La présidente du Festival de Baalbeck lors de la conférence de presse au ministère du Tourisme. Photo Aly Baalbacki
Le Festival international de Baalbeck annonce une édition 2025 qui fait rêver, portée par une nouvelle production de l’opéra Carmen de Bizet et un grand concert de Hiba Tawaji. Un pari artistique ambitieux dans un Liban en crise, mais aussi une ode à la volonté d’un peuple et à la magie intemporelle des pierres.
« Piliers pour l’éternité » : c’est le thème choisi par Nayla de Freige, présidente du Festival de Baalbeck, pour incarner cette édition symbolique. Face aux menaces qui ont récemment plané sur la région – notamment les bombardements israéliens de novembre 2024 –, une mobilisation internationale inédite a émergé pour préserver ce joyau classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Catherine Deneuve, Jean-Michel Jarre, Roberto Bolle et bien d’autres figures de la culture ont signé l’« Appel à la conscience internationale » pour sauver Baalbeck. Aujourd’hui, plutôt que de céder à la peur, le festival répond par la beauté.
« Carmen », un opéra universel dans un décor éternel
Il y a des lieux où l’art prend une résonance singulière. Quand la voix libre et indomptable de Carmen retentira, le 25 juillet prochain, entre les colonnes du temple de Bacchus, ce ne sera pas seulement une performance lyrique : ce sera une déclaration.
À l’initiative de cette nouvelle production : Jorge Takla. Né à Beyrouth, ce metteur en scène d’envergure internationale – dont la carrière s’est construite entre São Paulo, New York, Buenos Aires ou Paris – revient sur sa terre natale avec une vision résolument festive et orientalisée de l’opéra de Bizet. « Carmen renaît toujours de ses cendres, tel un phénix », déclare-t-il. « C’est cette puissance féminine atemporelle qui m’inspire une version spécialement pensée pour Baalbeck. »
Pour l’accompagner, une équipe exceptionnelle : le maestro Toufic Maatouk à la direction musicale, l’artiste Nabil Nahas aux visuels, Rabih Kayrouz aux costumes (250 créations originales avec la participation de jeunes stylistes libanais), et le soutien de l’Orchestre national de la radio roumaine et du chœur de l’Université Antonine. Les rôles principaux seront interprétés par des voix françaises de renom, parmi lesquelles la mezzo-soprano Marie Gautrot (Carmen) et le ténor Julien Behr (Don José).
Dans cette production exceptionnelle de Carmen, tout est pensé pour dialoguer avec l’écrin sacré qu’offre le site de Baalbeck. Pour Jorge Takla, la mise en scène n’est pas une simple transposition de l’opéra de Bizet dans un lieu d’exception ; c’est une recréation totale, une œuvre conçue « pour et avec Baalbeck ».
« On ne peut pas ignorer les pierres. Elles respirent, elles parlent. Le temple de Bacchus est un personnage à part entière », confie le metteur en scène. « Je voulais que Carmen ne soit pas plaqué sur le lieu, mais qu’elle en surgisse. Qu’elle en soit l’écho. »
Le décor se veut minimaliste mais puissant, jouant sur les ombres, les hauteurs et les perspectives grandioses qu’offrent les colonnes romaines. Les projections visuelles conçues par l’artiste Nabil Nahas s’inspirent des teintes du crépuscule libanais et des textures du calcaire de Baalbeck. Elles évoquent le feu, le sable, la braise et la liberté – autant d’éléments au cœur du personnage de Carmen.
« Nous avons choisi de ne pas ériger de murs, ni de construire un décor en rupture », explique Takla. « Tout est conçu pour révéler la structure antique, l’embrasser, l’éclairer autrement. La scène devient presque un rituel païen, un théâtre d’émotions brutes. »

250 costumes comme un manifeste
Au cœur de cette vision, le travail du créateur de mode Rabih Kayrouz tient une place essentielle. Sollicité pour dessiner les costumes de l’opéra, le couturier a voulu célébrer à la fois la féminité flamboyante de Carmen, l’esthétique andalouse et l’héritage textile libanais.
« C’est la première fois que je conçois des costumes pour un opéra, et j’ai voulu que ce soit un hommage à la femme libre, à la sensualité sans artifice, à la puissance du geste », explique Kayrouz. « Chaque pièce est pensée comme un prolongement du mouvement, du souffle, de la voix. »
Pas moins de 250 costumes originaux sont réalisés pour la production, en collaboration avec de jeunes stylistes et artisans locaux, dans le cadre d’un programme éducatif mis en place avec l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) et Creative Space Beirut. Ce projet participatif donne non seulement une dimension humaine et sociale à l’opéra, mais inscrit aussi la création dans une démarche de transmission et de valorisation du savoir-faire libanais.
« Ce n’est pas un opéra figé, poussiéreux. C’est une Carmen du présent, qui avance avec les jeunes, avec le pays, avec son feu intérieur », conclut Kayrouz.
La lumière, signée par un collectif franco-libanais, viendra souligner la verticalité des colonnes, les silences suspendus, les éruptions de passion. Chaque note de Bizet, chaque mouvement de chœur, chaque costume sera en dialogue avec la pierre, le ciel et le vent.
Ainsi pensée, la Carmen de Baalbeck dépasse le cadre de la performance. Elle devient un rituel contemporain, une célébration païenne et poétique de la liberté, de la beauté et de l’éphémère – dans un lieu qui semble, lui, fait pour l’éternité.
Mais au-delà de la musique, le projet incarne une vision : celle de faire vibrer à nouveau Baalbeck, de raviver le tourisme, l’hôtellerie, et surtout de créer des ponts entre générations, disciplines et pays. « La fusion de l’opéra et de l’Antiquité n’est pas simplement une performance », insiste Takla. « C’est un événement qui souligne la pertinence intemporelle de l’histoire de Carmen et de Baalbeck. »
Outre la représentation, le Festival prévoit un programme éducatif et participatif : conférences sur Carmen dans plusieurs universités (AUB, ALBA, USEK, Antonine), billets étudiants à tarif réduit, et programmes de formation dédiés aux femmes en partenariat avec l’Unesco.
Une autre voix au cœur du Liban
Second temps fort du festival : le 8 août, avec un concert de Hiba Tawaji, dirigé par Oussama Rahbani. Ce duo, complice depuis plus de quinze ans, incarne une audace musicale qui réconcilie Orient classique et sonorités contemporaines.
Ce spectacle rendra également hommage au centenaire de Mansour Rahbani, figure tutélaire de la musique libanaise.
« J’ai grandi à l’ombre de ces colonnes », confie Oussama Rahbani. « Ce concert est un retour aux sources, mais avec une vision neuve, ouverte sur le monde. »
Formé à la Berklee College of Music, compositeur de théâtre musical, Oussama Rahbani est l’un des piliers de la scène musicale libanaise et arabe. Sa collaboration avec Hiba Tawaji a donné naissance à des œuvres majeures (La Bidayé Wala Nihayé, Baad Sneen, Ya Habibi…), entre comédies musicales, albums et concerts monumentaux.
À Baalbeck, Hiba Tawaji interprétera un programme pensé comme un voyage à travers ses cinq albums, ses grandes collaborations et les classiques des Rahbani. Oussama Rahbani assurera la direction musicale avec des musiciens venus d’horizons variés, dans une mise en scène immersive.
Ce concert sera un hommage vibrant aux racines et à la création. Une soirée où la voix de Hiba, aujourd’hui reconnue à l’international, résonnera comme un chant d’espoir au cœur de la plaine de la Békaa.
À l’image de Carmen, Hiba Tawaji incarne une autre forme de liberté : celle d’une artiste qui chante pour tous les peuples, dans toutes les langues, et qui ne cède jamais à la facilité. Sa voix, entre les colonnes de Baalbeck, promet de faire résonner l’âme d’un Liban qui rêve encore, et qui croit, envers et contre tout, à la beauté.
Ce qu'ils ont dit
Laura el-Khazen, ministre du Tourisme :
« Le Festival de Baalbeck est l’exemple par excellence de la culture au service du développement régional. Nous sommes certes conscients des défis sécuritaires, mais le choix de maintenir ce festival est porteur de promesses : celles d’une stabilité et d’un développement durable. »
Ghassan Salamé, ministre de la Culture :
« Je ne peux effacer de ma mémoire ma première expérience de spectateur à Baalbeck, un soir de pleine lune en 1969. Ce soir-là, l’homme a marché sur la Lune. Nous restons fidèles à Baalbeck. Le festival n’est pas en schizophrénie avec son entourage, il en est l’ornement.
Nous réaffirmons aujourd’hui notre loyauté à Baalbeck et adressons un message de ténacité et d’endurance. »
Bachir Khodr, mouhafez de Baalbeck-Hermel :
« Au-delà de son aspect artistique et touristique, le Festival de Baalbeck est l’occasion de réaffirmer notre attachement à la culture de la vie. Après tous les malheurs qu’il a traversés, le peuple de Baalbeck a le droit de vivre avec dignité.
La sécurité des lieux et de la route menant à Baalbeck sera assurée, comme toujours, par l’armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure (FSI). »
Nayla de Freige, présidente du Festival de Baalbeck :
« Poussés par la passion de notre mission, encouragés par nos ministres, notre président de la République et les habitants de Baalbeck, soutenus par nos mécènes, les médias et les journalistes, nous espérons que cette édition fera partie des moments phares de l’histoire du Festival de Baalbeck.
Et que le son de la musique remplacera le bruit des armes. »
Jorge Takla, metteur en scène :
« Avec Carmen, les thèmes de la liberté, de l'amour et du destin retentissent au milieu des ruines pérennes de Baalbeck, créant un dialogue entre le passé et le présent, entre tradition et innovation. Carmen est tellement universelle qu’elle pourrait être libanaise. »
Rabih Kayrouz, créateur de costumes :
Créer pour ce lieu chargé de mémoire, c’est entrer dans un dialogue de pierre et de passion. Avec Jorge, on réfléchit, on questionne. On regarde l’histoire, notre pays, nos silences.
Et peu à peu, une nouvelle Carmen est née. Pas déguisée, pas folklorique. Mais libre, enracinée, vibrante.
Toufic Maatouk, chef d’orchestre :
« Proposer une représentation de Carmen dans l’imposante citadelle de Baalbeck, c’est établir un échange entre une légende lyrique et un lieu imprégné de mythes. C’est unir la voix de la bohémienne rebelle et indomptable au souffle éternel des pierres, pour honorer la force de l’art en action au sein du patrimoine. »
Nabil Nahas, artiste plasticien :
« Vu le caractère monumental du temple de Bacchus, je n’ai pas envisagé un décor classique. J’ai pensé à une projection sur les pierres du temple. C’est un travail de collaboration étroite avec Jorge Takla, mon ami d’enfance, en puisant dans des archives de mes œuvres.
La toile offerte à Baalbeck – pour une vente aux enchères au profit du festival – est une fractale qui me tient beaucoup à cœur : je l’avais créée pour ma propre collection. »
Oussama Rahbani, compositeur :
« Cela fait quinze ans que nous réfléchissons à un spectacle à Baalbeck. J’ai grandi à l’ombre de ces colonnes, lorsque les Rahbani y présentaient leurs spectacles.
Je vous promets du jamais-vu à Baalbeck, de la musique et des chants sublimes.
Les enfants de Baalbeck nous protégeront ; le même sang coule dans nos veines. »
Mandy Bassil, représentante de CMA-CGM, partenaire du Festival
« Depuis plus de 20 ans, le Groupe CMA CGM est un partenaire du Festival international de Baalbeck ; festival qui contribue à faire rayonner le Liban et sa culture à travers le monde. Cette fidélité historique au Festival témoigne de l'engagement sans faille du Groupe envers le Liban, son avenir : la création artistique par le théâtre, la danse, le chant et la musique qui sont des sources d'inspiration. Le Groupe CMA CGM est aussi présent dans tous les domaines de l'art et de la culture, ainsi qu'aux cotés des musées et des monuments nationaux, ce qui démontre notre attachement particulier à nos racines libanaises. »
Bravo Ca c’est le LIBAN
20 h 34, le 11 avril 2025