien. « Malgré ma passion pour la criminologie, je pouvais parfois avoir peur, peur d’être face à face avec des criminels, d’être harcelée par des détenus me sollicitant pour des services, ou encore celle de sombrer psychologiquement, étant témoin de tant de réalités difficiles. Je craignais également pour ma famille. Mais c’était mon devoir, la profession que j’avais choisie », affirme Pamela Hneine Bou Ghosn.
Sensibiliser à la criminologie… une nécessité pour mieux agir
Par ailleurs, dans le cadre de son mémoire de master sur la police communautaire au Liban, en comparaison avec la France, les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne, elle prend conscience de l’ampleur du travail de sensibilisation à mener sur la criminologie. « À la suite de l’étude que j’avais effectuée auprès de Libanais pour mon mémoire, j’ai constaté d’importantes lacunes dans la compréhension des notions de criminologie. La notion de police communautaire n’existe même pas. »
Les résultats de son travail la poussent à réfléchir à un moyen permettant d’informer la société sur des notions de base en la matière. « Les médias sont très efficaces non seulement pour diffuser des notions encore méconnues de la société, mais aussi pour aider les individus à comprendre comment les appliquer dans leur vie quotidienne. »
Dans ce contexte, elle lance son propre programme de criminologie à la télévision nationale libanaise, Télé Liban. « Un tournant décisif » dans sa vie. À travers cette émission hebdomadaire qui passe en direct chaque lundi, elle cherche à sensibiliser le public à ce sujet. « Il n’existe pas d’émissions réellement consacrées à la criminologie au Liban. Dans ce programme que je prépare et présente, j’examine toutes les facettes de la criminologie, comme l’anthropologie, la psychologie et la sociologie criminelles, ainsi que la médecine légale. Je fais appel à des spécialistes pour aborder des sujets très pointus de ce domaine », indique Pamela Hneine Bou Ghosn.
Afin de mettre à jour ses connaissances et de compléter sa formation en criminologie, elle suit des cours en ligne, dont un cours de profilage criminel, une technique d’investigation permettant d’établir le portrait psychologique, démographique et comportemental d’un criminel non identifié, de même qu’un cours sur la direction de la scène de crime. « Il y a beaucoup de lacunes au Liban dans la gestion des scènes de crime. Lorsqu’un crime est commis dans un quartier, les badauds et les médias arrivent parfois avant la police, ce qui est illogique, compte tenu de l’importance des preuves dans l’enquête. »
En outre, toujours dans l’objectif de sensibiliser aux enjeux de la criminologie, Pamela Hneine Bou Ghosn organise occasionnellement des ateliers auprès d’associations, d’établissements scolaires ou universitaires. « Il serait utile que les étudiants en droit, journalisme, sociologie ou autres prennent des cours en criminologie », affirme-t-elle, rappelant que pour qu’une prise de conscience aboutisse à un changement effectif à l’échelle du pays, le travail de sensibilisation doit commencer à ce niveau. « Chaque avocat, juge, sociologue ou psychologue doit avoir une connaissance de la criminologie », ajoute-t-elle.
Dans la même optique, elle considère qu’un master en criminologie viendrait compléter des études en psychologie, sociologie, médecine ou toute autre discipline. Ainsi « un psychologue avec un master en criminologie pourrait travailler dans le domaine de la psychologie criminelle, un profil bien recherché auprès des ONG », note Pamela Hneine Bou Ghosn. Pour elle, les jeunes intéressés par des études en criminologie doivent pouvoir dépasser les obstacles et s’engager dans cette voie. « S’ils sont véritablement motivés, ils sauront exploiter les opportunités professionnelles qui se présenteront ». D’ailleurs, elle estime que sa licence en sciences politiques et administratives, ainsi que l’expérience professionnelle qu’elle avait accumulée dans ce domaine ont contribué à développer ses compétences et à forger sa personnalité, qu’il s’agisse du stage au Parlement libanais ou d’emplois dans des organisations internationales opérant au Liban, comme Transparency International et Armadilla, ainsi qu’à l’association l’Union pour la protection de l’enfance au Liban. En parallèle, et avant même d’entamer son master, elle avait lancé sa propre émission matinale quotidienne sur la chaîne de télévision NourSat, dans laquelle elle reçoit des invités de tous bords, tels des médecins, historiens, anthropologues, sociologues ou politologues.
Son ambition, dépassant ces expériences, la pousse actuellement à préparer un nouveau programme télévisé, conçu autour de cas concrets issus de la prison et de scènes de crime, en espérant qu’un jour, elle pourra transmettre ses connaissances dans des établissements universitaires.